Avec Alchimia Nova, Anne Marie Maes explore la matière vivante à Mulhouse
Publié le 29 mars 2023 par Elisa Chaveneau
Anne Maries Maes présente « Alchimia Nova » à la Kunsthalle de Mulhouse jusqu’au 30 avril. Une exposition à ne pas manquer pour les féru(e)s de peaux de kombucha, teintures naturelles, cire d’abeille, lichens et autres colonnes de Winogradski.
Parmi les nombreuses démarches artistiques qui aujourd’hui témoignent, racontent, considèrent les phénomènes biologiques dont notre monde est constitué, le travail de Anne Marie Maes est assez remarquable. Au travers de l’exposition Alchimia Nova à la Kunsthalle, Centre d’art contemporain de Mulhouse, elle nous fait découvrir de nouvelles bactéries, des symbioses, et créé des enchevêtrements de vies nouvelles, de nouvelles relations entres les vivants non-humains et les humains, et contamine l’espace par ses œuvres aux ressorts micro-bactériens.
L’exposition de Anne Marie Maes se présente comme une invitation à découvrir la rencontre entre deux mondes, le monde microbien et des vivants non-humains, et le nôtre, revisité par ces interactions. Déambuler entre les œuvres invite dès lors l’humain à prendre le temps de comprendre, de regarder les phénomènes et les éléments naturels qui peuvent échapper à nos modes de compréhension du monde. Les œuvres proposées par Maes résultent d’une vraie attention et d’une connaissance des éléments vivants qu’elle utilise, elle se saisit de techniques et de gestes qui rencontrent des procédés naturels d’un écosystème et des procédés de fabrication humaine. Tout au long de l’exposition on peut contempler un vrai engagement et intérêt pour le contexte écologique actuel et on y retrouve une constante rigueur scientifique dont elle fait preuve notamment avec son cabinet de curiosités.
Le cabinet de curiosités montre des expérimentations de nouveaux matériaux qu’elle cultive elle-même. Des peaux bactériennes moulées différemment, passant par exemple de la carapace ou structure animalière à la sphère. On peut y voir des systèmes électroniques connectant des objets étonnants. L’ambivalence que l’artiste met en exergue entre le fonctionnement, l’approche technique de ses œuvres et les médiums naturels utilisés, créent une sorte de nouvelle perspective pour le spectateur et nous fait comprendre que monde naturel ne s’oppose pas à la technique, mais bien qu’ils peuvent s’articuler.
Laboratoire de formes et de matières
Les passages entre les œuvres évoluent entre de nouvelles considérations d’espèces bactériennes et de différents matériaux. Les matières premières qu’utilise l’artiste proviennent de ressources naturelles ; fibres, cires d’abeille, roches… Elle travaille aussi avec des bactéries et des levures dont le nom n’est malheureusement pas toujours mentionné. Elle combine ces matières naturelles avec des matériaux bruts tel que le métal comme le montre la singularité de ses tableaux en cire. Dans ces tableaux de cire, qui est un matériau qui revient souvent chez l’artiste, la cire est mise à plat dans des cadres métalliques. La transparence de la cire et des alvéoles qu’elle peut créer laisse apparaître le métal qui la soutient, jouant avec les matières.
De même que pour We Are All Lichen ce gros rocher provenant de la région où se tient l’exposition est recouvert de lichen, ces champignons coopérant avec des algues et bactéries, symbiose entre les éléments, une sorte de vie croisée qui ne plus être séparée, car l’un protège l’autre de ses différentes propriétés. La brutalité du rocher met en évidence la beauté des formes naturelles et non retravaillées par l’humain. On y lit la référence à Donna Haraway quand elle écrit dans son ouvrage Vivre avec le trouble (2016) « Nous sommes tous des lichens ; nous pouvons donc être grattés sur les rochers par les Furies, qui éclatent toujours pour venger les crimes commis contre la terre », et cela renforce le sentiment que l’artiste veut nous montrer avec cette roche le besoin de croiser nos modes d’existences et de matériellement nous faire comprendre cette lecture écologique contemporaine : lichens nous sommes.
On retrouve autour des formes et des matières utilisées une dualité entre une nature en milieu urbain, avec une esthétique du laboratoire, une architecture industrielle avec l’utilisation du métal et également la nature en milieu plus rural, une vraie poésie de l’incontrôlable, du jardin où tous peuvent y pousser et y vivre. C’est notamment le cas de ces abeilles, avec les ruches qu’elle observe directement depuis son jardin à Bruxelles grâce à des micro-caméras, elle a accès à la vie des abeilles, comment elles interagissent, comment elles bougent dans l’espace de la ruche et elle le retranscrit dans une vidéo présentée à la fin de l’exposition. Bee agency montre l’importance qu’elle donne au monde du vivant, aux autres qu’humain, ils sont protagonistes de son œuvre et par conséquences du monde entier. Anne Marie Maes porte un point de vue qui ne se veut plus anthropocentré.
Peaux du sensible
Quant aux matériaux qu’elle utilise et qu’elle cultive, une autre matière envahit l’espace, une peau micro-bactérienne, Sensorial Skin qui fait l’affiche de son exposition. L’artiste a recouvert une table de verre d’un patchwork ressemblant sensiblement à une peau, un cuir. Anne Marie Maes cultive du SCOBY de kombucha avec une dextérité incroyable qui lui permet de coudre les peaux entres elles, les former, les mouler… Mais si nous n’y prêtons par garde, nous pourrions passer à côté d’une culture qui se passe in situ. Effectivement, l’artiste a décidé d’exposer le processus de création de sa matière. Proches du sol, les peaux grandissent, flottant dans deux thés différents. L’une dans un thé noir aux ressorts orangés qui nous amène à comprendre l’esthétique de l’exposition aux couleurs très naturelles dues aux ingrédients dont elle préserve l’essence même. L’autre peau pousse dans un thé violet, légèrement rosé rappelant avec élégance les tentures qui se trouvent juste derrière Poems from a Rooftop Garden. Ces deux tapisseries font écho par leurs couleurs mais aussi par leurs motifs à la spécificité des biofilms qui résultent de la culture de bactéries et de levures que l’artiste utilise dans ses travaux. La technique de tissage employée permet une nouvelle approche et un nouveau regard sur les trames et motifs des biofilms rendant visibles ce qui ne l’est pas à l’œil nu.
Au centre de l’exposition, comme une réponse aux tapisseries exposées au mur, se trouve une structure en métal, Reading the Landscape qui se trouve être un métier à tisser parfaitement fonctionnel. L’aspect industriel qu’il dégage créer un contraste avec les matières organiques dont il est entouré. Il soulève d’autant plus la volonté de Maes à connecter deux mondes, un fait de ressources naturelles, de vivant et l’autre de techniques industrielles humaines. La connexion entre les deux est d’autant plus forte car l’artiste a choisi pour sa sculpture d’utiliser pour éléments de tissage la laine de mouton pure qu’elle colore à partir de teinture végétales élaborées à partir de ressources du territoire mulhousien.
L’exposition Alchimia Nova est porteuse de beaucoup de soins apportés aux vivants, aux autres que nous-même. Elle vient apporter une poésie réconfortante sur l’actualité d’une écologie difficile, nous reconnecter avec la nature et nous faire comprendre le lien inévitable qui nous tisse à elle. Anne Marie Maes met en exergue les plus petites entités de notre monde pour nous laisser lire dans son exposition les incroyables capacités de la nature.
L’exposition Alchimia Nova de Anne marie Maes est visible à la Kunsthalle Mulhouse jusqu’au 30 avril.