J’ai passé une nuit à l’hôtel des robots à Nagasaki
Publié le 14 juin 2016 par Cherise Fong
Dans la région de Nagasaki, à l’ouest de l’archipel nippon, les robots sont déjà bien plus que les faire-valoir du futur. A l’hôtel Henn na, le groom et l’hôtesse sont des robots. A côté, le parc Huis Ten Bosch fourbit son «royaume des robots».
Nagasaki, envoyée spéciale
En haut de la colline, à deux pas du parc d’attractions Huis Ten Bosch près de Nagasaki, le Henn na Hotel ressemble à un motel nord-américain avec son architecture modulaire à seulement deux étages. A peine l’entrée franchie, je suis interloquée par la voix enfantine qu’émet une peluche à la grosse tête rose : « Welcome to the Henn na Hotel ! » C’est Churi-chan, la mascotte « tulipe » de l’hôtel, qui me salue de tout son corps. Plus loin, un aspirateur industriel portant son image se concentre sur son travail.
Les Japonais n’ont jamais eu peur des robots. Depuis l’après-guerre, la société s’est reconstruite via les technologies de pointe appliquées à la vie quotidienne, aux services et à l’industrie moderne. Au pays du manga, de l’omotenashi (service d’accueil) et du kawaii, ce n’est pas un hasard si le robot le plus célèbre (et le plus adoré) de l’imaginaire japonais, Doraemon, est un chat gadget venu du futur pour sauver son jeune ami humain.
Le premier hôtel intelligent
Ici, les robots destinés au grand public cherchent avant tout à séduire. Ils communiquent avec leurs confrères et leurs clients humains, en imitant l’apparence ou le comportement des êtres vivants. C’est le cas de Chihirajunco, hôtesse ultra-humanoïde multilingue (qui maîtrise également le langage corporel), de Pepper, robot personnalisable best-seller criblé de capteurs et de périphériques hypersensibles et réactifs à son interlocuteur, d’Asimo, joyeux androïde qui court, saute et danse avec une agilité et une dextérité pseudo-humaines… Sans parler d’Aibo, le fameux robot chien produit et vendu par Sony de 1999 à 2006, et dont la fermeture des dernières boutiques de réparation en 2013 a suscité des funérailles bouddhistes.
C’est dans ce contexte plus que favorable à la robotique que le Henn na Hotel a ouvert en juillet 2015, faisant le pari de devenir le premier hôtel intelligent, économique et efficace, puisque presqu’entièrement staffé par des robots. Son nom est un jeu de mots sur l’adjectif henn, qui peut vouloir dire étrange mais aussi changement, au sens d’évolution. Un an plus tard, avec l’ouverture d’une aile ouest munie d’un système d’énergie hydro-électrique auto-suffisant, les prix des chambres ont augmenté pour faire face à la demande. Et le parc d’attractions prépare l’ouverture du Kingdom of Robots le 16 juillet prochain.
A l’accueil, les deux Velociraptor grandeur nature et l’Actroid qui m’attendent m’émerveillent d’emblée. Lorsque je croise les yeux faiblement clignotants des réceptionnistes, ceux de la jeune femme aux manières impeccables habillée tout en blanc ou ceux des reptiles géants aux griffes monstrueuses, je sais très bien que ce sont des robots avec capteurs de mouvement et de son qui réagissent à ma présence. N’empêche, en m’approchant de près, j’ai toujours l’impression d’envahir leur espace personnel.
Attirée par sa fourrure verte, je choisis d’aller vers Kibo (« espoir »), le nouveau jumeau de Mirai (« futur »). Aussi simple que l’achat d’un ticket de cinéma en kiosque avec une carte de crédit, la transaction se fait en quelques minutes via un écran tactile.
Perché sur une plateforme scénique installée dans le foyer, voici Nao, le petit frère de Pepper, célèbre pour ses mouvements de breakdance. « Hello, my name is Nao », se présente-t-il en me suivant gentiment des yeux. Quand je lui demande s’il peut danser, il se contente de clignoter sans comprendre. A la question « Où puis-je prendre le petit déjeuner demain matin ? », sa réponse est meilleure : il détaille en japonais le lieu et l’heure au restaurant bio Aura à quelques pas de l’hôtel.
«Je vais tourner à gauche…!»
Dans le couloir se trouve un robot porteur rouge vif. Je pose mon sac dessus. Après avoir scanné ma carte-clé, il s’anime avec un plaisir apparent pour porter mon bagage à la chambre numéro 209. Avec une voix féminine pleine d’énergie et d’enthousiasme sur fond de muzak, la porte-bagages rouge me guide à travers les couloirs, se tenant toujours juste devant moi quelle que soit ma vitesse de marche. A chaque croisement, elle dit la même chose que les véhicules de secours en ville, en plus gai : « Je vais tourner à gauche…! Je vais tourner à gauche…! » Une fois que j’ai retiré mon sac de sa garde et que je lui ai attribué cinq étoiles, elle me remercie et s’en va au bout du couloir en se parlant toute seule : « Je vais tourner à droite…! Je vais tourner à droite…! » Les voitures auto-conduites du futur seront-elles aussi allègres ?
La porte de la chambre s’ouvre immédiatement lorsque je flashe ma carte-clé, mais je peux aussi choisir d’enregistrer mon visage pour un déverrouillage prochain par reconnaissance faciale. Le processus quasi instantané fonctionne sans problème par la suite.
Assistante personnelle sur table de nuit
Dès que j’entre dans la pièce, une voix enfantine familière m’accueille et m’explique tout ce qu’elle peut faire pour moi. C’est encore Churi-chan la concierge tulipe, cette fois dans sa version assistante personnelle sur table de nuit. En plus de l’heure, de la météo, des infos sur le parc, du réveil matinal et du contrôle des lumières, on peut lui demander de chanter. Mais quand je le lui demande, en ajoutant « please », elle comprend que je veux qu’elle me parle en japonais.
Tant mieux, car elle fonctionne mieux dans cette langue et ne chante que des chansons japonaises. Néanmoins, sa compréhension orale de l’anglais manque de raffinement, et il m’a fallu plusieurs essais avant qu’elle éteigne enfin la lumière. Ceci dit, Churi est le robot le plus populaire de l’hôtel (on peut même l’acheter en peluche parlante) et bénéficie par conséquent du développement informatique le plus régulier (il y a quelques mois encore, elle ne parlait pas un mot d’anglais).
Pour les matinaux, le petit Palro est coach en gymnastique suédoise tous les matins à partir de 6h30. Le reste de la journée, il pose pour des photos, danse, joue et fait des quizz. Il est toujours content de tout raconter sur la santé et l’alimentation bio. À quand ce niveau d’intelligence artificielle dans toutes les chambres ?
A l’heure du check-out, le galant Cloak Robot garde le vestiaire à tiroirs géants derrière des parois de verre. Si on a déjà vu ce genre de grand bras robotique manipuler avec une précision industrielle des pièces en usine, la différence avec M. Cloak, c’est que lui vous fait un signe d’adieu à la fin de votre séjour.
Suivez les robots au Henn na Hotel:
L’idée originale du Henn na Hotel, « un engagement pour l’évolution » dixit son slogan, est signée Hideo Sawada, le PDG charismatique de la société de voyage économique H.I.S., qui a acheté le parc Huis Ten Bosch et son projet de « co-existence entre écologie et économie » en 2010. Le concept d’hôtel économique (analogue à l’automatisation pour la gestion financière) a vite basculé en concept d’hôtel robotique, grâce à la popularité immédiate des employés mécaniques, en particulier auprès des touristes occidentaux. Le concept écologique (bois régional lamellé croisé, panneaux radiants, systèmes d’énergie solaire et hydro-électrique auto-suffisant…) reste inchangé.
Le manager de l’hôtel, Takeyoshi Oe, vise un futur proche où le personnel serait 100% robotique, au nom de l’entertainment et de l’efficacité, en réduisant le staff humain de 12 à seulement 2 ou 3 personnes pour les urgences. Aujourd’hui, seul le tapis est nettoyé par un robot, mais Oe discute avec des entreprises pour que les salles de bains soient faites par un employé robotique d’ici un an. Il faudra un peu plus de temps pour qu’ils puissent faire les lits, estime-t-il.
Entretemps, Huis Ten Bosch prépare l’ouverture de son sixième « royaume » thématique, le Kingdom of Robots, le 16 juillet 2016. Parmi les nouvelles attractions : un restaurant tenu par des robots, dont le chef qui fait des okonomiyaki et du yaki soba ; des spectacles vivants (avec musique et danse) entièrement robotiques ; une exposition jouable de robots, accompagnée bien sûr d’une boutique où on pourra les acheter ; le robot-char Shutebo qui tire des jets d’eau belliqueux. Sans oublier le modèle géant du robocop du manga Patlabor, mesurant 9 mètres de hauteur, déjà en place dans le parc depuis fin avril.
Bande-annonce pour le Kingdom of Robots à Huis Ten Bosch:
Selon Ikki Nakahira, manager du projet, le royaume des robots a trois objectifs : montrer l’efficacité des robots dans tous les domaines, de la précision du geste à l’assistance aux personnes âgées ; amuser les gens ; et tester sur le terrain de nouveaux produits développés par des fournisseurs de pointe (ce qui est précisément le cas des collaborations robotiques de l’hôtel avec Sharp, Toshiba, Softbank, Fuji Soft et compagnie).
Quel effet aura cette exploitation plus commerciale et spectaculaire (et surtout combattante) des robots, bien qu’accompagnée de leur dimension pédagogique, sur la perception ludique, émotionnelle et confiante des doux robots de service ? Une compréhension plus large des robots, on espère, pour une appréciation plus profonde de leurs influences multiples sur nos vies.
Quant au déferlement de tous ces robots charismatiques, on finira peut-être par s’y attacher selon notre capacité à suspendre l’incrédulité. Comme disait la maman d’un Aibo : « Les Japonais croient que toute chose possède une âme. Ce n’est pas seulement moi. »
Le site du Henn na Hotel
Plus d’informations (en japonais) sur le Kingdom of Robots