Comment dessiner avec du son : l’utilisation créative des projections laser
Publié le 20 octobre 2021 par Ewen Chardronnet
Construisez un projecteur laser DIY et apprenez à créer des images vectorielles avec des synthétiseurs ! Le 4 octobre, Projekt Atol accueillait un workshop Modul@rnice de Bernhard Rasinger (New Jörg) et Václav Peloušek (Bastl Instruments) à Ljubljana. Makery a discuté avec Tina Dolinšek (Projekt Atol) et Václav Peloušek de leur projet MakersXchange.
Václav Peloušek est un musicien, éducateur, artiste, fondateur et concepteur principal de la société de synthétiseurs Bastl Instruments basée à Brno, en République tchèque. Tina Dolinšek est une productrice d’art nouveaux médias, commissaire d’exposition et animatrice culturelle basée à Ljubljana. Ensemble, ils ont été sélectionnés pour le deuxième tour estival des échanges Hyper Global / Hyper Local du programme pilote de l’Union européenne MakersXchange. Makery leur a rendu visite à Ljubljana.
Makery : Pouvez-vous nous parler un peu du contexte du projet sur lequel vous avez travaillé ensemble ici et que vous avez présenté au programme MakersXchange ?
Tina Dolinšek : Nous avons travaillé avec Bernhard Rasinger et Václav Peloušek pendant toute l’année dans le cadre de Modul@rnice, une série de workshops dédiée à la synthèse vectorielle et modulaire. Avec cette série, nous essayons de construire une communauté autour de ce sujet et de créer un espace d’échange de connaissances, de compétences et d’idées. Les années précédentes, nous nous sommes concentrés individuellement sur la synthèse vectorielle, puis sur la synthèse modulaire. Cette année, nous les combinons et essayons de les mettre en œuvre dans une approche plus artistique. L’année 2021 a donc commencé par une conférence en ligne, puis nous avons organisé un atelier de construction d’oscilloscopes et, pour le grand final, Bernhard et Václav ont décidé de développer un projecteur laser DIY. L’idée semblait être une bonne opportunité pour postuler au programme MAX pour deux raisons. Premièrement, nous voulions développer et soutenir nos propres workshops (plutôt que de simplement les accueillir) pour enrichir notre communauté ici à Ljubljana, et deuxièmement, nous voulions connecter nos deux plateformes et communautés éducatives – Modul@rnice et PIFcamp, un camp d’été de hacking qui a eu lieu en août pour la septième fois et qui est un endroit idéal pour développer un projet, le tester et obtenir un retour direct de la communauté.
La présentation de Bernhard Rasinger et Václav Peloušek à Modul@rnice (en anglais) :
Pouvez-vous nous expliquer le projet comme si nous étions des débutants dans ce domaine ?
Václav Peloušek : En gros, ce que nous faisons, c’est que nous essayons de dessiner des formes avec du son. Nous utilisons des synthétiseurs, des synthétiseurs modulaires, pour créer des formes d’onde qui sont visualisées et affichées dans une forme 2D, sur des coordonnées XY. Il y a plusieurs façons de faire cela. La plus courante serait de le faire avec un oscilloscope, où l’on dévie des faisceaux d’électrons, ce qui permet de dessiner la forme sur un fond fluorescent. Nous l’avons fait dans le cadre d’une conférence en streaming. Nous avons montré les bases des modules ou des blocs de construction de la synthèse modulaire que vous pouvez utiliser pour dessiner des formes, parce que les synthétiseurs ne sont pas nécessairement conçus pour faire cela spécifiquement, ils sont conçus avec le son en tête. Mais vous pouvez les utiliser d’une manière différente, les aborder sous un angle différent – pour dessiner des formes d’une manière visuelle. C’était donc la première conférence que nous avons donnée en ligne.
La conférence a été suivie d’un atelier pratique sur la construction d’un oscilloscope. Les gens pouvaient simplement venir, le construire et avoir un dispositif de visualisation à la maison. Le vieil oscilloscope que nous utilisons est l’oscilloscope à tube cathodique. C’est un équipement de laboratoire obsolète, que l’on peut trouver sur le marché de l’occasion, mais qui n’est pas facile à entretenir. Nous avons donc construit un kit de bricolage bon marché d’oscilloscope numérique que nous avons trouvé sur un site web chinois. Nous l’avons piraté et converti en un module Eurorack qui peut facilement devenir une partie de votre système de synthétiseur. Comme il s’agit d’un appareil de mesure, il n’a pas vraiment la même connectivité que les synthétiseurs, nous avons donc ajouté les bons connecteurs – jacks, un panneau avant personnalisé et également une solution d’alimentation appropriée. Après que les participants l’aient construit, nous avons organisé des sessions expérimentales au cours desquelles les gens ont joué avec et nous leur avons montré quelques astuces sur la façon de procéder.
Il est également important de mentionner que Bernhard et moi avons ces projets audiovisuels appelés LaserMedusa et LaserBros, où nous utilisons des projecteurs laser professionnels que Bernhard possède en combinaison avec des synthés modulaires. Nous nous concentrons sur une performance de 30 minutes avec un son intense dessiné par des visuels, où les dessins sont générés par le son, et où on peut entendre les coordonnées XY qui dessinent les formes. C’est l’une des façons amusantes de présenter les choses au public. Mais c’est relativement difficile à faire, parce que les lasers sont relativement dangereux et qu’il faut être certifié pour les utiliser. Bernhard l’est, mais ça reste difficile à faire. Nous avons donc décidé de faire une version simple d’un projecteur laser, que nous avons ensuite développée à PIFcamp. Nous avons utilisé une paire de haut-parleurs et y avons attaché des miroirs, et avons essayé différentes façons de fixer les miroirs. Un miroir dévierait le faisceau laser dans l’axe horizontal et un autre dans l’axe vertical. Nous avons donc mis au point cette installation, qui est très facile à réaliser, il suffit d’une paire de haut-parleurs, de pointeurs laser, de miroirs, de rubans adhésifs double-face pour les fixer, et c’est vraiment une chose facile que vous pouvez construire demain en Indonésie. Nous avons donc développé et joué avec différentes méthodes pour rendre le système très simple, afin que tout le monde puisse le faire. Et ce sur quoi nous nous sommes vraiment concentrés, c’est la documentation, l’information complète sur la façon de le faire soi-même.
Atelier au PIFcamp (en anglais) :
Vous avez récemment organisé un atelier à osmo/za, pouvez-vous nous dire comment cela s’est passé ?
Tina Dolinšek : Le workshop était un bon mélange d’approche pratique, de démonstration et d’improvisation/expérimentation. Václav et Bernhard avaient préparé le lieu pour qu’il ressemble à un terrain de jeu – il y avait 5 installations de différentes combinaisons audiovisuelles que les participants pouvaient essayer, par exemple un vectrex, une installation laser et un oscilloscope, tous connectés à un synthé modulaire différent. L’atelier a commencé par la fabrication du projecteur laser, ce qui a rendu la session expérimentale qui a suivi beaucoup plus accessible et compréhensible. Nous avons également eu une « table ronde » à la fin où nous avons recueilli les commentaires des participants et nous avons été surpris de la qualité de leurs observations, sachant que plus de la moitié étaient des débutants complets.
Vous pouvez obtenir le poster de documentation sur la fabrication du projecteur laser DIY à domicile ici (il a été conçu par Jure Šajn).
Quel est votre objectif avec ce projet ?
Václav Peloušek : Ce que nous essayons de faire, c’est de démystifier le montage d’un projecteur laser ou d’un oscilloscope. Ils peuvent tous deux ressembler à des équipements scientifiques avec des autocollants « dangereux », « appareil dangereux », « ne pas utiliser incorrectement », etc. Nous l’avons donc construit de manière très transparente, vous voyez ce qui se passe, comment les miroirs bougent, etc. Peut-être que les angles ne sont pas si grands que ça et que vous n’avez pas une projection énorme, mais c’est peut-être quelque chose que nous pouvons améliorer. Mais je pense que la preuve de concept a été accomplie.
Au début, nous pensions nous concentrer sur un kit DIY, mais maintenant nous voulons simplement que les gens puissent le faire n’importe où dans le monde, avec des matériaux qui sont vraiment faciles à trouver. Ainsi, n’importe qui pourrait entrer dans un magasin et obtenir toutes les pièces, ou même les gens ont déjà un pointeur laser à la maison, ou des morceaux de miroirs. Nous avons donc pensé qu’il était plus responsable de ne pas produire un kit spécialisé, mais de créer un ensemble d’instructions avec les objets que l’on trouve chez soi, quelque chose de plus durable et de plus transférable.
Tina Dolinšek : Le processus de construction est en effet très simple ! On fixe un petit miroir sur le cône d’un haut-parleur, on pointe le laser sur le miroir et on fait jouer un son. Le haut-parleur se met à vibrer et le laser produit des formes vectorielles, semblables aux figures de Lissajous. Au départ, nous voulions fabriquer un kit, mais comme vous pouvez trouver ces matériaux chez vous ou dans votre fablab local, nous avons pensé à les réutiliser au lieu de produire davantage de déchets. Il est vrai que les kits sont agréables et pratiques, mais je pense que la chose responsable à faire est de toujours réutiliser quand c’est possible.
Václav Peloušek : Si vous regardez d’un point de vue ontologique ce que nous faisons, nous avions un ensemble de haut-parleurs et un projecteur laser, et bien qu’ils fonctionnaient exactement avec les mêmes signaux, il s’agissait toujours de deux appareils différents qui étaient simplement reliés par un fil. Les processus d’affichage des images et de diffusion des sons sont donc séparés. L’utilisation de haut-parleurs pour dévier le laser est vraiment intéressante parce que cela devient la même chose dans l’espace physique. Il ne s’agit pas seulement d’une traduction, d’une visualisation ou d’une sonification, la façon dont on le regarde n’a ainsi plus d’importance, c’est la même chose qui se produit au même moment, ce qui est très important, car c’était quelque chose de difficile à expliquer avec nos performances. Les gens demandaient « est-ce que vous visualisez le son ? » ou « est-ce que vous sonifiez les images ? » et ce n’est ni l’un ni l’autre, vous le faites en même temps.
C’est l’aspect physique de l’expérience qui compte…
Václav Peloušek : Exactement. Nous avons également développé le patch modulaire pour gérer le signal que nous introduisons dans le système. Vous le faites ensemble, vous le distinguez, et donc lorsque vous vous produisez, vous devez respecter à la fois le son et le visuel. On ne peut pas vraiment faire des rythmes classiques de musique électronique parce que c’est trop rapide et c’est alors trop pour les yeux, on se fatiguerait très vite. Ce qui fonctionne le mieux, ce sont les basses ou les drones qui se propagent lentement, quand on peut vraiment apprécier la relation entre ce que nos sens nous offrent.
Tina Dolinšek : Ce que Václav vient de décrire résume aussi très bien ce que nous avons fait pendant toute l’année. Il s’agit de dessiner avec le son, mais aussi vice-versa.
Comment avez-vous commencé cette collaboration à long terme ?
Václav Peloušek : Tina Dolinšek nous a invités, Bernhard et moi, à jouer pour la première fois à Ljubljana pour le festival Strictly Analog en 2017 et ensuite nous avons participé à plusieurs PIFcamps et Bernhard apportait toujours des projecteurs laser, donc nous avons essayé de nombreuses idées différentes et la réponse a été très positive, et c’est aussi probablement ce qui a déclenché chez Tina l’idée de faire cette série de workshops.
Tina Dolinšek : Une énorme inspiration pour moi qui m’a engagée vers la série Modul@rnice était aussi un festival sur la synthèse vectorielle, Vector Hack, que nous avons accueilli en 2018 avec le Ljudmila Lab. C’était la toute première fois que des artistes de ce domaine se réunissaient et se rencontraient en personne – Ivan Marušić Klif et Derek Holzer l’ont initié, ça s’est déroulé à la fois à Zagreb et ici à osmo/za. C’était en fait pour moi la première fois que je m’intéressais à ce type de forme d’art et j’ai voulu poursuivre ce sujet dans le cadre des programmes éducatifs et artistiques de Projekt Atol. Le problème était que nous n’avions pas de communauté à l’époque, seulement des personnes éparses qui avaient des synthétiseurs modulaires, mais pas de communauté et donc pas de personnes pour partager des compétences et des connaissances avec d’autres. Bastl Instruments à Brno a une forte communauté par exemple.
Plus tard, j’ai également été influencé par la Synth Library Prague, qui offre un espace pour le partage et l’apprentissage de la musique électronique et de la synthèse modulaire. Et l’année prochaine, nous essaierons d’établir une bibliothèque de synthèse à osmo/za, à Ljubljana.
Quelle est votre expérience du programme MakersXchange ?
Tina Dolinšek : C’était une bonne occasion de faire quelque chose de nouveau et d’obtenir des fonds supplémentaires pour développer un nouveau workshop ; et aussi de créer des liens avec d’autres makers qui faisaient partie du programme. Néanmoins, je pense que l’ensemble du processus de rapport était un peu trop rigide, pour ce type de petits fonds, un forfait ou une allocation fonctionnerait mieux.
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