Apprendre à s’hybrider avec l’environnement, performer en haute altitude, percevoir autrement, décentrer la gravité, c’est ce que propose depuis cinq ans Laurent Chanel, artiste, performer, danseur, poète et authentique passionné, avec son cycle de stages Bivouac# dans le cadre de la compagnie, A.A.A. (l’Académie Artistique d’Altitude). Cinq jours durant, du 25 au 29 juillet, les participant.e.s vont vivre une expérience chorégraphique et poétique, une exploration perceptive à 360° du Massif montagneux (et glaciaire) de la Vanoise. Makery l’a vécu pour vous.
A la fin du XIXème siècle Charles Sherrington (Prix Nobel de médecine) décrit la façon dont notre corps perçoit (et s’empare) de son environnement. Il nomme cette qualité de perception la proprioception, ou kinesthésie. Le terme décrit la sensibilité du système nerveux aux informations provenant des muscles, des articulations et des os. En gros, dans la proprioception, le corps apprend à l’esprit par le mouvement. Cette expérience quotidienne du corps-mémoire, Laurent Chanel la connaît bien ! L’artiste, performer et danseur, s’intéresse à toutes les disciplines qui concernent notre approche physique et physiologique (mais également philosophique) du monde qui nous entoure, et ce, depuis ses débuts. Avec ce cycle BIVOUAC# (le neuvième aujourd’hui), il invite des personnes de tous les horizons à découvrir un environnement parfois hostile (ou perçu comme tel), souvent difficile, toujours stupéfiant, au cours d’explorations artistiques qui « relient les pratiques in-situ du cheminement et de l’immersion en milieu sauvage à des actions chorégraphiques et poétiques ».
BIVOUAC, l’aventure extérieure
On parle beaucoup « d’aventure intérieure ». Héritage New Age qui conseille de se recentrer, de faire le point avec son « être authentique », de sentir le « cœur » en nous, au sens anglo-saxon de « noyaux dur », dans lequel, censément, se trouve notre « être profond ». Plus généreusement, les bivouacs de Laurent Chanel nous invitent à faire le contraire : participer à un BIVOUAC#, c’est apprendre à « Danser le milieu, se plonger physiquement et mentalement dans les caractéristiques et l’atmosphère d’un territoire, d’une matière, d’une étendue, d’un climat. ». Comme son initiateur le dit « Bivouac# utilise une constellation d’expériences pour générer des aventures perceptives ». C’est « jouer avec les météorologies, leurs caractéristiques et leurs caractères. S’imprégner des qualités tactiles et sensitives du vent, de la chaleur, de l’ombre. Jouer avec les qualités optiques et gravitaires. Arpenter nos géographies intérieures. Matérialiser les métamorphoses du paysage. Performer le biotope, s’immerger dans la matière vivante qui nous environne et nous englobe. Participer aux écosystèmes d’altitude, halluciner les montagnes, danser le milieu et semer des imaginaires en reliefs. »
Le Canada à Champagny en Vanoise
Il est treize heures quand arrive l’automobile de Céline, avec qui je vais partager cette aventure. Pour l’heure, elle est ma conductrice, et s’avèrera d’un inestimable soutien par la suite. Ensemble nous nous rendons sur le site de BIVOUAC#9. Au départ de Lyon Opéra, direction le camping Le Canada, deux heures et quart de route détendue où nous ferons connaissance.
Arrivés sur place à l’heure. Nous découvrons l’environnement déjà somptueux du site sur lequel nous passerons notre première nuit sous la tente avant l’ascension. Montagnes au loin, Parc et massif de la Vanoise, nous sommes dans l’est du département de la Savoie en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Laurent Chanel nous accueille. Il sera notre guide. Au bar du camping, nous sommes neuf à nous présenter devant un verre de thé glacé maison : Vanina, Muriel, Xing, Benoit, Céline, Stéphanie, Claire, Laurent et moi. Au Canada, nous sommes loin de la canicule qui règne sur le pays avec moins de 16 degrés vers 17h00. Pour le reste, l’ambiance est chaleureuse et cela tient certainement au caractère du « maitre de cérémonie ». Un personnage charismatique, rayonnant, animé par une passion et une volonté évidente. Le visage habité d’un sourire sous deux yeux plissés de bonheur. Il ondule souvent des hanches, bouge le bassin différemment. Son expression favorite est « C’est goûtu », qu’il ponctue de « Hmmm » profonds.
Une ouverture de film de science fiction
Fin du brief. Histoire de « se mettre en jambe », Laurent nous propose une séance de décentrage du réel autour d’une structure étrange plantée à l’entrée du site. Un totem d’acier et de bois qui s’englace, nous explique l’intéressé, quand le vallon atteint des températures polaires. La « tour de glace » de Champagny le Haut, dénudée par la chaleur, devient une invitation aux rêves et aux désordres de l’imagination. Ici on commence à lâcher prise. On abandonne derrière nous la rationalité du quotidien. On invente un monde possible en tournant autour de cet artefact surgi devant nous à la Plagne, au pied de la Vanoise.
C’est un peu découvrir les vestiges d’une civilisation extrêmement avancée mais méconnue car trop difficile d’accès ou éprouver une possible vision d’un futur post-apocalyptique. Un vestige qui pourrait être aussi un marqueur de notre histoire quand il ne restera plus rien. Nous n’y sommes pas encore tout à fait, et pourtant, la montagne est déjà le véhicule d’un voyage dans le temps que l’on pourrait appeler « Gravit’aire », un espace des possibles géophysiques et un territoire d’aberrations spatio-temporelles.
« Tout sauf l’humain »
Levé à 5:30 pour ce premier jour d’ascension prévu à 7:00. Aujourd’hui, il nous faudra affronter 1000 mètres de dénivelé en 4/5 heures. Dès le début, mon cœur s’affole. Le corps n’est pas encore en route. Pas de douleur mais une sudation extrême et surtout une hyperventilation certaine. Les premières crampes apparaissent à 450 m du Col de Leschaux et s’apaisent finalement assez rapidement. Juste avant l’ascension Laurent Chanel nous propose de faire un geste, une action à chaque étape de montée. Un rituel qui symbolise l’abandon de la vallée et l’ascension vers les cimes.
Nous découvrons au fil de la marche un stupéfiant paysage minéral. Le silence aussi. Puis quelques quatre heures plus tard, enfin, les premiers glaciers au loin. La température baisse drastiquement, mais le soleil lui, brûle plus que jamais. En bas dans la vallée tous les efforts humains semblent dérisoires. Mais pas de désespoir, car il y a la fierté d’avoir éprouvé le très fatiguant, le très chaud, le très froid, la douleur, l’extase. Bientôt le col ! Me souvenant du stade Jesse Owens devant lequel j’ai logé pour le festival Bellastock (voir notre article) je lève le poing à la mode des Black Panthers. Pas de réappropriation culturelle ici, juste un hommage à cet afro-américain qui a vaincu les « grands blancs », tout comme j’ai fini par vaincre la « grande montagne blanche ».
Mais je suis encore humain
Mes références sont d’ici
A quand le devenir montagne ?
Bientôt !
Maxence Grugier est chroniqueur-en-résidence de Rewilding Cultures, une coopération co-financée par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.