Electronic Textile Camp : arts textiles et l’électronique DIY réunis dans un ancien moulin dans le Michigan
Publié le 15 septembre 2023 par Cherise Fong
Du 15 au 24 septembre 2023, l’Electronic Textile Camp se réinstalle dans la ville historique de Vicksburg, dans le Michigan, aux États-Unis. Lara Grant, artiste et co-organisatrice, s’est entretenue avec Makery au sujet des camps et projets eTextiles passés et présents.
C’est un moment spécial pour tou-te-s celles et ceux qui viennent à l’Electronic Textile Camp (ETC) organisé à la Prairie Ronde Artist Residency à Vicksburg, dans le Michigan. Les organisatrices et les participant-e-s apportent des outils et des matériaux de tout le pays pour des ateliers programmés, des échanges improvisés et des séances de brainstorming. C’est l’occasion pour chaque résident-e d’apprendre et d’enseigner, de fabriquer et de coder, de se rencontrer et de créer. Ici, on partage des repas en commun dans les maisons des résidents, on expose publiquement des travaux en cours, on expérimente avec divers textiles et bricole avec l’électronique dans le vaste espace ouvert de l’ancienne papeterie restaurée de Vicksburg.
Inspirée à l’origine par eTextiles Summer Camp aux Moulins de Paillard en France, la résidence Electronic Textile Camp, basée aux États-Unis et dirigée par des artistes, a été inaugurée en tant que eTextiles Spring Break en 2017. Ces dernières années, cependant, il semble que les arts de la fibre (re)gagnent une reconnaissance officielle, et les « soft circuits » sont de plus en plus demandés : « Il y a plus de laboratoires qui y sont consacrés dans les universités, les gens qui travaillent dans le domaine du design d’interaction veulent un cours sur le sujet, les gens sont conscients de l’existence de cette discipline et s’y intéressent de plus en plus – surtout si vous vous passionnez pour les textiles d’une manière ou d’une autre », explique Lara Grant. Nous avons demandé à l’artiste e-textile, designer, bricoleuse et enseignante des e-textiles de nous en dire plus.
Makery : Qu’est-ce qui vous a incité à lancer une résidence d’artistes consacrée à l’e-textile aux États-Unis ?
Lara Grant : Liza Stark, Sasha de Koninck et moi [trois des organisatrices initiales, avec Nicole Yi Messier], nous avons tous participé au camp d’été d’eTextile en France pendant plusieurs années. Sasha avait également organisé SummerFest avec eux. Le camp lui-même est énergisant et inspirant. C’était aussi un excellent moyen de consolider la communauté e-textile en dépassant ses limites individuelles et en collaborant avec d’autres personnes.
La communauté est vraiment axée sur le open source, le partage des compétences, la participation des gens, les conversations, la créativité. Nous avons pensé que c’était un excellent moyen de rapprocher physiquement l’événement à un grand nombre de personnes qui normalement n’ont pas les moyens de se rendre en France rurale. Nous disons toujours que nous sommes un camp jumelé au eTextile Summer Camp français. Nous faisons également un lien vers Tribe Against the Machine, un autre camp d’eTextile qui se tient à Taïwan.
Makery : Qu’est-ce que c’est que d’expérimenter l’électronique et le textile à l’intérieur d’un moulin historique ?
Lara Grant : C’est toujours dans les vieux moulins que ça se passe. Le moulin de Vicksburg est l’endroit où se déroule notre camp d’été, à l’intérieur d’une ancienne papeterie. Au Wassaic Project, où nous avons organisé le Spring Break d’eTextile à New York, c’était également à l’intérieur d’un ancien moulin à grains. Le moulin de Vicksburg est donc extrêmement brut et industriel, ce que nous adorons. Le moulin est vraiment un lieu central où l’on peut aller pour s’inspirer et installer des pièces minuscules ou énormes, parce que le plafond est très haut. C’est un espace gigantesque.
La première année où nous sommes allés à Vicksburg, en 2022, nous avons installé nos stations de laboratoire. Nous avions une zone de soudure, une zone de tissage, une zone de sérigraphie, une station de repassage, une station de couture, etc. Ensuite, des tables ont été installées pour que les artistes puissent disposer de leur propre espace. Tout cela se trouve dans une immense salle du moulin. On marche sur des planchers en bois, il faut donc faire très attention. Nous devions porter des gilets de sécurité et des casques. C’était assez délirant !
L’année dernière, le mois d’octobre était très proche d’Halloween et certaines participantes ont décidé de projeter un film d’horreur. Elles ont mis un drap blanc, nous avons trouvé un projecteur dans l’espace communautaire du village et nous avons installé des chaises. Il y a tout cet espace ouvert que vous pouvez utiliser comme bon vous semble.
Makery : Quels sont les autres espaces disponibles aux participants du ETC ?
Lara Grant : Les particpants sont logés dans des maisons. Tous les soirs, nous nous retrouvons tous ensemble dans une maison pour dîner. C’est notre moment de détente communautaire.
Pour nos workshops, nous utilisons une maison aménagée d’une immense cuisine et de nombreux comptoirs si nous organisons un atelier de teinture, par exemple, mais nous nous installons dans d’autres espaces selon leur aménagement.
L’espace d’exposition est séparé du laboratoire et de l’espace de travail. L’exposition nous permet d’inviter les gens du village à voir ce que nous faisons, à se rencontrer et à discuter avec nous.
Makery : Les habitants de Vicksburg sont-ils curieux de découvrir les projets de l’ETC ?
Lara Grant : En fait à Vicksburg il existe une communauté artisanale très solide. Il s’agit d’un groupe de pratiquants du tissage, d’artisanat et d’arts de la fibre. L’année dernière, nous avons emprunté trop de métiers à tisser, nous n’avons même pas pu les utiliser tous, mais nous étions trop enthousiastes parce qu’ils nous les avaient proposés. Nous avons donc obtenu quatre ou cinq métiers à tisser différents, que nous avons mis à la disposition de nos participants. Ils ont été très gentils, nous avons donc dîné avec eux pour les remercier et établir un rapport, et ils ont apporté des desserts faits maison. J’ai mangé le meilleur gâteau aux carottes que j’aie jamais mangé de ma vie !
La village est si tranquille, c’est un excellent moyen de parler aux gens et de les connaître un peu. Ce sont tous des gens créatifs et amicaux, et ils veulent nous connaître aussi.
Makery : Quelles sont les applications eTextile les plus courantes ?
Lara Grant : Les textiles électroniques étant multidisciplinaires, ils se déclinent en plusieurs catégories. Certaines personnes sont plus orientées vers la mode, elles construisent des pièces robotiques très complexes qui sont également wearable, ou elles impriment en 3D une robe complète. La mode conceptuelle est donc une catégorie à part entière. Ensuite, il y a les pièces basées sur la performance : la musique interprétée par des artistes du son ou du bruit, des musiciens classiques qui se fabriquent des costumes qui réagissent ou détectent leurs mouvements pendant qu’ils jouent du piano…
Il y a aussi des gens qui s’intéressent à ce que j’appelle les circuits souples (soft circuitry) : fabriquer des composants électroniques durs à partir de matériaux souples, les expérimenter et les placer dans toutes sortes de contextes. Le sans-fil en fait partie. Je pense aux différentes disciplines dans lesquelles ils travaillent, comme le design de mode ou la performance. Un concept que je vois souvent sont les textiles dynamiques, les textiles qui se transforment ou qui changent, que l’on peut voir réagir à des données reçues. Les structures gonflables font également partie des textiles dynamiques.
Ensuite, il y a la vie publique contre la vie privée, quelque chose qui créera un espace privé pour quelqu’un, ou quelque chose qui réagira à quelqu’un qui entre dans son espace privé, ou quelque chose qui créera davantage une communauté ouverte au public. Les gens aiment jouer avec cette juxtaposition, ou même avec l’exploration physique et matérielle.
Makery : Et les biomatériaux ? Il semble que cette année, au moins une participante a fabriqué une breadboard fongique ?
Lara Grant : Oui, tout ce qui est biomatériel, qu’il s’agisse de bioplastique ou de mycologie. Les matières fongiques peuvent être utilisées de multiples façons. Il existe plusieurs manières de fabriquer des matériaux biodégradables.
Tout le monde s’intéresse de près à la durabilité, mais en réalité nous fabriquons des objets qui combinent des fibres et du métal. Une fois qu’elles sont fusionnées, il est impossible de les démonter, elles ne sont donc pas recyclables. Il est assez triste que les matériaux renouvelables ou biodégradables soient encore en phase de recherche, car je vois qu’il n’y a pas encore assez d’argent provenant des grandes entreprises et des personnes qui ont le pouvoir de faire bouger les choses pour les financer. Mais nous réfléchissons beaucoup à comment utiliser des matériaux durables, et les gens conçoivent des produits en fonction de ces critères. Tout cela nous préoccupe en tant que praticiens du textile électronique.
Makery : Quels sont vos espoirs pour ETC 2023 ?
Lara Grant : J’espère toujours que les gens pourront prendre le temps dont ils ont besoin, un temps agréable et inspirant. J’espère que les gens repartent avec quelque chose de nouveau, qu’il s’agisse d’un lien, d’une amitié ou d’une découverte d’un nouveau programme de doctorat.
Nous constatons aussi des tendances. Lorsque nous passons en revue les candidatures et regardons ce que les gens souhaitent apprendre, chaque année il y a toujours une chose. Cette année, c’est le p5.js, un nouveau langage de programmation visuelle. Nous avons donc veillé à ce que quelqu’un soit en mesure de donner un workshop sur ce sujet.
Sinon, les choses se passent de manière très organique. J’ai toujours peur qu’une catastrophe se produise. Parce que nous ne faisons que rassembler des personnes créatives avec des outils à leur disposition, des matériaux et un espace pour créer. Elles se lancent toutes dans l’aventure, chacune à sa manière.
L’Electronic Textile Camp à Vicksburg, Michigan, USA est co-organisé par Lara Grant, Liza Stark, Sasha De Koninck, Nicole Yi Messier et Victoria Manganiello.