Au Bénin, l’Atelier des Griots explore l’architecture en commun
Publié le 15 mai 2018 par Caroline Grellier
A Cotonou depuis un an et demi, des architectes urbanistes réunis dans l’Atelier des Griots proposent des chantiers d’un nouveau genre, où les communautés se réapproprient leurs espaces publics.
Cotonou, correspondance
« Je vois une architecture vraie, nécessaire et de besoin, pas une architecture fausse et capricieuse ; je vois une architecture locale, pratique, écologique, qui a une identité, de la vie et des couleurs. C’est fascinant comment de simples habitants, sans formation en architecture ou en ingénierie, sont capables de construire de façon plus responsable que nous, professionnels diplômés. » C’est l’une des leçons qui a inspiré à l’architecte béninois Habib Mémé l’Atelier des Griots, au Bénin. Depuis 2017, cette ONG créée par ce diplômé du Wentworth Institute of Technology de Boston aux Etats-Unis et du Politecnico de Milan (Italie) avec John Stephen Ellis, son ancien professeur d’architecture à Boston, ouvre un espace pour l’architecture identitaire, où les communautés de quartiers délaissés de Cotonou se retrouvent lors d’ateliers participatifs pour réaménager leurs espaces publics. On a pris le projet en route et participé à trois samedis griots.
La Maison des jeunes d’Akpakpa Dodomey Enagnon
Samedi 14 avril, 16h. Akpakpa Dodomey Enagnon, un quartier de Cotonou d’environ 20.000 habitants, où la proximité avec l’océan implique une histoire fortement liée à la pêche. C’est l’actuelle Maison des jeunes, une cour donnant sur une estrade couverte, qui a été choisie comme espace public à régénérer pour améliorer la vie de la communauté.
L’Atelier des Griots (architectes, urbanistes, dessinateurs et habitants du quartier) a imaginé la transformation : une bibliothèque, un jardin éducatif, un espace dédié à la culture, et pourquoi pas l’organisation de fêtes.
Puisque la phase de conception et les plans sont quasiment bouclés, une nouvelle étape, pratique, consiste à explorer le recyclage des matériaux présents dans le quartier.
A la pêche aux matériaux
Dans les rues du quartier, des t-shirts noirs et verts siglés « L’Atelier des Griots » se dirigent vers la Maison des jeunes. A l’ordre du jour : une marche en groupe dans le voisinage afin d’observer la tectonique, analyser les savoirs constructifs, se renseigner sur les techniques de fabrication, s’imprégner des couleurs, de la vie, de l’atmosphère et collecter des éléments à recycler, à explorer, pour voir dans quelle mesure les intégrer au projet.
Mais avant de partir, c’est l’heure du rituel. Le groupe forme un cercle, mains au centre, afin d’ouvrir la séance par une sorte de cri de guerre retentissant et motivant, mêlant français, anglais et cris ! Parfait exemple de l’esprit de solidarité et de la cohésion qui caractérisent les Griots.
Dans la tradition orale africaine, le griot est plus qu’un conteur, une mémoire qui transmet ses connaissances et partage des histoires. Musicien, chanteur, poète, ce médiateur incarne la mémoire de la famille, du village, du pays. Aux premières séances de l’Atelier des Griots, m’explique Habib Mémé, des séances d’échanges ont permis d’écouter les habitants raconter leur quartier, leurs souvenirs, leurs familles, afin de retracer l’histoire du lieu, redécouvrir sa genèse, son identité.
Potentiels des matériaux
Samedi 21 avril, 15 heures. Les Griots arrivés, le rituel effectué et la motivation au top, six groupes sont formés pour étudier et maquetter les idées de la semaine précédente : mobilier en bois de palettes, faux plafonds en palmier, recyclage d’un filet de pêche et de chutes de pagnes en coussins, de semelles de tongs en toiture ou sol, de chambres à air, de pneus. Au boulot !
La communauté particulièrement bricoleuse et efficace transforme en trois heures la cour et l’estrade en un véritable fablab où s’échangent outils et idées, dans la bonne humeur. Pendant que certains discutent avec ferveur de leurs propositions, d’autres s’organisent et se relayent pour scier, découper, clouter et faire évoluer les maquettes.
L’atelier se conclut par une présentation des travaux de chaque groupe, qui donne à voir des éléments concrets pour mieux se projeter dans la future maison.
Atelier artistique
Samedi 28 avril, 15h. Même rituel, mêmes énergie et enthousiasme. Aujourd’hui, l’Atelier accueille un invité, l’artiste béninois Cortex, qui œuvre dans le recyclage. Régulièrement, des professionnels extérieurs viennent contribuer et booster l’équipe. Les enfants du quartier affluent pour participer : on lave les matériaux récupérés, on crée des masques qui viendront habiller les murs du futur bâtiment, on peint, on assemble.
Cette phase de prototypage est une étape cruciale pour les Griots, qui comptent bien apporter des preuves de concepts convaincantes afin de mettre toutes les chances de leur côté : une levée de fonds prévue d’ici la fin de l’année devrait en effet permettre de donner un sérieux coup de pouce à la construction.
L’Atelier des Griots mise sur la coconstruction depuis les étapes initiales d’observation, de conception des plans et de discussion jusqu’à ces séances de prototypage. Habib Mémé veut s’inspirer des habitats « informels » des paysages et tissus urbains de Cotonou.
Cela fait huit ans déjà que John Stephen Ellis et Habib Mémé étudient les établissements qualifiés d’informels à Cotonou, à Ganvié, rencontrent les communautés qui pratiquent l’autoconstruction, observent leurs cultures constructives, apprennent de leurs savoir-faire et astuces, écoutent leurs histoires et vivent à leurs côtés, tels des anthropologues et sociologues de l’architecture. De quoi nouer de véritables amitiés qui facilitent l’échange de savoirs endogènes. C’est dans ces quartiers que personne ne regarde que se trouvent, selon eux, les solutions pour se réapproprier une identité urbaine et architecturale vernaculaire, résolument africaine, simple mais riche, et surtout écologique.
Pour Habib Mémé, qui jongle entre l’Atelier des Griots et son cabinet Architecture du soleil, « l’architecte africain doit se mettre au service de l’ensemble de la communauté, pas seulement de ceux qui en ont les moyens ». Persuadé que l’autonomie et l’indépendance des habitants sont non seulement une nouvelle forme d’architecture, mais aussi un moteur de développement durable.
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