Makery

Devenir Non-Alien: manifeste provisoire pour un laboratoire des communs recombinants

Aliens in Green, Antre Peaux, Jan. 2019, Bourges, France

En 2017, quelques années avant la pandémie de SRAS-CoV-2, le collectif Planète Laboratoire proposait un manifeste des « communs recombinants » par les Aliens In Green. Makery le republie.

Re-qualifier le laboratoire

Aliens in Green est un agent d’une planète devenue laboratoire. Le laboratoire est le lieu où ce qui n’est pas encore vient à l’existence et se matérialise. Avec la planète laboratoire, la biosphère est transformée elle-même en laboratoire, affectant ce que nous autres espèces issues du Cénozoïque, avons connu jusqu’alors.

Le futur n’est cependant pas encore fabriqué et les images en provenance du futur trouvent plusieurs voies de matérialisation. Certaines de ces images montrent un xéno-pouvoir qui suscite l’émergence d’entités radicalement nouvelles forçant l’évolution du vivant dans des directions non concertées entre espèces.

Au sein du xéno-laboratoire, et sur la base de notre aliénation d’hier, émergent et s’anticipent les dispositifs possibles de notre subordination ou de notre extermination future. À l’encontre de ce xéno-laboratoire, Aliens in Green envisage un laboratoire non-alien. Ce laboratoire du commun, lieu de rencontre et de constitution de communautés interspécifiques, est en continuité plutôt qu’en rupture avec la communauté d’êtres qui s’est expérimentée tout au long du Cénozoïque. Ce laboratoire est le lieu à venir où s’élabore la combinaison des formes vivantes, leur composition et leur articulation, qu’un saut ontologique voudrait nous faire occulter.

Cultiver un art des combinaisons

L’art des combinaisons vise d’abord à recomposer du commun dans un monde étrange. Cet art des combinaisons est art des symbioses, poussée commune vers la phusis, le «se-donner-une-forme en commun». La recombinaison génétique, les communications génétique, hormonale et chimique sont multiples et permanentes entre espèces. Si le sexe était le point pivot de la biopolitique classique liant ensemble les individus et les populations aussi bien que les citoyens et les États, le transfert agénéalogique des gènes, molécules, signaux, est peut-être ce qui nous permettra de comprendre la fabrique des nouveaux liens biopolitiques – entre les personnes et les licences, entre communautés d’utilisateurs humains et non humains, entre les polymorphismes et les politiques. Ces recombinaisons, immanentes à la société, doivent s’émanciper des standards propres au complexe bio-, chimio- et porno-industriel pour susciter des corps et des habitats se modifiant sous l’influence des êtres qui y vivent. C’est pourquoi la critique des xéno-hormones, des xéno-molécules, des xéno-gènes et des xéno-(éco ou bio)systèmes, la critique des xéno-pouvoirs qui en définissent les orientations et les devenirs, constituent le pendant nécessaire d’une politique des communs recombinants.

Cultiver un art de la composition

Une approche non anthropomorphique de l’intelligence ouvre le champ à de nouveaux lieux de composition sociale. Sortant d’une approche anthropomorphique ou cérébrocentrique de l’intelligence, reconnaissant que l’intelligence est répartie entre toutes les flux biotiques et les espèces, végétales, animales, fongiques ou bactériennes, les compositions sociale et politique changent radicalement. L’approche phyto-orientée reconfigure nos modes opératoires en visant à articuler la réflexivité et les modes de modélisation théoriques hérités de la culture anthropoïde occidentale à ces modes d’action.

La réflexivité par sa capacité de « rendre étranger », de mettre à distance, peut subvertir le processus de signification et nous permettre de nous représenter ce qui est irreprésentable. Une approche non anthropomorphique des affects permet également d’articuler les médiations entre corps et signifiants autrement qu’à travers identités et espèces, et d’appréhender les flux d’affects interconnectant et co-constituant des corps de différentes sortes.

Cultiver un art de l’articulation

Le concept d’articulation est important pour approcher la mise en laboratoire du vivant et de l’écosystème, dans le capitalisme, si on veut ne pas simplement réduire la critique aux seules approches économiques ou de rapports de classe. Les concepts de devenir-alien et de devenir-non-alien permettent d’articuler des mondes de façon à ce que leurs antagonismes potentiels soient neutralisés. Ils ont pour but d’articuler ou de coordonner les différents récits mettant à jour l’esprit anti-terrestre du capitalisme et réalisant les communs biosphériques.

En bref, ils permettent de construire des récits et dispositifs contre-hégémoniques, des solidarités trans-spécifiques, à la fois politique, épistémologique, technique et stratégique permettant la convergence des luttes anti-systémiques.

Aliens in Green, Human Tech Days, Houlocene, Antre Peaux, Jan. 2019, Bourges, France

 

Aliens in Green est un projet du collectif La Planète Laboratoire. En 2023-2024 Makery commissionne La Planète Laboratoire pour le programme More-Than-Planet, co-financé par l’Union Européenne.

Lisez notre tribune antérieure du collectif La Planète Laboratoire.