The Benjamin Netanyahu Research Laboratory : une expérimentation politique en design 3D
Publié le 20 avril 2025 par Atar Brosh
Depuis 2019, le designer et chercheur Atar Brosh dirige le Benjamin Netanyahu Research Laboratory, une expérience de design explorant la relation symbiotique entre technologie, design et politique dans le contexte complexe d’Israël.
Atar Brosh est designer, maître de conférences et chercheur au Centre universitaire multidisciplinaire de Jérusalem, où il travaille à la croisée de la production durable, du design paramétrique et de la fabrication numérique. Sa pratique, qui s’intéresse de manière critique à la culture et à la technologie contemporaines, mêle recherche artistique et expérimentation pratique, et a été présentée à l’échelle internationale.
Basé à Tiny Factory, le petit studio et laboratoire de fabrication numérique de Brosh à Tel Aviv, le projet utilise des outils numériques accessibles, tels que la modélisation paramétrique, la fabrication additive et des logiciels libres et open source, pour produire rapidement et à grande échelle des artefacts/produits uniques. Ces créations font office de souvenirs basés sur la mémoire à court terme, réagissant en temps réel à la présence et à l’influence continues du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Le laboratoire sert non seulement de commentaire créatif sur la politique israélienne, mais aussi d’exploration de la manière dont les designers contemporains peuvent s’engager de manière critique dans le discours public grâce à une fabrication en temps réel, unique en son genre mais potentiellement à grande échelle.
Tel Aviv, correspondance.

C’est quelque part entre un atelier artisanal et le journal télévisé du soir que le Benjamin Netanyahu Research Laboratory a vu le jour. Ce n’était pas un projet planifié. Tout a simplement commencé : un objet, une version, puis une autre. Nous étions en 2019, Israël était en pleine crise, et le même personnage apparaissait partout : sur les écrans, dans les discours, dans les tribunaux, dans les mèmes. Cette omniprésence s’est transformée en matière première. L’image est devenue modifiable.
J’ai fait le calcul et j’ai découvert un fait étonnant : Benjamin Netanyahu est Premier ministre depuis 17 ans, soit 55 % de ma vie d’adulte. J’ai essayé d’estimer son influence, en me basant sur ses objectifs et sur les informations relayées par les médias.
À l’aide d’imprimantes 3D, d’outils de modélisation paramétrique et d’un coin de table, le laboratoire a commencé à produire de petits objets en réponse au climat politique. Une figurine par-ci, un candélabre par-là, parfois un sous-marin miniature, un buste de voyage ou une poupée vaudou. Certains étaient fonctionnels, d’autres cérémoniels, d’autres encore totalement inutiles. Ce qui les reliait tous, ce n’était pas seulement la satire, mais aussi la rapidité de la réponse et le sentiment que la répétition était devenue le message.

Le laboratoire opère dans un espace où le design rencontre la contestation, où la fabrication n’est pas une question d’optimisation mais d’observation. Chaque objet est une sorte d’empreinte temporelle, une mémoire à court terme moulée dans la matière. Pas toujours claire, pas toujours juste, mais toujours réactive. Le travail ne prétend pas à la neutralité, ni à la synthèse. Il reflète un moment fragmenté à l’aide des seuls outils disponibles : des machines bon marché, des logiciels standard et un besoin obstiné de donner une forme physique à ce qui est flou.
Voici une sélection de ces artefacts. Certains ont été réalisés en une nuit, d’autres en plusieurs semaines. La plupart ont été créés avant le 7 octobre 2023, mais tous portent désormais le poids des événements qui ont suivi. Pris dans leur ensemble, ils ne constituent pas un message unique, mais plutôt une archive complexe mêlant absurdité, admiration, anxiété et critique.
Ceci n’est pas un hommage. Ce n’est pas une campagne. Il s’agit d’un cabinet de curiosités en constante évolution, issu d’une époque et d’un lieu où la politique est devenue plastique et où le design a tenté de suivre le mouvement.

La configuration du laboratoire : pas de murs, pas de budget
Le laboratoire de recherche Benjamin Netanyahu n’a jamais été une institution officielle. Il fonctionnait dans un petit studio à domicile, sans budget ni personnel, avec une seule personne, un ordinateur portable et quelques imprimantes 3D grand public. L’objectif n’était pas l’efficacité, mais la présence. Le laboratoire fonctionnait comme un sismographe, réagissant aux secousses politiques au fur et à mesure qu’elles se produisaient, imprimant quand les autres publiaient, fabriquant quand les autres s’emportaient.
Le processus était volontairement simple : un événement politique se produit (un discours, un scandale, un tweet) et la conception commence. En quelques heures ou quelques jours, un modèle est créé en CAO, ajusté avec une touche d’humour, de symbolisme et de frustration, puis imprimé sous forme physique. Parfois, cela fonctionnait. Souvent, cela ne fonctionnait pas. Mais ce processus est devenu une pratique, comme tenir un journal, mais en plastique.


La technologie comme commentaire
Les principaux outils utilisés par le laboratoire étaient la conception paramétrique, la fabrication additive et une approche open source. Mais aucun de ces outils n’a été utilisé pour optimiser la production. Ils ont plutôt servi à ralentir le processus, afin de traduire un flux médiatique constant en objets tangibles, maladroits et souvent peu pratiques.
Comme l’a dit McLuhan, le médium est le message. Dans ce cas, le médium – l’impression 3D – devient à la fois le contenu et la critique. Il sape l’iconographie politique traditionnelle en permettant à un seul personnage d’être sans cesse remodelé, redimensionné et réutilisé. Netanyahu n’est pas glorifié ici. Il est versionné. Il est itéré. Une marionnette numérique prise dans un cycle de transformation, tout comme son image publique.
Élaborer
Depuis 2019, je me trouve dans une relation unique, peut-être étrange, avec la figure politique de Benjamin Netanyahu, non pas par alignement politique direct ou opposition, mais plutôt par une exposition prolongée qui a imprégné presque tous les aspects de ma vie d’adulte. Un jour, cela m’a frappé : Benjamin Netanyahu était Premier ministre depuis 17 ans, soit environ 55 % de ma vie d’adulte. Son visage, sa voix et son discours étaient devenus incontournables, présents dans ma vie quotidienne à travers les écrans, les journaux, les manifestations, les conversations informelles et même mes réflexions personnelles.
Cette prise de conscience m’a conduit à créer ce que j’ai appelé « le laboratoire de recherche Benjamin Netanyahu », une initiative au nom quelque peu ironique. Ce nom avait en effet un double sens : il s’agissait en partie d’une parodie d’un organisme universitaire institutionnalisé, et en partie d’une véritable réflexion sur le phénomène de la présence médiatique écrasante d’un individu et ses implications culturelles.
Mon laboratoire était modestement équipé d’outils accessibles emblématiques du design post-industriel : des imprimantes 3D grand public, des logiciels de modélisation paramétrique open source et du matériel d’atelier de base. Ces outils ont été choisis à dessein : peu coûteux, faciles à utiliser et capables de réagir rapidement. Ce choix était dicté par la nécessité et l’idéologie : je voulais incarner l’éthique de la production décentralisée, l’accessibilité démocratique et la réactivité immédiate qui caractérisent la quatrième révolution industrielle.

Chaque objet produit dans le laboratoire était inspiré par des événements en temps réel : scandales politiques, cycles électoraux, spectacles médiatiques ou discours de Netanyahu lui-même. Mon processus est devenu une sorte de rituel. Je lisais ou regardais un événement se dérouler, souvent au cœur d’un débat public intense, puis je me retirais dans mon studio pour rapidement modéliser une réponse en trois dimensions. Cela pouvait prendre la forme d’un bougeoir représentant Netanyahu debout derrière un podium, soulignant le caractère rituel de ses discours. Ou encore sous la forme d’un sous-marin jouet pour le bain, réponse ironique à un scandale d’achat de navires militaires. Parfois, les objets étaient intentionnellement provocateurs, comme une poupée vaudou, symbole de la frustration collective, ou un « cornichon de la nation », incarnant l’idée de fermentation culturelle et de stagnation politique.
En créant ces objets, mon intention n’a jamais été de simplement me moquer ou d’apporter mon soutien. J’ai plutôt cherché à matérialiser une mémoire collective à court terme, un instantané culturel des réactions fugaces mais intenses à des moments politiques. Chaque artefact est devenu un repère temporel tangible, un rappel physique d’émotions et de discussions qui, autrement, auraient été éphémères.
Cependant, le ton et la signification de cette pratique ont radicalement changé à la suite des événements du 7 octobre 2023. Israël a subi un traumatisme profond, et les objets que j’avais créés auparavant ont pris une toute nouvelle dimension. Ce qui était autrefois absurde ou ironique semblait désormais profondément prémonitoire et troublant. Je me suis retrouvé confronté à la réalité : ces objets ludiques pouvaient avoir une signification plus profonde et des implications importantes en temps de crise.
Ce changement m’a amené à réfléchir et à faire une pause dans ma pratique. J’ai pris conscience des implications plus larges de ce que j’avais créé : il ne s’agissait pas simplement de souvenirs éphémères, mais d’artefacts d’un paysage politique et culturel profondément instable. À travers un design ludique, mon travail avait involontairement capturé la volatilité inhérente à la politique israélienne, la fragilité du discours public et l’imprévisibilité des réactions émotionnelles collectives.
Le paysage sociopolitique unique d’Israël a considérablement influencé ce projet. C’est une nation marquée par des contradictions et des tensions constantes entre démocratie et sécurité, laïcité et religion, innovation et tradition. La société israélienne est en perpétuelle négociation avec son identité, entre conflits permanents, menaces extérieures et divisions internes. Netanyahu lui-même est devenu le symbole de bon nombre de ces tensions, incarnant les complexités et les polarités de la politique israélienne contemporaine. Sa carrière politique, marquée à la fois par une loyauté farouche et une opposition acharnée, a amplifié les divisions sociétales et les débats sur la démocratie, la gouvernance et l’identité nationale.

Mon travail au Benjamin Netanyahu Research Laboratory reflète directement ces tensions. Chaque objet, initialement créé comme une réponse immédiate et instinctive aux changements politiques quotidiens, s’est progressivement révélé être une exploration plus profonde de la psyché collective israélienne. Des objets initialement interprétés comme humoristiques ou insignifiants ont peu à peu acquis plusieurs niveaux de sens, reflétant les angoisses, les espoirs et les contradictions culturelles. En donnant une forme physique à ces moments éphémères et souvent ambigus, le projet a mis en lumière la fragilité et la volatilité qui caractérisent la vie israélienne contemporaine.
Aujourd’hui, le Benjamin Netanyahu Research Laboratory est bien plus qu’un titre ludique et ironique. C’est une archive vivante, une réflexion axée sur le design sur un moment précis de l’histoire, où la politique et la production numérique ont convergé de manière imprévisible. Chaque artefact reste une déclaration silencieuse, ni tout à fait sérieuse ni purement satirique, mais une tentative sincère de donner forme à l’expérience souvent chaotique et éphémère de la vie politique en Israël. Grâce à cette exploration continue, j’ai découvert la profonde capacité du design à s’exprimer là où le langage traditionnel échoue souvent, en offrant un ancrage physique aux émotions et aux récits fugaces qui définissent notre existence contemporaine.
Après le 7 octobre 23 h 23, recalibrage
Après les événements du 7 octobre 2023, l’ensemble des archives ont changé de ton. Ce qui était autrefois ironique est devenu tragique. Les objets qui semblaient autrefois ridicules sont désormais chargés de sens. Avec le recul, beaucoup d’entre eux apparaissent comme des avertissements, trop absurdes pour être réels, trop réels pour être ignorés.
En réponse, le laboratoire a cessé sa production et s’est mis à observer. Les nouvelles pièces restent silencieuses. Les blagues se font plus rares. Le poids des événements actuels a replié le travail sur lui-même. Il ne reste plus que les objets — et la question : le design peut-il encore s’exprimer lorsque les mots commencent à manquer ?
Le travail d’Atar Brosh est visibe sur sa chaîne YouTube TagMeNot design lab et sur son compte Instagram