Africa OSH: «Africaniser le mouvement maker»
Publié le 10 avril 2018 par Ewen Chardronnet
Le premier Africa Open Science Hardware Summit aura lieu du 13 au 15 avril à Kumasi au Ghana. Thomas Hervé Mboa Nkoudou, coorganisateur de l’événement, a répondu à nos questions.
Thomas Hervé Mboa Nkoudou est président de l’Association pour la promotion de la science ouverte en Haïti et en Afrique (Apsoha), qui est (notamment) à l’origine du premier rendez-vous Africa Open Science & Hardware, du 13 au 15 avril au Ghana, et dont Makery est partenaire. Ce doctorant en communication publique à l’université Laval au Canada mène une recherche sur la science ouverte et plus particulièrement sur les fablabs en Afrique francophone. En amont de cette première manifestation dédiée au matériel pour la science ouverte, il a répondu à nos questions.
Quels sont les objectifs de l’événement Africa OSH Summit?
Ces dernières années, le mouvement maker s’est largement répandu dans le monde et l’Afrique n’est pas en reste. De plus en plus de fablabs, d’espaces de cocréation, d’espaces d’innovation ouverte s’y multiplient. Cependant, le mouvement, tel qu’il est diffusé en Afrique, semble être une copie ou un essai de reproduction de ce qui a été fait au MIT, en France, bref en Occident. L’idée générale d’Africa OSH est d’ouvrir une conversation par et pour les Africains sur comment tirer profit du mouvement maker, de l’open science, de l’open hardware. Afin de les penser à partir de nos propres réalités sociales, culturelles et politiques ; sans pour autant nous refermer sur nous-mêmes.
D’où est venue l’idée d’organiser ce premier évènement Africa OSH?
Elle a émergé à l’occasion de ma rencontre avec Jorge Appiah de Kumasi Hive, lors du Gathering for Open Science Hardware (Gosh 2017) à Santiago au Chili. Nous avons longuement échangé sur nos visions des spécificités africaines : pour ma part, sur la critique de l’implémentation du mouvement maker en Afrique, et pour Jorge, sur le business model adéquat pour assurer la viabilité des fablabs et autres dans le contexte africain. Sur la base de nos idées divergentes et convergentes, nous nous sommes dit qu’il était impératif d’ouvrir une grande conversation sur la question, de manière à permettre à l’Afrique de véritablement bénéficier du mouvement maker. Ces échanges ont continué lors du MIT Bio Summit 2017, au cours duquel j’ai rencontré Connie Chow de The Exploratory à Accra au Ghana, dont la vision est axée sur l’éducation au STEM en Afrique. Connie Chow nous a rejoints pour organiser l’événement et nous nous sommes vraiment lancés à partir de ce moment-là.
Comment l’événement est-il reçu par les communautés africaines?
Nous avons reçu environ 400 applications, dont 80% africaines, aussi intéressantes les unes que les autres. Cependant, après sélection finale, beaucoup de candidats ont dû se désister malgré leur volonté de participer car les déplacements à l’intérieur de l’Afrique sont très coûteux. Malgré cette difficulté, au moins 60% de participants seront africains sur la centaine attendue. Ainsi, au-delà des personnes venues du monde entier, les différentes sous-régions de l’Afrique seront représentées : l’Afrique australe, l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est, l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest.
Africa OSH sera marqué par la présence d’organisations telles que OpenAir, Plos, Gosh, Public Lab, Open Agriculture, GIG, MIT Medialab, Ecoteclab, pour n’en citer que quelques-unes.
Comment vont se dérouler ces trois jours?
Les articulations de l’événement ont été pensées en fonction de l’appel à contributions que nous avions lancé il y a quelques mois. L’ossature globale est basée sur des brainstormings quotidiens, et se décline en présentations, panels, workshops et unconferences. Avec des thématiques qui iront des principes et pratiques de l’open science jusqu’aux questions environnementales. Nous avons opté pour des brainstormings en lieu et place des keynotes, afin de susciter une pensée collective endogène. Au terme de l’événement, un rapport sera produit et publié.
Pouvez-vous nous parler des principes que vous avez développés avec Apsoha?
Dans le cadre du projet Soha (Science ouverte en Haïti et en Afrique), nous avons largement travaillé sur les injustices cognitives. L’une des plus importantes est l’aliénation épistémique qui nous amène à penser selon les modèles de pensée occidentale, ce qui a pour conséquence de nous éloigner des problèmes propres aux réalités africaines. D’où cette mission que l’Apsoha s’est assignée : la quête de justice cognitive à travers la science ouverte. Cette envie de donner la possibilité aux Africains de penser par eux-mêmes et de trouver des solutions qui répondent aux besoins de leur propre milieu. Toutefois, nous restons vigilants face à la science ouverte qui est un couteau à double tranchant ; car au-delà des bienfaits de l’openness, l’open science peut aussi s’avérer être un instrument de néocolonialisme dans certaines situations.
Thomas Mboa et l’inconscient néocolonial de l’open access, OpenCon 2017, Berlin (en anglais):
Comment Apsoha a-t-il créé des liens avec le mouvement Gosh?
Nos liens avec Gosh remontent à 2016, à l’issue du Gosh Manifesto auquel nous avons largement contribué en ligne sur les thématiques liées à la justice cognitive. Ces liens se sont renforcés avec notre posture critique qui se refuse à toute généralisation du mouvement maker sans prise en compte des spécificités locales. C’est ce qui justifie notre participation à Gosh 2017 au Chili ainsi que notre contribution comme auteur à la Gosh Roadmap (l’appel à traduction en français de la feuille de route Gosh est toujours en cours, ndlr).
Est-ce une question d’accès au matériel?
Le problème d’accès au matériel commence par le manque d’informations sur les possibilités existantes. Si les Africains étaient conscients des enjeux et de l’évolution de la technologie, cette question serait rapidement résolue. Au Cameroun par exemple, nombreux sont les établissements scolaires qui n’ont pas d’ordinateurs car ils sont coûteux. Est privilégié l’usage des ordinateurs recyclés occidentaux qui coûtent trois à quatre fois plus chers qu’un nano-ordinateur Raspberry Pi (RPi3). Le problème n’est pas l’accès au RPi3, mais le fait qu’on ne sache même pas qu’il existe. Le problème de l’accès passe d’abord par une sensibilisation et une prise de conscience des solutions qui sont à notre disposition, pour ensuite faciliter l’accès à ce matériel.
Que pensez-vous du modèle promu par la Fab Foundation?
Ce modèle, tel qu’il a été pensé au MIT, n’est pas fait pour répondre entièrement aux besoins propres au contexte africain. Il y a un fort besoin de remise en question de ce modèle, en vue de son africanisation, pour mener à une réelle appropriation culturelle des espaces de type fablab. C’est aussi la raison d’être d’Africa OSH qui appelle au débat sur la nécessité de voir le mouvement autrement.
Si les makers, l’open science, les biohackers africains décident de se mettre au service de la société, ce qui est leur mission d’origine, ils seront à même d’innover véritablement en répondant aux besoins des populations locales. Plutôt que d’essayer de se conformer à avoir une imprimante 3D, une CNC, faire de l’électronique, etc., le plus important est de faire de ces espaces des lieux d’innovation avec une réelle utilité sociale dans le contexte africain. Tout en rappelant que nous sommes tous des makers à la base, une approche comme l’esprit jugaad (dont on vous parlait la semaine dernière, ndlr) serait à encourager dans le modèle africain.
L’Africa Open Science & Hardware Summit du 13 au 15 avril 2018 à Kumasi au Ghana, à suivre en direct avec le hashtag #AfricaOsh
Contribuer au financement de Africa OSH sur Gofundme