Le Ouagalab trace la voie d’une Silicon Faso Valley
Publié le 10 octobre 2016 par Caroline Grellier
Quelles sont les recettes qui font le succès d’un fablab? Né en 2011, le Ouagalab est le plus ancien makerspace d’Afrique de l’Ouest. Notre makeuse Caroline Grellier avait suivi leur chantier en 2014. Deux ans plus tard, elle a retrouvé la communauté, plus soudée que jamais.
Ouagadougou, envoyée spéciale
Si la voûte nubienne du Ouagalab a légèrement pris l’eau pendant les fortes pluies d’août à Ouagadougou, on ne peut pas en dire autant des makers. Bien au contraire, toujours la tête sur les épaules, avec cette volonté qui les caractérise, les projets avancent et les idées fusent, dans une ambiance intacte à celle que j’avais connue il y a deux ans : bonne humeur assurée.
Ton lab? Fais-le toi-même!
C’est dans une petite rue en terre (appelée ici un von) du quartier Kalgodin, à 500 mètres de la route, que je découvre l’espace de travail du Ouagalab. Gildas Guiella, co-fondateur de ce lab burkinabè, récupère les clés du portail confiées à la voisine, une vendeuse qui tient une mini-boutique-alimentation.
«Depuis 2011, nous sommes le seul makerspace au Burkina Faso. Ce qui nous distingue, c’est que nous avons construit nous-même notre espace, en partie grâce à un financement participatif, mais surtout à la force de nos bras, tous ensemble.»
Gildas Guiella, co-fondateur du Ouagalab
Le terrain a été complètement réaménagé et la voûte nubienne trône en bonne place. Dehors, des pneus, des morceaux de meubles, un cuiseur solaire et de la terre rapportée, pour mettre en place un futur potager écologique expérimentant de nouvelles techniques de culture, plus ou moins connectées.
Les habituelles pluies torrentielles d’août ont inondé certains quartiers de la capitale et donnent au terrain des allures de marécage. Qu’importe, il y a du pain sur la planche, comme chaque jour. A l’intérieur, dans la fraîcheur de l’édifice en terre, deux grandes tables où s’éparpillent résistances et cartes électroniques, prototypes en cours, drones en démontage, petites pièces imprimées en 3D.
Une joyeuse bande de copains
Une détermination à toute épreuve, une dose de bienveillance et un sens aigü de l’amitié, voilà la recette de la communauté du Ouagalab. Certains, comme Gildas Guiella, Kisito Gamene et Hamed Ouedraogo, se connaissent depuis l’adolescence et sont des voisins de quartier. Cinq ans après le début de l’aventure, personne n’est parti, l’équipe continue de s’agrandir et de diffuser ses valeurs ! Le Ouagalab s’identifie volontiers à une place à baobab, où, dans la culture africaine, les habitants se réunissaient sous cet arbre à palabre pour échanger sur les futurs besoins de la localité tout en cherchant des solutions concrètes.
« La base pour nous, c’est la communauté de jeunes motivés qui veulent faire et changer les choses, explique Gildas Guiella. Nous voulons montrer que les obstacles sont en réalité des opportunités. C’est d’abord par l’intelligence collective, la solidarité et le partage que nous trouvons les solutions. Et pas question pour nous de nous jeter sur les machines. Nous n’avons pas les mêmes réalités qu’en Occident, les problèmes doivent donc être abordés différemment. » Souvent, les discussions animées autour des projets se poursuivent le soir autour d’une Brakina, la bière du Burkina Faso, entre deux blagues.
Passionnés, certains passent même quelques nuits blanches, tant que tel bug sur Arduino n’a pas été trouvé ou pour assister à la fin d’une impression 3D. Le toit de la voûte nubienne est d’ailleurs envisagé comme futur espace de sommeil, les plans sont déjà en tête ! La communauté s’élargit (avec quelques filles aussi) et l’espace deviendra bientôt trop exigü. C’est pourquoi la construction d’une extension, toujours en matériau terre, est au programme pour 2017.
E-santé, e-agriculture et e-ducation
Depuis sa création en 2011, le Ouagalab s’est structuré et ses projets s’organisent désormais en trois axes, qui sont autant de priorités au vu des problèmes locaux à résoudre.
Premier axe, l’e-santé, ou comment améliorer le bien-être et la connaissance en informations sanitaires grâce aux outils et applis développés dans le lab. Il y a par exemple un programme de suivi de grossesse par SMS, un projet « Eau Potable pour Tous » qui vise à améliorer l’accès à l’eau potable en milieu rural ou encore Carto Malaria, un outil de prévention. Kisito Gamene, géographe et membre du Ouagalab, explique que « Carto Malaria est un projet social, qui ambitionne d’être une solution pour sensibiliser et prévenir la malaria, la principale cause de mortalité chez nous en Afrique ». Concrètement, c’est à partir d’Open Street Map que « nous géolocalisons les zones de dépotoirs sauvages considérés à risque en présence d’eau stagnante, prisée par les moustiques », poursuit-il.
Le deuxième axe tourne autour des projets d’agriculture connectée. La plateforme SMS Baoré vise à mettre en relation des cultivateurs vivant dans des zones reculées et à leur envoyer des informations sur la météo, les prix du marché, etc. Elle sera mise en ligne d’ici quelques semaines. Le temps pour Jean-Michel Korsaga, l’un des codeurs du Ouagalab, de régler quelques détails.
L’arrivée des drones dans le secteur agricole n’a pas laissé indifférent Christian Cédric Toé. Spécialiste en génie mécanique, il travaille déjà avec Gildas Guiella sur une version made in Burkina Faso de leur drone, pour permettre de photographier les cultures et recueillir des données, dans le but d’accroître la productivité et d’optimiser les efforts.
Enfin, le Ouagalab prend à cœur son rôle d’éducateur au numérique, dans un pays où le taux de pénétration de l’outil informatique reste très faible. En s’appuyant sur le projet Jerry, des ordinateurs en bidons, et en multipliant les formations et ateliers, les makers continuent de susciter la curiosité et l’envie de faire, à partir du recyclage informatique et des logiciels open source.
Mutation vers l’entrepreneuriat social
«On s’en fiche un peu d’être sur le devant de la scène. Ici, on “fait” seulement.»
Gildas Guiella, co-fondateur Ouagalab
Grâce à son dynamisme, la communauté de makers burkinabè fait parler d’elle sur la scène internationale. Les partenariats avec les fondations et les ONG (Fondation Acra, Fondation pour l’Afrique BF) s’enchaînent.
En dehors du volet associatif de promotion du DiY, l’équipe souhaite se professionnaliser en faisant valoir ses compétences, sous forme de prestations de service, mais aussi et surtout en insufflant l’esprit entrepreneurial aux jeunes. Véritable fabrique d’innovation ascendante, le Ouagalab projette de créer son propre espace d’incubation des jeunes pousses, adossé à son atelier.
«La solution est en nous. Dans chaque personne, il y a une forme de génie, et au Ouagalab, nous nous mettons au service du développement du pays, que nous connaissons mieux que personne. Nous sommes en train de créer notre propre Silicon Valley: la Faso Valley.»
Gildas Guiella, co-fondateur Ouagalab
Si l’action et l’impact du Ouagalab auprès des jeunes est indéniable, les makers cherchent désormais à gagner la confiance des autorités, à être écoutés par l’Etat, afin de prendre part à la démarche numérique du pays tout en portant leurs valeurs au sein d’une dynamique entrepreneuriale. Hamed Ouedraogo, expert en développement local, le dit autrement : « Voir des jeunes évoluer sur leurs projets, monter en compétences au sein du lab est vraiment émouvant. Certains trouvent leurs repères avec nous et c’est une immense satisfaction. »
Et demain ? Le Ouagalab compte bien ouvrir d’autres labs à l’intérieur du pays, pour une action toujours plus locale.