Agriculture: la serre connectée DiY venue du Japon
Publié le 28 avril 2017 par Cherise Fong
Conçu pour faciliter la vie des agriculteurs japonais, UECS-Pi est un proto fonctionnel de serre autonome qui tourne avec un Raspberry Pi.
De notre correspondante à Tokyo (texte et photos)
A l’ère de l’Internet des objets (IoT), la serre connectée n’a rien de révolutionnaire. Mais les systèmes propriétaires qui les font marcher sont très complexes et très chers. Créer un système de serre automatisée accessible à la fois techniquement et financièrement aux agriculteurs japonais, c’est le défi que s’était posé la petite société informatique Wabit.
Depuis 2005 se développe au Japon l’UECS (Ubiquitous Environment Control System), un système de contrôle de serre décentralisé, modulaire et open source qui permet de transférer des informations entre différentes plateformes grâce au protocole libre CCM (Common Correspondence Message) et de les visualiser en temps réel. Wabit, spécialisé en intégration de systèmes et logiciels, ramène l’UECS à la portée des makers avertis au pouce vert.
Pour agriculteurs-makers en herbe
Car à l’ère du DiY, le projet UECS-Pi, lancé par Wabit en mode prototype fin 2014 et systématiquement mis à jour depuis, repose sur le matériel de base de l’univers maker-bricodeur : des capteurs et autres composants bon marché, le microcontrôleur Arduino et l’ordinateur monocarte Raspberry Pi. UECS-Pi est conçu pour les agriculteurs-makers en herbe, tout en séduisant les chercheurs qui expérimentent de nouvelles méthodes DiY…
C’est le cas de Nur Akbar Arofatullah, membre du collectif indonésien Lifepatch, installé depuis deux ans au large de Tokyo où il mène sa recherche en biotechnologies agricoles. C’est à la demande de son professeur à l’université d’Ibaraki qu’Akbar s’est attaqué en solo au projet DiY d’UECS-Pi au printemps 2016, s’appuyant uniquement sur la documentation en ligne libre d’accès et extrêmement détaillée de Wabit (traduite automatiquement du japonais par Google). Il a commencé par acheter en ligne tout le matériel nécessaire chez AliExpress (selon lui beaucoup moins cher qu’Amazon). Heureusement, il avait déjà un peu d’expérience en électronique avec des connaissances informatiques de base. De temps en temps, il consultait son collègue Ilo de Lifepatch pour un problème de code.
Des fraises sous surveillance
Deux semaines plus tard, le premier prototype était en place : UECS-Pi surveillait une culture hydroponique de fraises dans une petite serre sur le campus de l’université. A l’extérieur de la serre, un capteur de rayonnement solaire. A l’intérieur, des câbles thermocouples et des capteurs SHT21 pour mesurer la température et l’humidité relative, ainsi qu’une pompe d’irrigation. Accroché au mur, le nœud de contrôleur. Dans une boîte étanche à l’entrée, le nœud capteur. Akbar y a apporté ses propres modifs, comme l’enregistreur de données thermocouple à base d’Arduino Uno afin de stocker les données de multiples capteurs sur une carte SD.
Lorsque les conditions de la serre, surveillées en permanence, deviennent mauvaises pour les fraises, le système envoie un e-mail aux 15 personnes concernées par le bien-être de ces fruits. Reste à configurer les actionneurs comme la pompe d’eau pour réagir automatiquement à la situation. Pour l’instant, un humain se déplace pour régler le problème. Mais le système prévoit l’activation d’autres actionneurs tels que l’ouverture/fermeture ou le positionnement d’un rideau, d’un paravent, du chauffage, etc.
C’est en juillet 2016, au salon japonais d’horticulture en serre GPEC, qu’Akbar a enfin rencontré les membres de l’équipe UECS-Pi à Tokyo. La société Wabit comprend une vingtaine d’employés, dont quatre du département Smart Agriculture dédié au développement du projet UECS-Pi (deux à Fukuoka et deux à Tokyo). Vu leur nombre restreint, la priorité de l’équipe est de rendre chaque client le plus autonome possible.
« Aujourd’hui, il est très facile de se procurer un Arduino ou un Raspberry Pi pour le DiY, explique Hiroyasu Toita, chef du projet et PDG de Wabit. Mais les fermiers n’ont pas les compétences techniques nécessaires pour faire la surveillance de l’environnement. Les systèmes hi-tech qui viennent de l’étranger sont trop chers pour les agriculteurs japonais, dont les serres sont généralement très compactes. Il nous fallait trouver une solution pas chère, facile à mettre en place et à maintenir dans les petites serres par des non-techniciens. Trois facteurs ont donc été mis en évidence : faible coût, open source et manuel DiY compréhensif. »
En effet, depuis le lancement du UECS-Pi SDK en novembre 2014 jusqu’à la dernière mise à jour du manuel utilisateur le 17 avril 2017, chaque étape de la fabrication et du montage du système est méticuleusement documentée dans un tutoriel détaillé avec toutes les ressources nécessaires pour se procurer le matériel et les outils au Japon. La petite équipe alimente régulièrement un wiki complet du système, anime un forum d’utilisateurs en ligne où les utilisateurs peuvent poser des questions, et essaient d’assurer le mieux possible un modeste service après-vente par téléphone et e-mail.
Faciliter la vie des agriculteurs
Pour ceux qui préfèrent gagner du temps, UECS-Pi est également disponible en kits simplifiés, le kit basique (à paraître bientôt) et le kit contrôleur. Wabit propose aussi des ateliers dans les parcs de recherche agricoles pour fabriquer les nœuds et configurer l’électronique dans la journée. Une fois le système en place dans leur serre, les agriculteurs ont la possibilité de le customiser davantage, d’y associer une application Android, de stocker et visualiser leurs données dans la station cloud UECS, et éventuellement de développer leurs propres applications avec le SDK open source.
Kazuharu Kobayashi, ingénieur tokyoïte de UECS-Pi et animateur des ateliers, avoue que l’installation et l’entretien du système demande de la part des agriculteurs une certaine volonté d’apprendre et de s’adapter à cette nouvelle façon de faire DiY. Mais il a confiance en l’avenir de l’agriculture japonaise.
« De nos jours, beaucoup d’agriculteurs entre 20 et 40 ans travaillent avec leurs parents, dit-il. En raison du vieillissement de la population au Japon, les parents ne pourront bientôt plus travailler et ces agriculteurs, en plus de cultiver et de vendre les légumes, devront s’occuper d’eux. Ce qui fait trop de travail pour les agriculteurs, qui commencent déjà à abandonner cette profession très dure. Notre système [DiY] peut leur faciliter la vie et ouvrir d’autres possibilités. Certes, l’entretien demande un minimum de connaissances techniques, mais ils apprennent petit à petit, nous les soutenons dans le forum et maintenons de bonnes relations. Le plus important, ce n’est ni la technologie, ni le maintien du système, mais le concept de cette nouvelle méthodologie de travail. »
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