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Au Bénin, l’architecture en commun à l’Atelier des Griots

Tous autour de Cortex, l'artiste béninois invité à une séance de l'Atelier des Griots. © L'Atelier des Griots

Depuis un an et demi, L’Atelier des Griots, une ONG d’architectes et urbanistes, initie à Cotonou des chantiers d’un nouveau genre, afin d’accompagner les communautés à se réapproprier leurs espaces publics. Immersion dans ces ateliers du samedi.

Cotonou, correspondance

Co-fondé par l’architecte béninois Habib Mémé, diplômé du Wentworth Institute of Technology de Boston aux Etats-Unis et du Politecnico de Milan en Italie, et par John Stephen Ellis, son ancien professeur d’architecture à Boston, L’Atelier des Griots vise à soutenir les communautés locales de quartiers délaissés dans une démarche participative de réaménagement de leurs espaces publics et/ou stratégiques via des projets intégrant une forte dimension exploratoire pour une architecture qui leur soit identitaire.

Sur la plage, les populations ont construit elles-même leurs habitats, qualifiés d’informels © L’Atelier des Griots
Habib Mémé et John Stephen Ellis observent de près ces savoir-faire constructifs © L’Atelier des Griots

Convaincu de l’importance d’intégrer les établissements dits informels dans les paysages et tissus urbains de Cotonou, au lieu de les en écarter, Habib Mémé porte un regard curieux et inspiré sur ces quartiers : «  Je vois une architecture vraie, nécessaire et de besoin, pas une architecture fausse et capricieuse. Je vois une architecture locale, pratique, écologique, qui a une identité, de la vie et des couleurs. C’est fascinant comment de simples habitants, sans formation en architecture ou en ingénierie sont capables de construire de façon plus responsable que nous les professionnels diplômés. On a beaucoup à apprendre d’eux, ce serait une erreur de ne pas les considérer. »

A gauche, l’américain John Stephen Ellis et à droite, le béninois Habib Mémé, lors de la présentation du projet à l’Ambassade des Etats-Unis au Bénin © L’Atelier des Griots

Depuis huit ans, le duo mène une étude minutieuse des établissements qualifiés d’informels à Cotonou, à Ganvié, en allant à la rencontre des communautés qui pratiquent l’auto-construction, en observant leurs cultures constructives, en apprenant de leurs savoir-faire et astuces, en écoutant leurs histoires, en vivant à leurs côtés, tels des anthropologues et sociologues. Au fil des séjours, de véritables amitiés se sont même nouées. Pour Habib Mémé et John Stephen Ellis, ce processus s’avère nécessaire car il permet d’établir un lien de confiance, qui facilite l’échange de savoirs endogènes. Et c’est précisément dans ces quartiers que personne ne regarde, que se trouvent, selon eux, les solutions pour se réapproprier une identité urbaine et architecturale vernaculaire, résolument africaine, simple mais riche, et surtout écologique.

Pour Habib Mémé, « l’architecte africain doit se mettre au service de l’ensemble de la communauté, pas seulement de ceux qui en ont les moyens.» C’est en jonglant entre l’Atelier des Griots et la direction du Cabinet Architecture du Soleil qu’il se challenge et trouve son équilibre.

Les griots de l’architecture

Dans la tradition orale africaine, le griot -issu d’une lignée familiale de griots- est une sorte de conteur, presque historien, qui transmet sa connaissance, partage des histoires. Musicien, chanteur, poète, c’est avant tout un médiateur qui incarne la mémoire de la famille, du village, du pays. Au début du projet, des séances d’échanges ont permis d’écouter les habitants raconter leur quartier, leurs souvenirs, leurs familles, afin de retracer l’histoire du lieu, redécouvrir sa genèse, son identité profonde.

Séance d’écoute et d’échanges avec la communauté d’Akpakpa Dodomey Enagnon © L’Atelier des Griots

L’Atelier des Griots revendique ainsi la participation active des communautés, impliquées dans le projet de A à Z. L’enjeu est d’emmener la communauté à réaliser ses rôle, pouvoir et potentiel quant à l’amélioration de son cadre de vie ; de lui fournir tous les outils nécessaires à la pérennisation du processus pour qu’elle puisse à son tour assister une autre communauté. L’autonomie et l’indépendance des habitants vis à vis de la gestion de ces espaces regénérés est la clé, selon les deux architectes, pour qui l’Atelier des Griots dépasse le simple volet architectural pour véritablement incarner un moteur de développement durable.

Akpakpa Dodomey Enagnon : premier projet

Vue aérienne du quartier Akpakpa Dodomey Enagnon à Cotonou © L’Atelier des Griots

Le premier territoire d’exploration se situe à Akpakpa Dodomey Enagnon, quartier de Cotonou avoisinant les 20000 habitants, et dont la proximité avec l’Océan implique une histoire forte liée à la pêche. L’actuelle Maison des Jeunes, une cour donnant sur une estrade couverte, a rapidement été identifiée comme un espace public à regénérer en vue d’améliorer la vie de la communauté en proposant des services comme une bibliothèque, un jardin éducatif, un espace dédié à la culture, permettant également l’organisation de fêtes.

Modélisation 3D de la future Maison des Jeunes, incluant des matériaux locaux © L’Atelier des Griots

Le projet a été entièrement co-conçu par la communauté de l’Atelier des Griots, incluant sur le même plan architectes, urbanistes, dessinateurs et habitants. La phase de conception et les plans quasiment bouclés, le projet entame une nouvelle étape, pratique : l’exploration du recyclage des matériaux présents dans le quartier.

A même le sol, dans la rue, les Griots planchent sur les plans © L’Atelier des Griots
Chaque samedi, pendant des mois, chacun a pu s’exprimer sur la conception architecturale de la Maison des Jeunes © L’Atelier des Griots

A la pêche aux matériaux dans le quartier

Samedi 14 Avril, 16 heures. Dans les rues du quartier Akpakpa Dodomey, des tee-shirts noirs et verts siglés « L’atelier des Griots » se dirigent vers la Maison des Jeunes.

L’Atelier va démarrer, les Griots affluent et se regroupent © L’Atelier des Griots

A l’ordre du jour : une marche en groupe dans tous les vons avoisinant la Maison des Jeunes, afin d’observer la tectonique, analyser les savoirs constructifs, se renseigner sur les techniques de fabrication, s’imprégner des couleurs, de la vie, de l’atmosphère et collecter des éléments à recycler, à explorer, pour voir dans quelle mesure les intégrer au projet. Mais avant de partir, le groupe se prête à son rituel. Nous formons un cercle, mains dans les mains, le temps d’un silence, avant de se rapprocher, mains au centre, afin d’ouvrir la séance par une sorte de cri de guerre retentissant motivant, mêlant français, anglais et cris revitalisants ! Parfait exemple de l’esprit de solidarité et de la cohésion qui caractérisent ces Griots.

VIDEO rituel

Repérage de matériaux locaux naturels à exploiter dans la future Maison des Jeunes © L’Atelier des Griots
Fin d’atelier sur la plage pour un bilan des matériaux récoltés et un brainstorming sur leurs potentiels © L’Atelier des Griots

Exploration matériaux

Samedi 21 Avril, 15 heures. Les griots arrivés, le rituel effectué et la motivation au top, six groupes sont formés pour étudier et maquetter les idées de la semaine précédente : mobilier en bois de palettes, faux-plafonds en palmier ; recyclage d’un filet de pêche, de chutes de pagnes, de semelles de tongs, de chambres à air, de pneus. Au boulot !

Pneus et chambres à air recyclés pour la fabrication de fauteuils © L’Atelier des Griots
Réalisation de faux-plafonds décoratifs en branches de palmier et chutes de pagnes © L’Atelier des Griots
Des palettes démontées pour la fabrication d’un fauteuil © L’Atelier des Griots

La communauté particulièrement bricoleuse et efficace transforme en trois heures la cour et l’estrade en un véritable fablab où s’échangent outils et idées, dans la bonne humeur. Pendant que certains discutent avec ferveur de leurs propositions, d’autres s’organisent et se relayent pour scier, découper, clouter et faire évoluer les maquettes. L’atelier se conclut par une présentation des travaux de chaque groupe, qui donne à voir des éléments concrets, permettant de se projeter dans le projet, de le concrétiser.

Atelier artistique avec Cortex

Samedi 28 Avril, 15 heures, Maison des Jeunes d’Akpakpa Dodomey. Même rituel, même énergie et enthousiasme, c’est reparti, avec comme invité l’artiste béninois Cortex, qui œuvre dans le recyclage. Régulièrement, des professionnels extérieurs viennent animer les ateliers, contribuer, et booster l’équipe. Les enfants du quartier affluent pour venir participer : lavage des matériaux récupérés, puis création de masques, peinture, assemblage. Ces masques viendront habiller les murs du futur bâtiment.

Essais de sol ou de toiture en semelles de tongs recyclées © L’Atelier des Griots
Les enfants composent leurs masques © L’Atelier des Griots
Masque en cours de réalisation, qui habillera les murs de la Maison des Jeunes © L’Atelier des Griots

 

L’actuelle phase de prototypage représente une étape cruciale pour les Griots, qui comptent bien apporter des preuves de concepts convaincantes afin de mettre toutes les chances de leur côté en vue d’une levée de fonds prévue d’ici la fin de l’année, qui permettra de donner un sérieux coup de pouce à la construction. A suivre !