Chronique d’une makeuse en matériaux (13)
Publié le 18 avril 2016 par Caroline Grellier
Termatière, future entreprise spécialisée dans la création et le développement collaboratif de recettes de matériaux 100% bio-sourcés, attaque (enfin!) sa R&D. L’heure pour notre makeuse Caroline Grellier de remettre la main à la pâte accompagnée par les labos de l’Inra.
Première bonne nouvelle toute fraîche : Termatière vient d’intégrer l’incubateur de l‘Ecole des mines d’Alès (EMA) pour renforcer l’accompagnement technique sur la mise en œuvre des matériaux. L’occasion aussi pour moi d’infiltrer le réseau des ingénieurs matériaux du Centre de recherche en matériaux de l’EMA, spécialisés dans le bio-sourcé, en vue d’un futur recrutement… ?
Labo: démarrage… presque imminent!
Les avantages de travailler avec un partenaire laboratoire comme l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) sont nombreux : une vraie caution auprès des interlocuteurs à convaincre, un gage de qualité technique sur le développement du projet, une équipe de recherche impliquée qui a des intérêts à ce que le projet aboutisse. L’inconvénient ? Je le découvre en ce moment : l’Inra est une grosse machine, avec toute une chaîne de validations nécessaires pour exécuter la moindre action. Je me confronte donc à des problèmes administratifs qui ne sont pas de mon ressort, dont la complexité m’échappe mais avec une conséquence indéniable : du retard ! Résultat : la formulation de la colle n’a pas encore démarré, notre embauche du jeune doctorant dont c’est la mission étant bloquée pour le moment. Alors je garde mon mal en patience.
En attendant la colle, les sarments, eux, sont prêts pour être broyés. Mais faire du broyage à l’Inra, c’est pas de l’à peu près tel que je le pratiquais avec ma râpe à fromage et mon blender. J’imaginais broyer mes 15 kg de sarments en une demi-journée, en les poussant entiers dans la machine et repartir le soir avec mes sacs de matière broyée. Et bien en fait, non.
J’ai découvert l’approche scientifique du broyage de végétaux. Pour que les sarments puissent être broyés, il faut les stocker deux jours dans une étuve afin de contrôler leur taux d’humidité (entre 10 à 13%) pour étudier précisément les conditions de broyage. Et j’avoue qu’entre le broyeur à couteau, le broyeur à marteau, le broyeur S2000 truc, le broyeur à végétaux, le broyeur Castorama et toutes les tailles de grilles différentes, les broyages en plusieurs étapes et les tamis, les méthodes variées de séparation de particules selon les fractions, j’avais de quoi hésiter sur lequel employer.
Alors nous avons convenu d’y aller étape par étape, pour que je puisse m’attacher au visuel que je recherchais. Une fois les sarments étuvés et analysés, nous allons démarrer par l’obtention de copeaux grossiers, dont la taille permettra de tester différentes fractions de broyage. Le temps que mes petits sarments sèchent, la session de broyage a été programmée sur la semaine prochaine. Ca y est, ça commence enfin !
Auto-financer la fin de ma R&D: oui, mais comment?
Le mois de mars est passé vite, dans le calme de mon bureau à l’incubateur de Montpellier Supagro. Après avoir enchaîné les rendez-vous à l’extérieur, il était temps que je me pose pour revoir un peu mon plan d’actions à court et moyen terme et analyser ainsi la pertinence de la stratégie en place. Bref, faire un bilan.
Termatière est en pleine étude de faisabilité technique, avec une première brique en collaboration avec l’Inra dont l’objectif est de formuler la recette exacte du composite de sarment 100% bio-sourcé. La seconde brique est la caractérisation des échantillons, indispensable à une mise en marché. Développer une nouvelle formulation de matériau est un projet coûteux et un processus de recherche long. C’est un fait auquel je ne m’étais pas vraiment préparée, n’ayant pas cette culture industrielle et étant plutôt habituée à bricoler dans mon atelier improvisé avec un résultat artisanal immédiat sans grands moyens déployés. Je découvre donc ce à quoi je ne peux pas échapper si je veux aboutir à une recette de matériau industrialisable pour changer d’échelle de production.
Dans le but de financer cette seconde brique, j’ai travaillé une quinzaine de jours sur un dossier de demande de financement auprès de la Banque publique d’investissement. Mais la concurrence est rude et rien ne m’assure d’obtenir l’enveloppe demandée. Il a donc fallu anticiper sur des plans B, C, Z, car avec une chaîne de valeur si longue au sein de Termatière, j’allais vite devenir dépendante des financements à ce rythme-là en risquant d’aboutir difficilement à la fin de mon étude technique dans le timing que je souhaite tenir.
Alors plutôt que de passer du temps à me démener pour décrocher un maximum de subventions, sans avoir de visibilité à court terme sur le déroulement du projet, j’ai plutôt opté pour une restructuration de mes offres, afin de pouvoir vendre des prestations rapidement, me permettant d’auto-financer mes dernières dépenses de R&D. Pour ce faire, rien de tel qu’un rendez-vous avec Pierre-Christophe Adrian, consultant du cabinet Schemas, qui avait déjà opéré sur Termatière au tout début de mon incubation. Un vendredi de remue-méninge qui a porté ses fruits, en déclinant des activités cohérentes de conseil et d’accompagnement aux entreprises à la recherche de matériaux bio-sourcés ou de valorisation de leurs déchets verts. De nouvelles cordes à l’arc de Termatière, qui demandent encore un peu de réglages.
Tournée parisienne
J’ai profité d’une petite tournée parisienne fin mars pour tester ces nouvelles offres et prendre en considération les besoins de mes futurs clients.
Premier round à la table ronde « Matériaux bio-sourcés : vers une architecture zéro impact » organisée par Karibati au palais de Chaillot, dans laquelle j’intervenais pour présenter la méthode très low-tech de Termatière et la singularité de l’approche du designer DiY dans la recherche appliquée en matériaux. Il s’agissait aussi pour moi de démontrer les potentiels esthétiques de ces matériaux, souvent relégués au rang de matériaux structurants et peu visibles. Un riche après-midi donc, avec des architectes, étudiants et professionnels, à parler botte de paille, sons de riz, plastique d’algues, amidon de maïs et sarments de vigne.
Second round le 24 mars au Hacking de l’Hôtel de ville, où un planning de rendez-vous de 15 minutes avec des start-ups, des grands groupes et des investisseurs m’attendait. L’occasion de bien rôder son pitch sur toute une journée et d’échanger avec des fervents défenseurs de la valorisation de déchets agricoles en Afrique.
Le troisième round aura lieu le 24 et 25 mai à Châlon-en-Champagne lors de Sinal Exhibition, le salon internationnal de la bio-économie. D’ici là, j’ai du pain sur la planche et des sarments dans l’étuve.
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