Le cinéma corps-machine de «Soma»
Publié le 27 mars 2015 par Laurent Catala
Cabine de cinéma interactive et sensorielle pour spectateur solo, «Soma» de Guillaume Faure, au festival Exit du 25 mars au 5 avril, explore le rapport inconscient du corps à l’image. Une expérience cinématographique immersive à la lisière de la psychothérapie.
En rentrant dans la petite cabine cinématographique de l’installation Soma, présentée à VIA Maubeuge et en ce moment à la Maison des Arts de Créteil dans le cadre du festival Exit (du 25 mars au 5 avril), on est d’abord surpris par le minimalisme des lieux : un simple siège équipé de trois petits capteurs sur l’accoudoir droit fait face à l’écran-mur concave tout proche. A peine assis, la paume de la main et les doigts placés sur les obturateurs, un travelling dans un paysage de forêts apparaît. Puis les lumières filtrent, les couleurs changent, au fur et à mesure que de nouvelles séquences se superposent, dans un étrange maillage de tension et de bien-être. Très vite alors, le dispositif subjugue par le rapport intime qu’il tisse avec nos émotions, et notamment nos peurs.
« En faisant un tour d’horizon de toutes les maladies mentales existantes, j’ai essayé de recenser tous les types de peurs qui y étaient liés », explique son concepteur, Guillaume Faure, chef-opérateur et étalonneur. « Je suis ensuite parti sur l’idée de fabriquer du contenu vidéo en lien avec elles. Pour cela, j’ai créé un dispositif qui mesure en temps réel la sudation, la température et les battements cardiaques du spectateur pendant la projection d’images. De là, je tire une valeur “objectivisée” d’implication émotionnelle, sur une échelle de un à neuf, qui fait évoluer en temps réel le montage et les effets de colorisation des séquences projetées. Dans cette narration, les images de forêt apparaissent en alternance et en même temps comme un fil conducteur. Elles évoluent peu mais soulignent le principe hypnotique de l’installation. Les autres séquences sont plus abstraites, avec plusieurs réglages de couleur possibles selon la réactivité. »
De fait, le spectateur peut se retrouver confronté à des séquences le mettant mal à l’aise –comme des grouillements d’insectes–, mais Guillaume Faure réfute la nature volontairement anxiogène de l’installation. « Si le niveau de stress est trop élevé, la séquence est remplacée par une autre. Mais si le niveau de stress est moyen, l’installation travaille le rapport qui s’installe.
«C’est une manière de confronter le spectateur à ce qui le dérange mais plutôt dans l’idée d’assouplir sa capacité de réaction, de la rendre psychologiquement plus stable.»
« Soma », prototype Guillaume Faure, bande-annonce (2014) :
Un prototype d’installation interactive thérapeutique
Dans ce sens, Guillaume Faure insiste sur l’observation et l’analyse des données qui procède de l’installation. « C’est mon troisième prototype du dispositif et pour celui-là, je suis reparti de zéro avec un nouvel ingénieur spécialiste en interaction homme/machine. L’idée d’observation et d’analyse des données recueillies y est plus importante car chaque fois que quelqu’un rentre et reste plus de dix secondes connecté, un historique de l’expérience est enregistré. Il y a une idée de machine learning, c’est-à-dire que la machine s’améliore elle-même, mais le principe recherché est surtout celui d’arriver à stabiliser une boucle de bio-feedback pour parvenir en retour à stabiliser les réactions des spectateurs. »
A la différence des autres pièces de cinéma immersif, Soma n’est pas un dispositif ludique, ni même ostentatoire comme un film à 360° pour Oculus Rift. Son concept général est nettement plus axé sur un principe d’éveil sensoriel, avec en perspective des visées presque thérapeutiques –Guillaume Faure aimerait d’ailleurs tester cette machine dans le cadre d’un suivi psychologique de malades en phase terminale. Et ses principes interactifs se situent au niveau de l’inconscient.
« Je trouve intéressant de pouvoir proposer une expérience qui puisse en même temps ébranler les gens et permettre un travail de recherche et d’observation de leurs comportements. C’est moins une remise en cause de l’interactivité qu’un retour sur le rapport à soi. Tout le concept repose autour du corps et du fait d’essayer de rétablir le contact avec lui, par le biais du système audiovisuel. Cela permet en quelque sorte au spectateur de retrouver son corps. C’est une manière de rappeler la puissance et la force de cette ‘machine’ à faire des choix qui ne sont pas ceux de la raison. »
« Soma » (Guillaume Faure, logiciel : Emilien Ghomi ; design : Andres Gleixner ; son : Aalderik de Vries), à voir dans le cadre de l’exposition Home Cinéma, festival Exit, du 25 mars au 5 avril, Maison des arts de Créteil, place Salvador Allende, métro Créteil-Préfecture
Makery est aussi à la MAC de Créteil jusqu’à samedi avec quelques makers, démos, protos… Au menu : combat de cerveaux avec casque électro-encéphalogramme, spirographe laser et coussin tactile.