Altérités numériques au festival Gamerz d’Aix-en-Provence
Publié le 3 décembre 2019 par Guillaume Renoud Grappin
L’édition 2019 de Gamerz a été fidèle à l’ADN du festival : des ramifications croisées – artistes, chercheurs, équipe et bénévoles – avec l’Ecole supérieure d’art d’Aix-en-Provence, une exposition phare dans les polygones de la Fondation Vasarely et des soirées de performances sonores et électroniques.
Aux fidélités de lieux et de collaborations il faut également ajouter à l’ADN d’un festival Gamerz qui fêtait sa quinzième édition – thématique après thématique, depuis Digital Défiance, Digital Animisme… – le choix de penser la technologie avant tout comme une relation, traversée de désirs ambigus.
Pas étonnant donc d’être accueilli à l’entrée de l’exposition par les Minitels de 3615 Love, une installation d’art télématique du PAMAL_Group (pour Preservation & Art – Media Archeology Lab), collectif qui crée à partir d’œuvres numériques endommagées ou disparues en raison de l’obsolescence de leurs anciens matériels-support. En l’espèce, 3615 Love fait revivre les Videotex Poems d’Edouardo Kac et un florilège d’œuvres télématiques de Marie Molins, Jacques-Elie Chabert et Camille Philibert.
D’amour il est également question avec L’Intrigue de Fabrice Métais dont les dispositifs drolatiques illustrent à l’envie le thème choisi cette année : « Digital | Alter ». Soit la technique comme relation aux autres ou ce qu’il reste de l’altérité après avoir été (mal)-traité par la machine.
Artiste-chercheur en philosophie, Fabrice Métais s’amuse dans L’intrigue à reprendre le personnage de La science de l’amour là où Charles Cros l’avait laissé. Après s’être un temps prêtée à son « étude scientifique de l’amour » et soumise un temps à un appareillage de thermomètres, de compteurs de baiser et de cardiographes… sa douce Virginie l’avait finalement congédié : « Adieu mon petit savant. Un grand seigneur russe, moins sérieux et plus sensible que vous, m’emporte dans sa malle… »
Reprenant ce fil, Fabrice Métais multiplie les dispositifs arte povera – usant principalement de bois, de papiers collés et d’enregistrements low fi sur de petits écrans – et joue à épuiser la tendresse, les caresses, les pensées amoureuses adressées à Amandine… dans une série de protocoles de répétition mécanique ou poétique.
Pour voir ce qu’il en reste… Ou pas.
Dans la veine malicieuse et pataphysique d’un Robert Filiou, il s’exerce avec un chronomètre à réduire le temps nécessaire à prononcer dix fois le nom de l’aimée, prend en stop des personnes aux arrêts de bus qui n’avaient rien demandé, ou géométrise des enfants dans l’espace en triangle, en carré ou selon les tracés de la Grande Ourse…
Moins poétique mais plus sadique, Jon Rafman détourne un logiciel de simulation des foules pour balancer dans le vide ou faire se percuter entre–elles des rangées infinies de figures humaines standardisées (Poor Magic), une animation en 3D entrecoupée par la vision dérangeante d’un avatar sinuant au milieu d’une coloscopie…
Tout comme Frédéric Métais, Olivier Morvan présente un assemblage hétéroclite et joueur. Un panneau de bois percé obstruant le passage donne au visiteur l’impression d’entrer par effraction – à l’envers ou par les coulisses – dans un petit théâtre symbolique vidé d’une présence que pourtant tout appelle : une forêt de micros – fait de déchets peint et montés sur un pied – semblent attendre une prise de parole, des menottes, et un téléphone attaqué par des clous de charpentier sont négligemment posés… Cet agencement de petits prétextes à fictions évoque là aussi la patte joueuse et les « ouvroirs d’esprit » imaginés par Robert Filiou.
Passons plus rapidement sur la vidéo de Julius Von Bismarck, port altier et longue barbe au vent, promenant un cheval déguisé… dans un costume de cheval… On a connu ce fameux artiste plus inspiré (A race for Christmas).
Demain, les robots
Retrouvons plutôt France Cadet, troisième et dernière monographie de l’exposition, qui a déployé Demain les robots dans le plus vaste polygone de la Fondation, soit sa vision d’une Galerie de l’évolution Cyborg.
En usant d’une variété de dispositifs augmentés – projection holographique, torches à UV, loupes polarisantes, animations et impressions 3D – elle construit le récit didactique d’une fusion avec la machine sur fond d’anthropocène.
A l’entrée, les torches à UV révèlent un bestiaire d’espèces disparues : le Dodo, le Tigre de Tasmanie, l’Emeu noir… Disparitions documentées ironiquement par la mention des mutations en cours à l’encre UV sur une série de vieilles cartes scolaires de botanique et de zoologie.
En parallèle, une sculpture et une installation figurent l’apparition d’une nouvelle espèce : un bébé robot est en passe de franchir les différents stades de son évolution embryonnaire (Embryogénèse poly-gonades). En face de lui, les loupes polarisantes de l’installation vidéo révèlent derrière les écrans d’autres robots en gestation, recroquevillés dans leur matrice artificielle nourricière.
Les autres dispositifs imaginés par France Cadet livrent sa vision contrastée de la relation homme-machine.
D’un côté, la montée historique de la puissance des algorythmes et de l’IA de Deep Blue à Eugène Gostman, chatbot russe qui aurait passé le test de Türing. De l’autre, une mise en scène ironique des limites des logiciels de reconnaissance faciale (que France Cadet s’amuse à dérouter en exagérant ses expressions dans le Facial Action Coding System Face ++) et des usages prédictifs de l’IA (tel le logiciel Compas – pour Correctional Offender Management Profiling for Alternative Sanctions – qui évalue les risques de récidives dans le système pénal US).
En guise de conclusion provisoire, France Cadet nous place devant un mur vidéo de créatures cyborgs, hyperréalistes en 3D, désirables et désirantes, effectuant des micro-mouvements faciaux et suscitant un léger malaise…
Le chant des machines
Pendant cette exposition, et comme à son habitude, Gamerz a invité ses publics découvrir de nouveaux projets sonores à l’école Supérieure d’Art – qui accueille en ses murs le laboratoire Locus Sonus.
Le laboratoire était évidemment mis à contribution, en la personne de Stéphane Cousot avec le projet Zome performé avec ERikM. Un jeu onirique avec les flux sonores et visuels du net perverti par les tensions électriques d’une table de LED qu’ils manipulent ensemble.
En ouverture de soirée, tous avait été inévitablement attiré par un beau globe oculaire transparent suspendu au milieu de la salle. Virgile Abela, dans cette étape de travail prélude à une installation, a joué avec son mouvement, le faisant osciller au centre du public.
comme un pendule sonore et électroacoustique.
Meredith Monk avait changé de sexe ce soir là, à tout le moins son influence était perceptible dans les vocalises et les onomatopées de François Parra, nettes et claquées. La confrontation avec le son granulaire et bruitiste du synthétiseur modulaire de Fabrice Cesario avec Le chant des machines a saisi la grange métallique de l ’Ecole d’Art.
En savoir plus sur le festival et le Lab Gamerz.