Big data du bisou
Publié le 12 janvier 2015 par Laurent Catala
En créant des données graphiques et algorithmiques à partir de doux baisers et d’un casque à électrodes, «EEG KISS» des artistes néerlandais Lancel & Maat introduirait-il une part de sentimentalité dans les nouveaux prototypes numériques ?
Au-delà des sentiments et des émotions humaines qu’il véhicule, un baiser entre deux individus peut-il servir à alimenter une base de données spécialement dédiée ? C’est la curieuse question qui découle du dispositif EEG KISS créé par le duo d’artistes néerlandais Karen Lancel et Hermen Maat.
Véritable work in progress, EEG Kiss s’inscrit pleinement dans le travail de laboratoire artistique et social que mène ce véritable couple – à la vie comme à l’installation – depuis des pièces comme Paranoid Panopticon ou Agora Phobia (Digitalis). « Notre idée, c’est de créer des dispositifs incarnant les perceptions sensorielles et sensuelles à travers les réalités médiatiques actuelles, en faisant une extension du corps par le biais des technologies immersives d’interaction humaine « augmentée » en réseau », expliquent-ils.
De fait, le dispositif se présente d’abord comme un véritable rituel hybride de rencontre entre deux êtres, « déconstruisant et reconstruisant une nouvelle synthèse décomposée de l’acte sensitif du baiser (se regarder, approcher ses lèvres, synchroniser le geste, etc.) ». Mais, au-delà de sa nature physique, toutes les données de cette mise en relation émotionnelle sont aussi captées, quantifiées et analysées par le biais de casques électro-encéphalogrammes (EEG).
Performance «EEG Kiss», par Karen Lancel et Hermen Maat, 22/9/14 :
« Dans EEG Kiss, l’acte du baiser entre deux personnes est traduit par la mesure des ondes du cerveau par l’électro-encéphalogramme en données graphiques sur écran », poursuit le duo. « Ces données graphiques sont ensuite traduites à leur tour en algorithmes créant une composition visible à l’écran. Cette bande-son est jouée en fréquences basses, incluant des infrasons, créant ainsi des éléments perceptifs d’orchestration audio-haptiques et d’expérimentations visuelles ». D’autres pistes, comme la connexion avec une imprimante 3D, sorte de prothèse du baiser, sont en cours de développement.
Vers une communauté de baisers numériques ritualisés ?
Expérimenté au départ par Lancel & Matt uniquement, dans un cadre performatif soumis aux commentaires (via un véritable questionnaire) du public, le dispositif s’est ouvert à d’autres en configuration live. « A notre grande surprise, beaucoup de participants ont voulu s’embrasser », s’étonnent-ils.
«EEG KISS» au Discovery Festival d’Amsterdam, 2014 :
« Les résultats collectés sont la part d’imaginaire que suggèrent les données graphiques. Et si ces données graphiques montrent clairement, et comment, la nature intime du rapport saisi entre les personnes ». Ces graphiques permettent ensuite la constitution d’une galerie de portraits atypiques. « En parallèle, on cherche à savoir comment les personnes s’identifient à leurs « portraits-baisers ». Les gens aiment avoir ce type de portraits et nous souhaitons d’ailleurs en faire une exposition spécifique ».
Une direction participative qui devrait se doubler prochainement d’une orientation plus communautaire à travers le projet Global EEG KISS. « Dans le cadre de Global EEG KISS, les mesures effectuées serviront à la création d’un « bisou-rituel » communautaire, directement traité numériquement en temps réel et à expérimenter en et hors-ligne. »