Les Rencontres ArtLabo, récits des temps futurs à Bourges
Published 8 February 2020 by Laurent Diouf
Les Rencontres ArtLabo se tenaient à la friche Antre-Peaux de Bourges le 1er février 2020. Un événement des Human Tech Days de la Région Centre-Val de Loire. Reportage.
Bourges, envoyé spécial
Les Rencontres Art::Labo qui se sont déroulées à Bourges le premier week-end de février ont permis de questionner les limites de notre futur proche. Problèmes écologiques, économiques, technologiques et biologiques étaient ainsi disséqués entre ateliers, présentations, débats, installations, expositions et performances. L’univers des cultures numériques et du vivant se retrouvant ainsi dans un face-à-face “arts & sciences friction”. Tour d’horizon de cette journée fructueuse.
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Human Tech Days
En préambule, rappelons que ces Rencontres Art::Labo s’inscrivaient dans le cadre des Human Tech Days, une série d’événements qui marque le mois du numérique en Région Centre-Val de Loire. L’objectif de cette manifestation étant de promouvoir les cultures numériques, de fédérer et valoriser les acteurs régionaux du numérique autour de nombreuses conférences, démonstrations et workshops en direction d’un public large, rassemblant initiés et néophytes, seniors et enfants. Une charte respectée par les Rencontres organisées par Art::Labo, réseau de recherche-création initié par 4 structures : Labomedia (Orléans), Lieu Multiple (Poitiers), Bandits Mages (Bourges) et Ping (Nantes).
Le lab du futur ?
C’est à l’Antre-Peaux, friche culturelle de Bourges désormais portée par la fusion des associations Emmetrop et Bandits-Mages, que se sont déroulées ces rencontres Art::Labo. Les media labs — fab labs, art labs et/ou hack labs, peu importe finalement l’appellation au regard des usages et de la philosophie de ces structures qui expérimentent le bricolage technique et artistique — sont devenus le symbole de la synergie art / science. Mais depuis l’apparition de ces lieux où s’élaborent “des pratiques laboratoires”, le contexte a changé, les techniques ont évolué, les champs d’expériences se sont élargis, les problématiques se sont multipliées. Partant de cette situation, les rencontres inter-labs qui ouvraient cette journée ont tenté de répondre à cette question fondamentale : quel sera le lab du futur ?
L’idée n’était pas d’éditer un manifeste, mais simplement de croiser les expériences, signaler des parcours, partager les questionnements, valoriser des pistes. À l’initiative d’Isabelle Carlier (Antre-Peaux), Catherine Lenoble (Productions Intérieures Brutes), Julien Bellanger (Ping) et Benjamin Cadon (Labomédia) — et avec d’autres intervenants parmi lesquels Marie Albert (responsable du projet européen S+T+ARTS pour French Tech Grande Provence), Emmanuel Guez (directeur de l’ESAD d’Orléans), Antoine Réguillon (directeur de l’ENSA de Bourges), Magali Daniaux & Cédric Pigot (artistes et éditeurs de UV Editions), Ewen Chardronnet (Makery), Aniara Rodado (artiste et curatrice) — un tour de table a dessiné en creux les contours de ce lab du futur.
Si l’objectif d’un tel lieu reste bien la mise en valeur de pratiques alternatives qui empruntent autant à l’art qu’aux savoir-faire techniques, pas seulement high-tech d’ailleurs, il convient en revanche de redéfinir certaines notions comme l’innovation, de ne pas se centrer uniquement sur le futur justement. Pour certains participants l’urgence est d’ailleurs au présent, pas au futur, surtout compte tenu de la situation socio-politique actuelle. Dans cet esprit, il conviendrait aussi d’en finir avec l’anthropocentrisme et l’entre-soi, faire en sorte qu’un fab lab ne soit pas (ou plus) un lieu totem. Pour cela, il s’agit s’ouvrir sur d’autres structures, d’autres pratiques, d’autres publics, d’autres technologies… Ne pas se restreindre à l’expérimentation pure. En finir avec la dictature des projets. En d’autres termes, un projet doit rester une intention (au sens strict), mais pas une finalité. De même, il faudrait s’affranchir de la novlangue des start-ups et du jargon de la communication guerrière libérale qui ont depuis longtemps colonisé le domaine de la culture. Et surtout privilégier la mise en réseau, penser le territoire différemment, s’ouvrir à la société civile dans son ensemble, à la rue…
Décroissance
L’après-midi était consacré à des ateliers, pour la plupart participatifs, dans le creuset du questionnement sur l’anthropocène que le réseau Art::Labo explore depuis 2015. Dans cet esprit critique, Nicolas Maigret (Disnovation.org) proposait un débat ouvert sur le thème de la post-croissance (Post Growth). Entouré d’un collectif, le public était invité à dialoguer, questionner et réagir sur les nombreux excès de notre monde marchand. Disposés sur des tables, des objets et des cartes illustraient les différents problèmes posés par notre société de sur-consommation et sa religion de la croissance infinie. Les discussions se structurant autour de quelques concepts novateurs pour faire face à la pénurie qui vient : informatique effondriste, énergie zombie, néga-technologie, défuturation… L’idée étant de prôner une prospérité sans croissance, de mettre en œuvre des ressources partagées, de renouer avec le principe de la septième génération; c’est-à-dire rompre avec l’esprit de prédation qui sous-tend la croissance économique, savoir préserver et prendre en compte les implications futures de l’agriculture intensive ou de l’utilisation des gadgets de l’électro-ménagers par exemple.
Dans le même esprit, Cédric Carles (Atelier 21, Station E) proposait une contre-histoire des innovations énergétiques. Une mise en lumière des choix de technologies, de supports et de matières premières faits par l’industrie. Des choix qui sont dictés avant tout par la logique du profit, au détriment souvent de la viabilité, de la pertinence de l’emploi et de l’impact écologique. Son intervention sur la possibilité de recycler les piles alcalines en les rechargeant étant particulièrement démonstrative de ces aberrations. À la suite de cette conférence, Cédric Charles invitait le public à venir témoigner et enrichir son programme de recherche autour d’anciennes inventions et procédés tombés dans l’oubli. De l’antiquité aux Trente glorieuses, les nombreuses fiches exposées témoignaient des multiples alternatives énergétiques rejetées par la société industrielle.
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Recyclage & science-fiction
Autre initiative qui pointe également les limites des ressources naturelles et artificielles, celle de la plateforme Precious Kitchen développée par Hors-Studio, studio de design critique et spéculatif fondé par Élodie Michaud & Rebecca Fezard et Catherine Lenoble et soutenu par La Fabrique d’Usages Numériques. L’objectif est simple : créer des objets et des matières pour l’architecture d’intérieur et la scénographie à partir de chutes et de déchets de l’industrie. Les matériaux récupérés sont divers : bois, cuir, papier, plastique, néoprène… Pour l’atelier de cette journée, c’est de l’acétate de cellulose qui servait de matière première. Utilisé pour la fabrication des montures de lunettes, ces pièces de polymère multicolores, qui peuvent aussi être réduites en fibres, sont “cuisinées” (assemblés puis chauffés) par le public de manière à produire notamment de petits objets de déco pouvant se doubler d’un axe narratif. Pour l’occasion, c’est le roman de spéculative fiction d’Alain Damasio Les Furtifs qui avait été choisi pour prospecter ces nouvelles formes et récits. À la portée de tous, ne nécessitant pas un matériel très sophistiqué, cette démarche illustre bien la vocation de cette plateforme dédiée à la valorisation et au recyclage de ressources à l’échelle locale. Un portail en ligne doit prochainement être mis en ligne, inventoriant les ressources et les recettes pour tester la création de bio-matières et de matériaux de réemploi.
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La science-fiction est également source de réflexion pour l'”UrsuLaB” qui s’inspire directement, comme son nom l’indique, de l’écrivaine Ursula K. Le Guin et de sa théorie de la fiction-panier ; une contre-histoire féministe et pacifiste des paléo-techniques. Né de la volonté de l’Antre-Peaux et de l’ENSA, l’Ursulab est un laboratoire artistique dédié aux bio-médias. Pleinement opérationnelle en septembre prochain, cette structure animera un centre de ressources et de recherche, initiera une programmation d’ateliers et mettra en place des dispositifs de médiation. Dans cet esprit et en avant-première pour les rencontres Art::Labo, la restitution du workshop Bionic Sound Machines mené par l’artiste Oscar Martín offrait une expérience singulière du rapport humain / non-humain au travers d’un dispositif de sonorisation de bactéries piégées dans des coupelles raccordées à des capteurs… Par ce dispositif, Oscar Martín, artiste sonore, se place sur un terrain hybride qui séduit par son étrangeté.
Performances audio-visuelles
Le projet Unborn0X9 du collectif Future Baby Production (initié par Shu Lea Cheang et Ewen Chardronnet), est basé sur une autre forme d’hybridation, au plus près du corps, de l’humain et de la machine. Le projet est issu d’une réflexion sur l’arrivée de l’échographie sur les smartphones (écho-stéthoscopie) et fait suite aux résidences du collectif organisées par Makery en partenariat avec le living lab parisien echOpen qui vise à développer une version open source et à bas coût d’un écho-stéthoscope. Poussant la réflexion sur les enjeux de la “technicisation” de la gestation et alimentant le débat éthique sur la possible “dénaturalisation” de la vie, Unborn0X9 explore les fils spéculatifs entre échographie DIY et ectogenèse (grossesse extra-utérine), telle qu’évoquée il y a près de 100 ans dans Le Meilleur des mondes de Aldous Huxley. Le collectif présentait ici les résultats d’une semaine d’atelier qui vise la préparation d’une installation et d’une performance qui permettront à des performeurs et musiciens du collectif d’interagir avec des “fantômes fœtaux” – ces mannequins de fœtus ressemblant à ces utérus artificiel de la science-fiction qui servent pour l’entrainement à l’échographie du personnel médical. Le collectif a mené trois fronts pendant cette semaine : développement de l’interface audio convertissant les ultra-sons vers l’audible ; sculpture et tests échographique des fantômes fœtaux en agar ; et collecte de témoignages sur les typologies de grossesse, du déni à l’avortement en passant par la procréation artificielle et le droit à la parentalité pour tous. La performance sera jouée à l’Antre-Peaux le 17 avril.
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Le corps, et plus précisément la peau comme territoire de métamorphoses, était aussi au centre de l’atelier d’écriture et d’improvisation proposé par Chloé Lavalette et Mawena Yehouessi. Un workshop suivi en soirée d’une performance au texte très écrit de Chloé Lavalette, (la peau2). Cette conférence performée mêle impressions et réflexions sur la peau comme révélatrice de la fragilité du corps, comme marqueur social et racial, comme enjeu à la fois médical et métaphysique. Et les avancées dans le domaine scientifique, notamment les cultures et la “fabrication” de peau à destination des grands brûlés, sont aussi l’occasion de développer une fiction prospective sur des services d’abonnement à des bio-kits pour modifier radicalement son apparence…
D’autres performances ont conclu cette journée, notamment celle de Shoï Extrasystole & Cyrille Courte, Planetarium interdite. Les deux artistes introduisaient la performance expliquant comment ils avaient durant la semaine redonné vie à un système de projection de planétarium récupéré à la Station de Radioastronomie de Nancay, située non loin de Bourges. Le bloc reconfiguré de la machine ressemblant désormais à un Terminator était relié à structure métallique suspendue, telle une antenne braquée sur les étoiles, et le duo pouvait ainsi nous engager à écouter divers bruits du cosmos qu’il s’amusait à moduler et à combiner avec des visuels intrigants. Plus tard dans la soirée, Diego Liedo Lavaniegos s’est livré à une démonstration sonore abrasive avec générateur de sub-basse “greffé” sur son avant-bras… Ensuite, Nicolas Maigret a proposé une séance de Pirate Cinema : une sorte de cut-up vidéo, en temps réel, autour des films les plus téléchargés en P2P. Passant en revue les titres, genres, provenances et catégories, les extraits s’enchaînent dans un télescopage frénétique reflétant les grandes tendances de la cinéphilie populaire (porno, blockbusters, sports de combat…). Enfin, Yann Leguay a livré un set “post-industriel” et rythmé par les claquements électrostatiques d’un arc électrique amplifié, relié à un synthé modulaire et contrôlé par séquenceur et oscillateur, de manière à pouvoir en jouer comme d’un instrument à cordes.
Les Rencontres Art::Labo aux Human tech Days.