Makers sur le front de l’urgence humanitaire
Publié le 20 février 2017 par Nicolas Barrial
Qui d’un drone ou d’une imprimante 3D est plus rapide pour fournir des pinces ombilicales dans une zone sinistrée? En Haïti comme au Népal, l’association Field Ready implante des fablabs de crise. Enquête.
Les solutions mises en place par les réfugiés redéfinissent le rapport des associations humanitaires à l’innovation, affirmait en 2015 un rapport du Centre d’étude des réfugiés de l’université d’Oxford. Représentative de ce nouveau paradigme, Techrefugees, une communauté présente dans 27 pays, a fait du hackathon « mixte », mêlant réfugiés et innovateurs, la pièce centrale de son dispositif. C’est cette même conviction pour l’innovation par la base (bottom up) que décrit Arnon Zamir, de l’association israélienne Tikkun Olam Makers (TOM) qui organise des makethons dédiés au handicap : « Nous associons les need knowers (ceux qui vivent la problématique, ndlr) aux makers. »
Dara Dotz, makeuse sans frontière
Mais les makers ne s’arrêtent pas aux portes du hackathon. Dans des zones sinistrées, ils sont susceptibles de suppléer la rupture des circuits d’approvisionnement. C’est le credo de Field Ready, association fondée en 2014 par l’humanitaire américain Eric James et Dara Dotz, pionnière de l’impression 3D en milieu austère. En Haïti, au Népal et bientôt au Soudan, Field Ready implante des makerspaces de terrain et forme à l’impression 3D pour réparer du matériel exsangue : pièces pour couveuses, pompes à eau, moules pour pièce métallique, petit matériel médical, etc. Des solutions concrètes que Dara Dotz, l’une des Champions of the change for making nommés par la Maison Blanche en 2016, était venue présenter au meet-up Digital Makers, le 6 février à Paris.
« En mettant les compétences des makers à contribution, Field Ready fournit de la fabrication à la demande dans des zones post-catastrophe, explique Dara Dotz. Il s’agit de transformer la logistique humanitaire par l’emploi d’une approche de fabrication plus réduite et plus rapide. »
L’impression 3D en situation de crise ? Dara Dotz explique que l’ONG forme « à l’utilisation des machines », bien sûr, mais que la conception peut aussi se faire à distance : « L’initiation à la CAO prendrait trop de temps. Nous préférons lancer des défis à la communauté maker pour des solutions qui nous reviennent sous forme de fichiers 3D. »
Appel aux makers par un docteur de l’hôpital de Nuwakot (Népal) pour un générateur endommagé par le séisme de 2015, via Field Ready:
Cette façon de hacker la chaîne classique d’approvisionnement en cas d’urgence humanitaire contribue à développer un écosystème de partage d’open hardware. Ce que proposent notamment les initiatives Humanitarian Maker née en 2016 et Makernet, apparue en 2015, laquelle teste actuellement sa plateforme collaborative Makepedia avec la communauté maker kenyanne, un projet soutenu par IBM. Le Global Humanitarian Lab (GHL), une ONG suisse fondée en 2015 sous l’égide des Nations unies, s’est fixée pour objectif d’accélérer l’innovation humanitaire par le prototypage et à ce titre, a conclu des partenariats avec la Fab Foundation, Ultimaker ou encore Field Ready.
Sur le terrain, Field Ready dispose des instruments médicaux imprimables de 3D4MD, une entreprise canadienne qui veut créer une bibliothèque illimitée d’impression 3D à usage humanitaire. Toutefois, rappelle Dara Dotz, « les imprimantes 3D sont mal adaptées à la production en série », le moulage par injection est à privilégier.
L’accès aux matériaux d’impression constitue un autre souci que Field Ready traite par le recyclage. Une solution étudiée en Tanzanie par le programme Refab Dar qui analyse le potentiel des déchets plastiques pour l’impression 3D.
De Burning Man au Népal
Les makers avec une cause se serrent les coudes. Depuis 2013, le Global Innovation Gathering (GIG) est leur rendez-vous international. A Berlin en 2016, le GIG a ainsi réuni quelque 70 innovateurs, makers et hackers venus de 25 pays pour discuter de « hacker l’aide humanitaire » ou « d’innovation dans les camps de réfugiés ». L’édition 2017 aura lieu les 8 et 9 mai 2017. En 2015, les Burners Without Borders, mouvement né en soutien des victimes de l’ouragan Katrina, offraient le matériel du fablab mobile conçu pour le festival californien Burning Man au centre de ressources Nepal Communutere de Katmandou. Ce makerspace bâti sur les ruines du séisme de 2015 a accueilli en septembre 2016 une mini Maker Faire dédiée à l’action humanitaire.
Afrique, terre de drones
Il n’y a pas que l’impression 3D à être réquisitionnée en situation d’urgence. Le drone est également présent dans nombre de projets en cours pour l’urgence humanitaire. Ainsi, parmi les nombreux partenaires du Global Humanitarian Lab figure Redline, projet de drones pour l’Afrique développé à l’école polytechnique de Lausanne. Il comporte un volet d’infrastructures, comme des gares de triage pour drones. L’un de ces droneports a même été prototypé par l’architecte Norman Foster qui l’a exposé à la biennale d’architecture de Venise 2016.
D’autres projets américains de Matternet, Flirtey ou encore Flyzipline sont en test sur le continent africain. Les Californiens d’Otherlab ont quant à eux imaginé un drone en carton dédié à l’urgence médicale, jugé assez sérieux pour être financé par la Darpa, le laboratoire de la défense américaine.
En attendant que ces escadrilles se matérialisent ou que des projets comme Electree, une mini-centrale électrique plug and play imaginée par des élèves ingénieurs du Cern à Genève équipent les camps du Haut commissariat pour les réfugiés, les makers occupent bel et bien le front de l’innovation humanitaire. Sans trop faire de bruit, certes, mais de la lumière : on pense ici aux éclairages DiY de Liter of Light adoptés par de nombreux villages sans électricité.
Le site de Field Ready
Devenir Humanitarian Maker