De Lausanne à Hong Kong, 20 ans de Solar Sound System (2/2)
Publié le 19 mars 2019 par Ewen Chardronnet
Déjà vingt ans de Solar Sound System, l’occasion pour Makery de revenir sur l’épopée du projet avec le fondateur Cédric Carles. Seconde partie de l’entretien.
A partir du 21 mars, avec un premier rendez-vous de 20 heures de stream sur la Radio 3S et une fête à la Station E à Montreuil, le Solar Sound System proposera cette année une série d’événements pour célébrer vingt années d’existence.
La semaine dernière, nous vous proposions la première partie d’un entretien réalisé avec Cédric Carles, le fondateur du Solar Sound System. Il revenait pour Makery sur les premières années du sound system à Lausanne, comme sur leur participation au programme européen EDEN (Education à l’Energie) entre la Suisse et la France qu’il coordonnait pour l’Ader au milieu des années 2000. Dans cette seconde partie, il évoque la multiplication des Solar Sound Systems de par le monde, la recherche qu’ils mènent avec l’association Atelier 21 et les aventures du Solar Sound System parisien des Grands Voisins à la Station E à Montreuil.
En tant que coordinateur tu deviens un peu la locomotive dans tout ça ?
C’est vrai, mais un sound system ce n’est pas l’affaire d’une personne, c’est une énergie, une dynamique collective, donc on s’encourage, on se serre les coudes avec les équipes impliquées, et puis ce sont les rencontres, qui ont fait que le projet a perduré et qu’il a aujourd’hui 20 ans. Avant les années du programme EDEN on avait exposé par exemple le projet à la Biennale du Design de Saint-Etienne, avec notamment un vrai piratage sonore imprévu dans la halle d’exposition avec Tony Light et l’équipe de la boutique Snug Shop. On va collaborer avec Matt Black de Cold Cut le fondateur de Ninja Tune, faire plusieurs fois la Techno Parade, les Nuits Sonores, etc.
Le Solar Sound System à la Techno Parade 2014 à Paris, avec Matt Black de Ninja Tune :
Le Solar Sound System c’est une vraie sérendipité. Par exemple vers 2011, je rencontre Rubens Ben, un dj, photographe, digital nomad, sur une date du Solar sur les bords de Loire, un petit festival de bateliers écologiques de Loire, vu qu’on aime bien amener aussi le system dans l’esprit guinguette. Ce sera Rubens qui va ensuite monter l’antenne de Tel-Aviv.
C’est aussi dans cette période qu’on monte un projet à Bangalore en Inde avec l’équipe de Vialka qui avait déjà travaillé avec nous à Lausanne et qui ont beaucoup activé de projets du Solar. Ce sera le projet « Rock the Sun » avec l’organisation Jaaga qui travaille à Bangalore sur l’inclusion et l’architecture temporaire et qui mélange locaux et hackers, makers, artistes, etc. On s’aperçoit là-bas qu’ils ont régulièrement des coupures électriques, ce qui pose problème aux geeks et codeurs locaux, et de ce fait on leur conçoit un système fonctionnant avec un onduleur UPS (Uninterruptible Power Supply), stocké chez Jaaga mais également déplaçable dans des caisses (sono, table, onduleur, etc.) à seulement deux personnes. C’est un projet qui tourne toujours (blog et vidéo making-of).
Et l’installation d’Atelier 21 à Paris ?
Quand je reviens de Bangalore, le Solar Sound System parisien est à l’époque hébergé à Choisy-le-Roy par Bilum, une entreprise qui recycle des bâches, des gilets de sauvetage, des voiles de bateaux, etc., pour concevoir des accessoires, une vrai démarche d’économie circulaire très chouette. C’est là que je rencontre Thomas Ortiz, qui a fait un double cursus art et ingénierie matériaux à Grenoble, qui fait de la musique avec son frère Lucas Ortiz sous le nom Les Frères. Lucas officie aujourd’hui dans le groupe Ovhal 44. Avec Thomas on va travailler sur le recyclage d’une bâche de 5mx5m que j’avais ramené de la tournée du Solar en Inde et on va sympathiser et continuer à travailler ensemble. On s’embarque sur la création de l’association Atelier 21 avec Thomas et Rubens, pour élargir les activités, on va travailler sur les programmes de recherche sur la précarité énergétique et puis sur les Smart Grids de la Cité du Design, développer le projet de recherche Paléo-Energétique, qui donnera naissance à un kit de réemploi de piles alcalines avec RegenBox qui est un ancien brevet tombé dans le domaine public.
Ces projets parallèles qui racontent des choses sur la précarité énergétique ont aussi été rendus possibles par le fait que depuis que le Solar s’est installé à Paris, on a décidé de rationaliser les activités, de leur donner une viabilité économique plus pérenne. On avait fini par prendre conscience que malgré toutes les demandes à l’étranger, il y a eu beaucoup de choses qui n’avaient pas fonctionné comme on l’espérait, au Cameroun, en Haïti, au Brésil, qui manquaient de suivi. On s’est dit qu’il fallait un système plus cadré, qui s’appuie sur un réseau d’antennes. Aujourd’hui il y a une antenne à Berlin, une autre au Pays Basque, il y a toujours l’antenne de Lausanne, il y a celle de Tel-Aviv, on en a monté récemment une à Hong-Kong, il y a de la demande pour Boston, Singapour, l’Afrique, la Nouvelle-Zélande…
Avec nos petits moyens on essaye de sponsoriser des itérations, de les aider à cofinancer et construire leur sound system local, et si cela rapporte de l’argent, on encourage les membres du réseau à reverser de l’argent pour entretenir la radio 3S et nos développements tech sur les solars, soutenir la recherche. La radio a été créée il y a trois ans et pour rester cohérent elle est bien sûr hébergée à l’énergie solaire. Le principe est qu’on partage l’accès entre toutes les antennes et que chacun peut y poster des mixs, des track-lists, prendre la main et streamer en direct, etc. C’est aussi vu comme une bonne promotion pour les labels qui veulent diffuser sur nos ondes transnationales mais potentiellement aussi sur les sound systems du réseau.
En 2015 vous débarquez aux Grands Voisins ?
On quitte en effet Bilum pour s’installer dans la première version du projet des Grands Voisins. Cela nous a donné plus de visibilité sur Paris, et en ce sens le développement des antennes a été aussi rendu possible par des sponsors qui ont pu nous croiser sur cette expérience. On est aujourd’hui soutenu par la Fondation Schneider Electric qui a soutenu l’installation du Solar Sound System à Hong-Kong, qui soutient la radio, qui expose régulièrement avec nous la grande histoire des innovations énergétiques du projet Paléo-Energétique. Enercoop va nous soutenir aussi avec par exemple les Solar Disco.
Il faut voir aussi que l’époque a changé, jusqu’à présent on voulait conserver notre fonctionnement autonome, mais depuis il y a eu Fukushima, la COP21, on voit bien que nous ne sommes plus catégorisés péjorativement comme des alterno-écolos pour qui tout va mal. Donc cela nous permet aujourd’hui d’assumer des propos, de trouver des partenaires intelligents qui nous comprennent, d’aller assez loin, de montrer des modes de vie soutenables, de faire de la recherche, tout en continuant de mobiliser les communautés et stimuler la rencontre des acteurs via le Sound System. En ce sens ces dernières années et le passage aux Grands Voisins ont été une belle expérience de transformations.
Aujourd’hui vous êtes installés à Montreuil avec le projet Station E…
Quand on apprend que le projet Grands Voisins va se resserrer on répond à un appel à projets d’Est Ensemble d’occupation de friches. On postule sur une parcelle au 236 rue de Paris à Montreuil. Sur la parcelle il n’y a rien, pas d’électricité, pas d’évacuation d’eau. On propose d’y installer notre système solaire dans des containers, nos dynamos et vélos, une phytoépuration. On est choisi, et on nomme le site Station-E, E pour Energie, pour ironiser sur la start-up nation peut-être, ou peut-être pour le E d’Effondrement aussi.
Une année auparavant on avait imaginé poser le Solar Sound System de Berlin dans un container autonome nommé Energy Station à coté de l’aéroport de Tempelhof où on était off-the-grid. C’est à l’image de ce qui nous porte, car depuis qu’on s’est engagé dans le projet Paléo-Energétique on creuse inlassablement dans les anciens brevets. Il y a trop de choses oubliées, de systèmes énergétiques qui ont disparu, parce qu’ils n’étaient pas forcément assez rentables dans leur époque, ou pas « scalables » comme on dit, dans les après-guerres, au moment de la crise du pétrole, etc. C’est fou ce que l’on peut inventorier dans le domaine de la cogénération, de l’éolien, du solaire thermique, des véhicules électriques, hybrides, avec des pépites lowtech qui remontent parfois jusqu’au 18ème siècle. Le livre Rétrofutur qu’on a travaillé collectivement est l’illustration de cette recherche.
Tout ce champ a ouvert un travail important sur des typologies de sujet de recherche. On a par exemple été soutenu par la Fondation Bouygues Telecom pour travailler sur le focus crucial du stockage des énergies renouvelables. Comme elles sont intermittentes, il faut pouvoir avoir des stocks tampons pour pouvoir les redistribuer quand on en a vraiment besoin. Et si on avait la puissance d’un institut on irait d’ailleurs chercher de manière plus systématique encore dans les archives. On interagit avec des écoles et un réseau de bénévoles, on publie aussi des missions pour les universitaires. On pense en ce sens qu’il faudrait enseigner l’énergie à l’école, comme une matière transdisciplinaire.
L’énergie c’est le sang de nos sociétés, et avec le Peak Oil qui pointe le bout de son nez, nos sociétés sont entrées en récession. Il faut apprendre à sortir ou à gérer nos dépendances aux énergies, à penser résilience. Il y a d’ailleurs certainement des pistes à trouver avec des addictologues, encore un nouveau chantier de recherche qu’on serait impatient d’explorer !
Et donc la Station E c’est un prototype de micro-système résilient ?
Oui, la Station-E est, mine de rien, un point dans la ville où l’on sait que l’on peut venir pour écouter de la musique, recharger son portable ou ses appareils électriques, apprendre sur l’énergie, avoir de la lumière, sur un système autosuffisant en cas de coupure et alimenté en électrons verts par Enercoop. En milieux urbains connectés au réseau ce serait une aberration de dire qu’il faut utiliser des batteries, ce serait une aberration énergétique. Par contre le container bleu autonome Energy Station est le prototype d’un système qu’on avait imaginé un temps après la catastrophe aux Philippines, puis pour Berlin et qui postulait un container sécurisé qui pourrait résister à des tempêtes très puissantes, avec un système UPS, avec du wifi, un peu de telecom, un lieu avec des enceintes pour diffuser de la musique, du matériel pédagogique, les messages d’urgence, les discours du village, en autonomie complète, dans le cas où le reste des infrastructures énergétiques se serait effondré. Comme un groupe de secours en cas de soucis, cela peut paraître exagéré par chez nous, mais il y a plein d’endroits où cela aurait une réelle pertinence.
Et comment vous allez célébrer les 20 ans ?
On va organiser plusieurs événements cette année à commencer par le 21 mars un stream de 20h sur la radio, en commençant par Hong-Kong, puis Tel-Aviv, Paris, etc. On ouvrira pour l’occasion la station ce jeudi 21 mars, dès 10h et jusqu’en soirée, de manière à annoncer aussi la saison qui arrive.
Le 18 mai on participera au festival de l’Observatoire du partage. On veut faire des choses autour du partage des savoirs, axé sur les besoins vitaux : eau, énergie, alimentation et on accueillera le projet de supermarché coopératif La Caravane, un bar à graines, ainsi qu’une série de rencontres autour du partage de savoir pour plus de résilience, de l’agriculture DiY. Et puis comme l’effondrement est un vrai sujet aujourd’hui, on fera des rencontres sur les solutions concrètes pour savoir comment y réagir. On organisera aussi une semaine estivale pour les vingt ans, avec les présences physiques des équipes de Lausanne, du Pays Basque, d’un maximum de ceux qui ont fait le réseau Solar. Il y a de l’énergie collective autour du Solar, on veut la partager et il y en a d’ailleurs jamais eu autant.
Retrouvez la première partie de cet entretien.
Le Livre Rétrofutur, une contre-histoire des innovations énergétiques (Buchet-Chastel, 2018).
Le site internet du Solar Sound System.
Le stream de 20 heures et l’Aequinoctium Party à la Station E, première série d’événements pour les 20 ans du Solar Sound System, le 21 mars.
Cet entretien est dédié à Yoshi Hitchcock (Deviant Disco).