The signature ceremony of the Fab City Manifesto at the City Hall of Paris for the opening of the Fab City Summit. © Makery
L’existence du Fab City Index est une chose, son appropriation par les collectivités en est donc une autre. Pour Vincent Guimas de l’association Fab City Grand Paris « Nous avons travaillé avec la Métropole de Lyon et de Paris. A ce jour les gens qui ont ces sujets en main sont plus des politiques que des techniciens. Ce qui est intéressant avec l’application Fab City Index et l’indice, est d’analyser les grandes tendances et de chercher les acteurs qui peuvent manquer. Avec un tel outil on se rend compte que l’on a des industries différentes, mais complémentaires les unes des autres. Par exemple le monde de la crème glacée a des outils assez proches de ceux utilisés dans l’industrie pharmaceutique. Ce qui est important est de trouver ces occurrences. »
A ce jour, la réalité veut que les compétences économiques des territoires soient réparties entre l’Etat, les régions, les métropoles et les intercommunalités. Les villes déclinent leurs politiques économiques, industrielles, fiscales et environnementales avec plus ou moins de coordination et d’ingénierie adaptées, et dans un contexte où le moteur reste celui de la mondialisation et de la prévalence des résultats économiques. Pour Arnaud Florentin, « Aujourd’hui, les makers, dans les chambres de commerce, d’artisanat, d’agriculture, n’ont pas de reconnaissance institutionnelle. Les nouvelles formes de production sont hybrides, alors c’est assez peu accompagné. » Cécile Pelissier explique que la Ville de Paris travaille avec la Chambre de commerce et d’Industrie de Paris, la Chambre des métiers. « Nous échangeons régulièrement et travaillons de manière concertée. Sur la défense de l’artisanat et du petit commerce indépendant, nous sommes totalement alignés » précise t-elle.
Paris a engagé le plan ParisFabrik autour des petites fabriques et de l’économie circulaire. « Le plan a été lancé en 2016. Cela correspond au moment où Paris a rejoint le réseau international Fab City. Les grands secteurs sur lesquels nous pensons pouvoir agir sont le bâtiment, l’agro-alimentaire, le textile, l’ameublement et la production énergétique. Nous savons que nous n’avons pas vocation à introduire de l’industrie lourde en ville. L’idée est de voir comment s’appuyer sur l’existant. Faire en sorte que celles et ceux qui sont présents n’aient pas envie de partir. » Relocaliser dans une ville résidentielle est une gageure. Si Paris tente de redévelopper l’agriculture urbaine en utilisant les toits par exemple, les capitales denses manquent cruellement d’espace pour accueillir la nouvelle génération d’usines. La Ville de Paris a en ce sens chargé l’APUR de faire l’inventaire des activités de fabrication à Paris, notamment au sein des 37 hôtels industriels qui représentent 275 000 mètres carrés dédiés à la production. La ville a confié la gestion de certains d’entre-eux à ses bailleurs sociaux, comme la RIVP ou Paris Habitat, et se sert de ces outils pour permettre aux artisans, makers et industriels de développer leurs activités. Cécile Pelissier cite par exemple une entreprise qui fabrique des sièges pour l’aéronautique ou encore celle concevant les modèles en cire du musée Grévin, qui sont accueillies dans ces hôtels.
Ainsi, les défis de la relocalisation restent à ce jour d’une haute complexité pour les territoires. Au-delà de la nécessité d’une nouvelle vision économique et industrielle à partager avec l’ensemble des acteurs et usagers, ils nécessitent d’agir simultanément sur un grand nombre de leviers politiques. Celui de la commande publique est fréquemment cité. La Ville de Paris utilise des appels à projets comme Les Parisculteurs pour faire émerger de nouveaux acteurs, notamment ceux de la floriculture locale. Mais les outils de la commande publique ne sont pas à ce jour adaptés aux petites entreprises. La Ville de Paris sert 30 millions de repas par an, qui pourraient être fabriqués en circuits courts grâce aux producteurs locaux. Pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, des clauses ont été mises en place pour flécher 25% des marchés vers les TPE/PME et les acteurs de l’ESS. Par ailleurs Paris travaille au développement de partenariats avec des régions agricoles voisines comme l’Yonne. Mais les villes ne pourront relever seules ces défis d’adaptation de la commande publique, qui se joue surtout à l’échelle de la communauté européenne. « Avec des réseaux internationaux comme le réseau Fab City, nous pouvons peser davantage», explique Cécile Pelissier. Enfin les politiques territoriales permettant de relocaliser la production dépendent de diverses règlementations nationales restant à faire évoluer. Arnaud Florentin cite l’exemple des micro-abattoirs ambulants, comme il en existe en Suède. « Ils ont l’intérêt d’améliorer les conditions d’abattage, la traçabilité et la qualité. La question est qu’il y a des enjeux règlementaires, car à ce jour on ne peut pas transformer dans un camion. Seul l’abattage est autorisé. » De l’avis de ces interlocuteurs, la « ville fabricante » ne pourra se développer sans un changement de culture et de modèle industriel, allant de l’Etat aux territoires, en passant par un renouvellement des pratiques de partenariat public-privé, encore très en retard en France.
Produit localement, connecté globalement : le modèle de la fab city
La « ville fabricante » de demain, première étape d’un équilibre local et global perdu
Le Fab City Index et les concepts de « ville fabricante », d’économie circulaire et d’écologie industrielle, apparaissent comme des tendances de fond à prendre en compte, face aux défis environnementaux et aux risques systémiques engendrés par la mondialisation et sa forte linéarité historique. Les villes rassemblées autour du Fab City Challenge se sont fixées pour objectif en 2014 d’atteindre une autonomie productive en 2054. Mais ce réseau porté par des élus visionnaires et des acteurs issus de la culture digitale et micro-industrielle, pourrait lui aussi pâtir d’une certaine forme de linéarité dans ses projections, et de manque de réalisme. L’esprit du Fab City Index a été de proposer une première génération d’instruments de mesure, une stratégie de montée en puissance progressive, et d’insister sur la diversification des activités, de l’effet démultiplicateur local. Dans cette optique, l’association Fab City Grand Paris, a de son côté proposé de réaligner son projet autour des objectifs du Plan Climat 2050 européen et du Plan Climat territorial, car la convergence entre les agendas publics et ceux des acteurs de la nouvelle écologie industrielle semble s’imposer.
Un tel sujet appelle une conclusion prospective. Nous vivons une époque où pour la première fois peut-être, nos générations devront défaire, consciemment, patiemment, dans des situations de chaos aussi, ce que les générations précédentes ont construit. Comme si l’humanité était en train de connaître un possible mouvement de balancier, allant de la culture du chasseur cueilleur mobile et léger à l’agriculteur-éleveur-consommateur enraciné dans le territoire, jusqu’à l’excès désormais. La mondialisation a en ce sens, à la fois été une période de « nomadisme débridé » et de développement d’une « sédentarité ultradépendante » en matière d’accès aux ressources et de capacité d’autoproduction. L’étape de démondialisation qui s’annonce, constituerait un défi culturel, politique et industriel périlleux, mais aussi une aventure historique pour les générations actuelles. Le fait que ce sujet ne semble pas encore au cœur des élections municipales de 2020, indique qu’il manquerait une « conscience et une détermination » commune autour de l’hypothèse d’un mode de vie post-mondialisé, non vécues comme une régression et un repli sur soi. S’il fallait se la figurer, imaginons une personne ayant trop penché d’un côté et risquant de tomber. En quoi serait-ce « une perte » ou un échec, qu’elle penche de l’autre côté pour rechercher un meilleur équilibre ? Plus que le seul souci de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de retrouver une indépendance productive raisonnée et raisonnable, la recherche de cet « équilibre » entre les traditions très anciennes du « vivre léger » et les sociétés sédentaires et dépendantes actuelles, pourrait être une clé de la crise environnementale et civilisationnelle. En ce sens, la relocalisation raisonnée de nos « libres capacités d’adaptation » sur les territoires, et de raccord de nos modes de vie avec les contingences du vivant, devrait en toute logique se retrouver au cœur des enjeux électoraux des années à venir. Et bien sûr pas que.
(1) Jacques Jeanneau, “La diversification des activités de Cholet au second vingtième siècle”, Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1990, pp. 419-430.
En attendant, afin de contribuer au débat sur les élections municipales, et étant donné que la compétence du développement économique est dévolue aux régions, nous avons voulu compléter cette enquête par un entretien avec Charles Fournier, le Vice-Président de la Région Centre-Val-De-Loire en charge de la transition, autour des conditions concrètes et in situ du basculement productif et culturel auquel nous invite le concept de « Ville Fabricante ».
Retrouvez l’étude “Fab City Index France : vers des villes plus fabricantes” sur le site du Think Tank Utopies.
Le prochain Fab City Summit se tiendra à Montréal du 31 juillet au 2 août 2020.