Au cœur du Jura bernois, NOCLOCK s’attaque à l’horlogerie avec les outils des makers. Richard-Emmanuel Eastes fait partie de l’aventure. Récit.
Début 2016. Je rencontre fortuitement et simultanément un horloger atypique, Paul Junod, ancien patron suisse des montres de luxe Milus, et un inventeur génial et indiscipliné, Elmar Mock, co-inventeur de la Swatch (entre autres) et patron de la société Creaholic. Le premier cherche à renouer d’une manière originale avec un monde industriel qu’il a quitté pour naviguer d’île en île à bord de son voilier. Le second, trublion patenté de l’horlogerie, rendu célèbre pour avoir imaginé qu’une « montre bon marché vendue à des millions d’exemplaires [pouvait] rapporter autant d’argent qu’une montre de luxe distribuée à quelques nantis », n’a de cesse de faire évoluer un monde refermé sur lui-même, en panne d’innovations de rupture. Quant à moi qui suis médiateur scientifique et pédagogue, je suis convaincu que l’avenir passe par le développement de la créativité, du travail collaboratif et de l’empowerment social.
Notre rencontre est fulgurante : en quelques jours, nous imaginons un concept de montre que tout un chacun pourra fabriquer soi-même. Nous sommes alors rejoints par Christophe Léchot, inventeur et maker chez Creaholic, à qui nous devrons par la suite l’essentiel des adaptations techniques. Quoiqu’il en soit, au départ, on nous prend surtout pour de doux dingues…
Un monde ultra-protégé
Fabriquer une montre soi-même ? Impossible. Beaucoup trop compliqué, subtil, spécialisé. Trop de pièces, trop petites… C’est ce que tous les horlogers diront. Il n’en faut pas plus pour énerver les iconoclastes que nous sommes. S’introduire dans les milieux non autorisés de la fabrication industrielle, s’en accaparer les pratiques, faire autrement, voire mieux avec moins, partager ensuite ses découvertes… voilà ce qui donne du sens à la vie d’un maker.
Bon. C’est vrai. Le coup de la montre DiY, certains ont essayé et en effet, ce n’est pas si simple. Si le fablab Sion a pu proposer des activités d’impression de bracelets et carrures, prêts à accueillir le cadran d’une montre à affichage digital, peut-on déjà parler de « montre do-it-yourself » ? Il y a bien Watchbars qui propose une forme de personnalisation, ou la société floridienne Alexander Gabriel Watch Company qui s’est associée à un fablab pour des montres « sur mesure » très abordables : on choisit bracelet, lunette (imprimée en 3D), mouvement (swissmade) et boîte (elle-même imprimée en 3D). Et cette start-up suisse, Initium, qui propose des ateliers pour assembler sa montre de luxe, mouvement compris. Et enfin, côté open source, à La Chaux-de-Fonds, en Suisse toujours, Openmovement, qui a pour objectif de développer un mouvement de montre en open access, non propriétaire, que les générations futures pourront utiliser sans que ne soit perdu ce patrimoine inestimable que constitue la capacité à fabriquer un mouvement de montre robuste et fiable. Mais l’initiative prendra plusieurs années et nécessite des centaines de milliers d’euros d’investissements.
Une montre «purée Mousseline»
Avec NOCLOCK, l’effort initial a surtout porté sur la recherche du bon niveau de complexité et d’accessibilité dans le but de fournir des éléments de base suffisamment modulables pour permettre de créer une montre non seulement DiY mais véritablement hackable. Un kit de base simple pour ne pas nécessiter les équipements d’un atelier d’horlogerie.
J’appelle cela « l’effet purée Mousseline » : plus simple que la purée de pommes de terre maison, plus gratifiante qu’une boîte de conserve, elle donne la possibilité au « maker de purée » de partir d’une base en sachet pour la transformer en une préparation individualisée : une soupe, un hachis, un dessert, des confettis d’anniversaire… C’est décidé : notre montre DiY sera une montre purée Mousseline. Elle devra à la fois pouvoir s’assembler en un temps minimum pour un résultat garanti, assurer à son (sa) propriétaire la satisfaction d’une conception personnalisée, tout lui en permettant d’imaginer des applications et des détournements que jamais ses initiateurs (et encore moins l’industrie horlogère) n’auraient pu imaginer.
Une anti-montre
Parce qu’elle n’est pas protégée par un système de propriété industrielle fermé, qu’elle ne nécessite ni compétences professionnelles de pointe ni outillage onéreux, qu’il est possible d’en modifier la structure extérieure et l’apparence intérieure, et surtout parce que ce n’est pas une montre, la NOCLOCK revendique le statut d’anti-montre. Pensée pour les makers. Swiss Engineered, Made By You.
Les montres s’achètent dans les bijouteries, serties dans de robustes et luxueux coffrets ? La NOCLOCK s’acquerra en ligne et en kit, à l’unité ou par lots, selon l’ambition des particuliers et des fablabs. Des fichiers élaborés par des makers ou des designers horlogers seront téléchargeables, modifiables, offerts à l’imagination de leurs utilisateurs.
The Hackable Watch
Après maintes expérimentations dans le fablab de Neuchâtel et dans l’atelier de la société Creaholic, le concept définitif a fini par émerger. La NOCLOCK comportera un mouvement à quartz fermé, élément central du kit autour duquel le maker assemblera les éléments de sa montre. Alors commencera la phase de personnalisation. Le cadran modulable a été pensé pour supporter les options les plus variées : dessin, gravage, collage de papier, de sable, de bois découpé et gravé au laser… A chacun son anti-montre !
La pose des aiguilles constituera l’opération la plus délicate, qui nous a occupés pendant des heures et maintenus éveillés des nuits entières : comment faire en sorte que tout un chacun puisse les sertir sans enfoncer le mouvement, sans qu’elles ne frottent l’une sur l’autre, contre le cadran ou la glace, sans qu’un choc ne les expulse ? A force d’essais, nous avons fini par trouver LA solution qui fait de NOCLOCK la première montre dont la pose des aiguilles ne nécessite pas l’intervention d’un horloger. A découvrir par vous-mêmes :=)
Après avoir posé la glace commencera alors la seconde phase de personnalisation pour transformer la petite machine en une montre de poignet, en une montre gousset, en un pendentif ou un diadème, en insert de meuble ou en pendule. A chaque étape, instructions et fichiers téléchargeables accompagneront le travail du maker, jusqu’à l’impression 3D de la lunette de la montre, le découpage au laser du cuir du bracelet ou la conception de la boîte cadeau. Pourquoi pas en « bois liquide » pour concurrencer la société Abaeternowatches ?
Les premiers kits attendent leurs futurs propriétaires sur Wemakeit, plateforme suisse de crowdfunding. Et nous attendons leurs retours, pour améliorer le concept et constituer une communauté d’utilisateurs !
La campagne de financement participatif NOCLOCK
Richard–Emmanuel Eastes, agrégé de chimie, docteur en sciences de l’éducation et en philosophie, consultant en communication scientifique, coordonne le projet NOCLOCK qu’il a présenté au Fablab Festival de Toulouse en mai 2017