A l’Electronic Studio de Radio Belgrade, le plus gros gadget sonore de la ville
Publié le 7 mai 2019 par Dare Pejić
Le buzz autour du son légendaire du synthétiseur d’ex-Yougoslavie EMS Synthi 100 ne s’est pas estompé depuis sa restauration en 2018. Dans les années 1970, il était l’un des plus puissants synthétiseurs de son temps. Svetlana Maraš, compositrice et artiste sonore serbe, a partagé son expérience avec le «Synthi».
Belgrade (Serbie), correspondance.
« Avec toutes ses contraintes, il ouvre des possibilités nouvelles et inhabituelles, et je pense que cela s’avère être un instrument absolument pertinent pour la création de musique électronique. » Svetlana Maraš, artiste sonore ayant étudié la composition sonore dans le champ des nouveaux médias, explique les avantages de travailler avec un très rare exemple de synthétiseur de ce type encore en état de fonctionnement. Pourtant, en 2016 lorsque la radio publique Radio Belgrade 3 (Radio Télévision Serbie) l’a invitée à se lancer dans le projet, c’était loin d’être le cas.
Lorsque Svetlana Maraš le vit pour la première fois, l’EMS Synthi 100 se trouvait dans un ancien et poussiéreux studio de musique électronique de Radio Belgrade. « La renaissance du studio a été impulsée par différentes initiatives : en interne à la radio, principalement grâce aux efforts des programmateurs musicaux de Radio Belgrade 3, Ksenija Stevanović et Ivana Neimarević, deux personnalités importantes du développement de la scène des musiques contemporaine et expérimentale à Belgrade ; mais aussi depuis la Suède, par Paul Pignon, l’un des fondateurs de l’atelier », mentionne Svetlana Maraš qui est aujourd’hui directrice de l’Electronic Studio de Radio Belgrade.
Le savoir-faire des années 1970
C’est principalement dans les années 1970 que la synthèse du son a occupé certaines têtes avant-gardistes en Europe. À la fin des années soixante, le compositeur Peter Zinovieff, en collaboration avec David Cockerell et Tristram Cary, institutionnalisa son studio privé de Londres et fonda Electronic Music Studios, une société spécialisée dans la construction d’instruments de musique électroniques, connue sous l’abréviation de EMS. Des studios similaires furent créés pour accueillir notamment les synthétiseurs EMS à Varsovie, Cologne, Stockholm, Moscou et Utrecht, mais le studio créé en Yougoslavie à l’époque était spécial. Les « Yougoslaves fous » avaient été parmi les premiers à commander un instrument fabriqué sur mesure à l’usine EMS de Londres, instrument qui leur fut livré à Belgrade en 1972, un modèle inspiré de ceux de Varsovie et de Stockholm. « Je crois que Synthi n’existerait pas s’ils n’en avaient pas passé la commande », explique Svetlana Maraš. « Celui de Belgrade porte le numéro de série 4. D’autres, basés sur le même modèle, ont été ensuite fabriqués et expédiés à la BBC, à l’Université de Cardiff, etc.». Trente unités seulement furent construites et vendues.
L’EMS Synthi 100 était un système modulaire volumineux et très coûteux (6 500 £ en 1971). Le Synthi 100 était essentiellement composé de 3 VCS3, le premier des synthétiseurs produit par EMS Londres ; fournissant un total de 12 oscillateurs, deux claviers duophoniques donnant une « polyphonie » à quatre notes plus un séquenceur numérique à 3 pistes. L’instrument comportait également des modules optionnels, notamment un Vocoder 500, ainsi qu’une interface permettant de se connecter à une interface visuelle via un ordinateur PDP8 appelé « Computer Synthi ».
Après avoir passé plus de 10 ans sans fonctionner, il a fallu restaurer l’EMS Synthi 100 de Belgrade. Mais pas dans l’objectif qu’il devienne un objet de musée ou une relique du passé, mais un instrument pleinement utilisé. Le Britannique Paul Pignon, en association avec Vladan Radovanović, cofondateur de l’Electronic Studio en 1972, est l’initiateur de la rénovation. La restauration a été réalisée par Daniel Araya, d’EMS Stockholm, et Jari Suominen, un spécialiste des réparations de Finlande. En 2016, ils avaient travaillé tous les deux à la restauration d’un autre exemplaire du synthétiseur pour la Documenta d’Athènes. En raison de « circonstances exceptionnellement positives et enthousiastes », les travaux de restauration ont pu être achevés l’an dernier.
Visite à l’Electronic Studio de Belgrade (en anglais) :
Un futur pour le Synthi avec Svetlana Maraš
Svetlana Maraš, une artiste sonore formée elle-même aux environnements numériques, a dû débuter en autodidacte sur le Synthi 100. Comme il n’existe pas de tuto sur youtube pour son utilisation, le manuel de 100 pages rédigé par Paul Pignon reste le Graal du Studio. « C’est plus un poste de travail qu’un instrument », ajoute Svetlana Maraš, tout en décrivant le rôle du Synthi dans la création musicale d’aujourd’hui. « Cela vous donne la possibilité de créer des choses avec le séquenceur et d’ouvrir la voie au numérique ». La convergence rendue possible par le poste de travail « offre des possibilités incroyablement intéressantes et implique une façon différente de penser en musique. »
L’EMS Synthi 100 est actuellement protégé en tant que patrimoine culturel tangible sous les auspices du Musée des Sciences et Technologies de Belgrade. Svetlana Maraš est déterminée à ouvrir les portes du studio et à dévoiler l’aura d’exclusivité des temps anciens. L’objectif est de réinterpréter les œuvres anciennes et de faire revivre les riches archives sonores du studio. Cela dit, depuis l’année dernière, l’Electronic Studio de Radio Belgrade accueille des artistes artistes et compositeurs internationaux encouragés à dialoguer avec la scène artistique locale. Des artistes sont passés en résidence au studio comme Thomas Köner, Paul Omen, Robert Lippok, Lisa Stenberg, Mia Zabelka et Rastko Lazić, Zlatko Baracskai. L’Electronic Studio continue de promouvoir activement la transmission des connaissances en organisant des cours, qu’il s’agisse d’apprendre les bases en électroacoustique ou des méthodes plus construites pour la synthèse sonore avec « Synthi ».
Une compilation d’œuvres réalisées entre 1972 et 2000 à l’Electronic Studio de Radio Belgrade :
Les sites internet de Svetlana Maraš et Electronic Studio Radio Belgrade.
La page de l’EMS Synthi 100 sur Wikipedia.