Romain Di Vozzo : « Des alternatives aux dogmes industriels existent »
Publié le 24 septembre 2024 par la rédaction
Empower Université Paris-Saclay aura lieu les 27 et 28 septembre au Gymnase de Centrale Supelec. Ouvert à tous les publics, l’évènement organisé par l’université et son réseau de lieux innovants (Fablab UPSaclay, le Design Spot, la Fabrique (CS), le Foodin’lab d’AgroParisTech, le 503 de IOGS, Le CEA-INSTN, et la Pepinière INRAE) présentera 30 stands et une multitude d’ateliers interactifs, pour découvrir le futur du design, de l’ingénierie, des technologies et des sciences. Entretien avec Romain Di Vozzo, maitre d’oeuvre de l’évènement.
Makery : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Romain Di Vozzo : Je suis directeur du Fablab Université Paris-Saclay (Fablab UPSaclay), et chef de projet du réseau des fablabs et des lieux innovants de l’Université Paris-Saclay. Je suis aussi mentor du réseau international des Fablabs, artiste/designer et producteur d’objets d’art. J’enseigne le design appliqué à la fabrication numérique à UPSaclay dans plusieurs formations (Faculté d’Orsay-UPSaclay, ENS-UPSaclay, Université d’Évry, etc), notamment dans mon cours : THE ART OF FABRICATING TANGIBLE SURFACES. Je suis particulièrement intéressé par les arts politiques : le design systémique et le design critique, l’environnementalisme, les réseaux distribués, la post-croissance et, plus généralement, les SHS, qui nourrissent mes pratiques. Les sciences et l’ingénierie en générale m’intéressent. Mon talon d’achille intellectuel : Je suis fasciné par la biologie de synthèse que je trouve aussi problématique qu’excitante. Je suis arrivé dans le monde des fablabs vers 2010 par l’impression 3D qui, sur le plan technique, est restée mon “forte”.
Quelles sont les motivations pour organiser cet événement ?
Les Présidences successives de l’Université Paris-Saclay – Je remercie ici pour leurs soutiens Sylvie Retailleau et Estelle Iacona – et la Direction Générale des Services de l’université (Je remercie Julien Sempéré) m’ont demandé de poursuivre le développement du réseau de Fablab UPSaclay dans le cadre d’AAP dont le dernier en date est le COMP : Le Contrat d’Objectifs, de Moyens, et de Performances proposé par le MESRI (Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation). EMPOWER UNIVERSITÉ PARIS-SACLAY résulte donc d’une démarche institutionnelle de positionnement et de mise en visibilité des fablabs de l’université qui prend acte que les fablabs sont des tiers-lieux qui touchent presque tous les méta-objets de l’université : l’Innovation et la Recherche, l’Enseignement, la vie de Campus, la vie Économique, la Culture, etc. Cet agenda événementiel vient également initier un nouveau cycle de développements pour Fablab UPSaclay qui ouvrira en fin d’année son extension (avec pignon sur rue) dans l’École Nationale Supérieur (ENS-UPSaclay), avec pour objectif de proposer aux publics une expérience véritable de la fabrication et du design distribué.
Mon objectif en terme de publics est de démarrer l’année universitaire avec un événement scientifique, technique et festif qui met en valeur la créativité des étudiants et des personnels de l’université, mais dont le périmètre élargi concerne aussi les spécialistes et les passionnés de Design, de Fabrication Numérique, d’Art, et d’Ingénierie qui conçoivent et fabriquent des objets technologiques (ou faits avec des technologies numériques).
Il y a bien entendu la motivation de faire connaître les espaces du design et du faire de l’université au plus grand nombre de personnes possible (interne et externes) et de partager les prémices du développement du réseau de lieux innovants (fablabs, tiers-lieux, labos) mêlant design et fabrication distribués de l’université. Je tiens également à remercier le Laboratoire Interdisciplinaire des Sciences du Numérique (Merci à Michel Beaudouin Lafon et à Sophie Rosset) dont Fablab UPSaclay est une branche projet.
Le rendez-vous sera l’occasion pour des étudiants des écoles du campus de Saclay de présenter leurs travaux ? Pouvez-nous nous en donner un avant-goût ?
S’il s’agit avant tout de faciliter le partage des pratiques de design et de fabrication numérique des membres de l’université (qui seront très bien représentés par les membres de notre réseau de fablabs et de lieux innovants), il s’agit aussi d’éviter l’entre-soi universitaire. Pour cette raison, et pour son lancement, notre événement est à la fois gratuit et ouvert pour tous les exposants présentant un travail exigeant, et pour tous les publics.
Rassembler des exposants internes et externes à Université Paris-Saclay permettra de créer des opportunités pour les publics qui viendront découvrir ou redécouvrir le mouvement des fabers/makers (version universitaire), cela permettra aux exposants professionnels de rencontrer des étudiants et des chercheurs et de partager leurs savoirs-faire, et surtout, cela permettra aux étudiant.es et au chercheurs.euses et aux personnels de l’université de montrer ce qu’ils/elles conçoivent et fabriquent à leurs pairs et aux publics au sens large.
Vous pourrez voir des fusées, une exposition d’objets mathématiques, une ferme d’imprimantes 3D, des robots de la coupe de france de robotique, de la jonglerie sonore, de l’impression 3D de céramique, du design, des capteurs de CO2 faits maison, des découpeuses laser et des fraiseuses numériques, des projets artistiques (films et objets), un atelier de couture, de la réalité augmentée, des zoïmorphes (!), un boulanger solaire, une machine qui tisse des oeuvres d’art, une machine qui imprime des circuits électroniques, un spectroscope infra-rouge open source, une imprimante-papier ouverte, etc.
Le fait d’organiser ce rassemblement maker à la rentrée universitaire est-il aussi un moyen de s’adresser plus directement aux nouveaux étudiants sur les possibilités croisant fablab, ingénierie et recherche proposées sur le campus de Saclay ?
Université Paris-Saclay est un mastodonte dont il est difficile de prendre la mesure tant qu’on ne l’a pas visité. Coincée entre ses très belles performances en matière de recherche scientifique, son rang de choix dans le classement de Shanghai (12e place mondiale) et la complexité de tous les jours d’administrer les relations entre 14 établissements distants parfois de plusieurs dizaines de km, il convient d’expérimenter des formats de rassemblement qui permettent le plus possible la mixité des publics et l’accès au campus.
Parmi d’autres approches et temps forts de l’innovation sur le campus, la possibilité d’installer un événement fédérateur et récurrent qui célèbre la créativité et l’ingéniosité en-dehors de toute valeur marchande pourrait séduire les étudiant.es fraîchement arrivés qui ne connaissent pas les fablabs.
Les fablabs et les tiers-lieux du campus, en tant que dispositifs socio-techniques, permettent de se former à la fabrication numérique, de se réunir autour d’un même sujet ou projet, de s’informer sur les nouvelles technologies ou sur les innovations, de rencontrer d’autres personnes, de partager ses idées et ses travaux et de les prototyper rapidement.
Vous présenterez beaucoup de projets de petits matériels ouverts ou do-it-yourself (mini microscopes, capteurs, etc.), êtes-vous inscrits dans la dynamique du réseau international Global Open Science Hardware ? Que pensez-vous de ce mouvement favorisant la distribution d’un petit matériel ouvert et à bas coût ?
Je suis pour ma part convaincu que toute solution hardware ne devrait pas être la propriété exclusive d’un groupe de personnes donné, et que le développement des Communs doit rester une priorité pour concurrencer l’expansion des marchés partout où il est possible de le faire. J’ai suivi le développement de la OSHWA (Open Source Hardware Association), et j’ai partagé le 6e étage du Media Lab du MIT avec des camarades du Global Bio Summit qui sont aussi dans GOSH (Gathering for Open Science Hardware). J’aimerais bientôt inscrire notre réseau universitaire naissant dans ce réseau global comme j’ai pu inscrire le Fablab UPSaclay sur la carte internationale des fablabs (fablabs.io).
En corrélation avec votre question, il me semble important de rappeler qu’une vie créative régulée par la tension de toujours devoir cacher ou protéger ce qu’on design ou fabrique est une vie d’asservissement aux dogmes industriels. Des alternatives à ces dogmes existent. Alors que le vivant disparaît à grande vitesse et que la disparition de l’énergie pétrole est inéluctable, ré-industrialiser un pays comme nous l’avons fait dans le passé me semble déraisonnable et utopique. Je préfèrerais que les sociétés orientent leur développement sur un niveau artisanal 2.0 ou 3.0 plus tenable, plus facile à maintenir, moins gourmand en ressources naturelles, etc. Les technologies de pointes seraient alors réservées à ce qui renforce les Communs, comme la santé.
Dans ce contexte, le développement communautaire de petits dispositifs technologiques sobres, robustes, utiles, et reproductibles en “super fablabs” est au coeur du modèle que je porte pour Fablab UPSaclay. Mais pour bien faire, il conviendrait (au minimum) d’arbitrer sur ce qu’il serait prioritaire de développer et de fabriquer localement, en privilégiant les micro-séries de 10, 100, 1000, 10000 pièces, mais pas au-delà. Dans un fablab comme celui que je pilote, les étudiants ont toujours le choix de suivre la voie de l’ouverture. Celles et ceux qui se destinent à la recherche scientifique sont peut-être disposé.es à aller vers l’Open Source Hardware, mais mon sentiment est que l’omnipotence du capitalisme et de ses logiques de marchés envahissent tous les espaces, y compris les nôtres. Une base ferme de chercheurs et de chercheuses défendent les principes de l’Open Source Hardware, mais les étudiant.es poursuivent souvent des rêves différents, parfois alimentés par les figures puissantes et dominatrices de l’entrepreneur et de l’industriel versées dans les logiques propriétaire et restrictives, qui sont toujours un peu le fantôme dans la pièce : invisibles mais ancrés dans les représentations de chacun.e, ils parviennent toujours à atteindre les imaginaires et à se faire inviter à la table des discussions. Et il faut les combattre constamment.
Vous présentez également des projets à orientation plus artistique ou d’artisanat numérique, pouvez-vous nous en dire plus ?
À UPSaclay, les arts et la créativité ne sont jamais loin : La Scène de Recherche de l’ENS, La Diagonale Université Paris-Saclay, le Centre de Recherche en Design (CRD) de l’ENS, le Design Spot, Fablab UPSaclay, le Créartathon (INRIA-UPSaclay), tout le monde travaille à faciliter l’émergence de projets Art-Sciences en prise avec les réalités sociétales, sociales et environnementales que l’espèce humaine génère.
L’artisanat 2.0 a un potentiel intéressant parce qu’il peut être frugal et s’avérer une réponse adaptée en cas de raréfaction énergétique drastique. Plus généralement, le développement du domaine des STEAMs (Sciences, Technologies, Engineering, Arts and Maths) tant en matière de recherche que d’enseignement me semble indispensable pour le futur des sociétés.
A ce sujet, quelques mots sur le DU Fab Academy+ ? Où en êtes-vous aujourd’hui avec ce diplôme qualifiant ?
En terme d’inscriptions, le DU Fab Academy+ est globalement un échec…même si les étudiants qui ont obtenu le diplôme ont tous trouvé leurs places dans le monde du design et de la fabrication numérique et de l’enseignement. Les raisons de cet échec sont connues. Une nouvelle équipe a été embauchée pour créer la Direction de la Formation Tout au Long de la Vie de l’université, et travaille à re calibrer cette offre de formation afin qu’elle trouve ses publics. Il faut aussi noter que Neil Gershenfeld partira bientôt en retraite, et que – même s’il gardera certainement une place dans ce programme d’éducation distribuée – la Fab Academy fait d’hors-et-déjà l’objet d’un travail de réflexion sur son futur.
Une autre édition de Empower Université Paris-Saclay est-elle déjà en perspective ?
À la suite de cette première édition 2024, nous évaluerons la pertinence de proposer une production pour 2025 (ou non), en gardant aussi en tête l’idée de permettre sa distribution dans d’autres universités publiques qui le souhaiteraient. Un événement national distribué universitaire (annuel ?) célébrant la créativité et la technique fait sens dans un pays comme le nôtre qui avait pour la première fois proposé (RFF LAB) une version distribuée de la conférence des fablabs (FAB14) de 2018.
Cette première production de EMPOWER UNIVERSITÉ PARIS-SACLAY aura lieu les 27 et 28 Septembre 2024, à l’école Centrale Supélec (Bâtiment Bouygues), sur le plateau du Moulon, à Gif-sur-Yvette.
1) Le lien vers la billetterie (gratuite mais obligatoire) : https://www.eventbrite.fr/e/billets-empower-universite-paris-saclay-2024-997972391287
2) Le post LinkedIn de UPSaclay qui résume les informations : https://www.linkedin.com/posts/universit-paris-saclay_makerfaireparissaclay2024-mkfps2024-fablabupsaclay-activity-7237708667196768256-2TkD
3) La publication dans Open Agenda : https://openagenda.com/fr/universite-paris-saclay/events/empower-upsaclay-2024?cl=fr
4) Pour s’abonner à la page LinkedIn de l’événement : https://www.linkedin.com/showcase/empower-upsaclay-2024/?viewAsMember=true
5) Le lien vers le mini site web : https://empower-upsaclay-2024-romaindivozzo-b77b9139353256b18c2c2d32843.gitlab.io/