Quatre jours pour bâtir autrement sur la cité conviviale de Bellastock
Publié le 27 juillet 2022 par Maxence Grugier
Cité chantier, ville éphémère, village wild tech, fiction urbaine, Bellastock est un laboratoire d’architecture à taille humaine qui s’épanouit dans l’expérimentation, la formation et la médiation depuis 2006. Makery s’est rendu à l’édition 2022, du 14 au 17 juillet à Évry-Courcouronnes, placée sous le signe de la convivialité. Reportage.
« Faire Bellastock » c’est passer 4 jours tou.t.e.s ensemble à construire en inventant de nouveaux moyens d’habiter, de nouvelles façons d’envisager l’architecture, une autre approche de nos rapports à l’environnement. On écoute des conférences d’urbanistes, d’architectes, de paysagistes ou d’artistes, aux sons des scies, des marteaux et des masses (ou en épluchant et équeutant une tonne de concombres et de radis récupérés dans les entrepôts de Rungis afin de cuisiner, en quantité astronomique mais toujours de façon responsable). On vit en apprenant et en partageant compétences et expériences.
Proche des berges de la Seine dans la couronne d’Evry, en amont de Paris, on peut aussi se détendre dans l’herbe en écoutant de la musique, profiter des « plages », se baigner au milieu des poissons et des libellules, à 30 km de la capitale qui étouffe. Antoine Aubinais, co-directeur de Bellastock, raconte la genèse du festival : « Bellastock est née à l’école d’architecture de Paris Belleville. Nous étions en troisième année d’architecture et il nous manquait la pratique, tout ce qui est concret : construire. Nous avons donc développé un festival pour inviter des étudiant.e.s en architecture à concevoir, construire et déconstruire. Dans cet exercice, on retrouve tous les ingrédients qui font Bellastock : comprendre que les matériaux circulent, que l’on peut les réutiliser et qu’ils vont avoir une seconde vie. Prendre conscience que dans une construction il faut laisser une marge de flexibilité aux usagers pour qu’ils puissent s’en emparer et la transformer. Et enfin, travailler sur la dimension conviviale : inventer et concevoir des projets ensemble, cela crée des liens et aujourd’hui c’est ce qui irrigue tous les projets que Bellastock défend. »
Laboratoire public
Comme à chaque édition du festival, les participant.e.s ont quatre jours pour construire leur propre habitat en équipe, à l’aide des outils et des matériaux de récupération mis à disposition par l’équipe de Bellastock. Cette année, ballots de paille du festival We Love Green, travées de chemin de fer, pneus, bâches, sangles récupérées du festival Bellastock 2018, sont mis à disposition pour habiter le magnifique parc « ensauvagé » de la maison Sainte-Geneviève, un ancien couvent situé à quelques mètres de la minuscule gare de Grand-Bourg, sur le territoire de la commune de Ris-Orangis. En partant d’un existant standardisé par le festival (la CAAPP-BANE, un projet de tente lauréat de l’Appel à Projet bellastock 2021), il.elle.s doivent imaginer un habitat convivial construit avec ces matériaux de réemploi.
Plus de 250 personnes se répartissent sur le site pour bâtir autrement cette cité éphémère et conviviale où l’on apprend en s’amusant, en échangeant et en expérimentant. L’avant-dernier jour, avant de tout démonter, les bâtisseurs ouvrent le site au public pour leur faire découvrir leurs constructions et les enjeux du domaine. « Le BTP représente deux tiers des déchets dans la production industrielle, pose Antoine Aubinais. Il y a donc un vrai enjeu dans ces questions de réemploi des matériaux. Nous avons fait une recherche qui nous a permis d’être pionnier sur le sujet et qui aujourd’hui aide nos confrères architectes à favoriser la déconstruction plutôt que la démolition. Dans chacun de nos projets la dimension sensibilisation des publics est intégrée. Une personne informée se sent plus concernée par l’endroit où elle vit. ».
Une expérience synergétique de bonne volonté
La réussite d’un tel projet tient bien entendu à son organisation, et en cela on ne peut qu’admirer le travail de la Bellastock Crew. Mais l’ensemble est évidemment coordonné par de multiples volontés et de nombreux partenaires. Faire à manger pour 200 personnes pendant quatre jours (plus de 1000 quand le public investit l’espace entre samedi et dimanche) en pleine nature nécessite de rassembler un maximum de compétences. Sur le site on trouve par exemple Disco Soupe (une association créée à Paris, qui vise à lutter contre le gaspillage alimentaire), dont les bénévoles se rendent à Rungis tous les jours à quatre heures du matin pour aller chercher les invendus et préparer les repas des festivalie.ère.s. Confitures Re-belles, une émanation de membres de Disco Soupe visant à la réinsertion et la fabrication de confiture à partir de fruits et légumes écartés des circuits de distribution, est également présente. Tout comme le Low-tech Lab (programme de recherche et de documentation Open-Source visant à valoriser l’innovation low-tech) dont les membres partagent généreusement leurs connaissances en matière de technologies abordables, réutilisables et durables et environnementalement neutres, auprès des personnes intéressées.
On interroge au hasard des participant.e.s qui viennent de toute la France (Grenoble, Lyon, Nancy, Rennes, Paris et sa région) mais aussi de l’étranger (Slovénie, Italie, Espagne) attiré.e.s par le programme et l’esprit de l’évènement. Eliott (24 ans) et Paul (23) s’activent de concert sur la parcelle dite « des Souches ». Le premier travaille dans une agence de construction ; il ne se sent pas investi par son activité professionnelle et trouve à Bellastock une compensation. Paul est étudiant en design à l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) où il étudie principalement le design produit, de services et de communauté. Ce qui l’intéresse ici c’est « comment construire, comment s’outiller en improvisant et en collaborant en communauté quand on ne se connait pas ».
Plus loin, Aude (25 ans) travaille chez Plateau Urbain, une coopérative d’urbanisme transitoire, partenaire de Bellastock. Elle est investie dans les problématiques soulevées par Bellastock et partage les ambitions du festival depuis longtemps. Sarah (24 ans), étudiante en architecture à Grenoble après une réorientation, a un professeur qui travaille à Bellastock, elle a donc tenu à venir observer à quoi ressemble le chantier. Elle envisage l’architecture contemporaine comme une « manière de changer la donne en apprenant autrement ». A côté d’elle, Mélanie (18 ans), première année d’école d’architecture se dit heureuse d’être sur le site. « En école d’archi on est parfois hors-sol, on est rarement sur des chantiers. Ici on apprend des choses concrètes même à petite échelle, on met la main à la pâte. C’est une façon de passer du théorique au pratique dans une démarche écologique et éco-consciente ».
Un festival qui s’institutionnalise
On pourrait croire que la population éphémère du lieu est principalement composée d’étudiant.e.s en architecture ou urbanisme, qui travaillent en agence et font du neuf ; il n’en est rien. On croise durant quatre jours, des musicien.ne.s, des artistes visuels et même un boulanger ! Cet aura qui entoure Bellastock s’explique aussi par les volontés de médiations et de communications de l’équipe. « Après 16 ans d’activités, le ministère de la Culture nous a interpellé en nous disant “c’est bien de réinterroger la manière d’enseigner, de développer un projet pérenne sur site, maintenant que pourrait-on faire pour que d’autres d’étudiant.e.s bénéficient des outils pédagogiques et des réflexions que vous avez menées pendant toutes ces années ?” », raconte Antoine Aubinais. Il a donc été question de monter une école de l’expérience. Sur le modèle des Grands Ateliers qui avaient lieu en Auvergne-Rhône-Alpes, où, dans les années 90, des spécialistes terre ont développé ce genre de projets d’écoles par le Faire, Bellastock relocalise un lieu d’expérimentation sur la région île de France dédié aux six écoles d’architecture franciliennes. « C’est au croisement de ces volontés et ces énergies que l’on a imaginé le CAAPP (Centre Art Architecture Paysage Patrimoine) dont les objectifs sont assez simples : croiser les disciplines en faisant en sorte que paysagistes, artistes, architectes et designers collaborent sur des projets ; accueillir aussi bien des jeunes en formation que des professionnel.le.s ; et enfin que le lieu devienne une école ancrée dans le territoire.” Véritable labo d’expérimentations sur les questions contemporaines, le recyclage, l’écologie et le rapport au vivant, le CAAPP a aujourd’hui 3 ans, conclut l’intéressé.
La convivialité, on l’a vu, c’est bâtir ensemble, faire communauté. Cela passe aussi par l’art et la culture. « Nous proposons différents événements culturels, expositions, théâtre, cinéma, danse, présente Antoine Aubinais. Nous essayons de lier le chantier à un volet culturel riche et varié où les participant.e.s sont invités à imaginer des activités à proposer au public qui vient découvrir le site », ajoute-t-il. Parmi les artistes présents, le collectif Hydropathe, venu animer les soirées sur les berges de la Seine, Benjamin Dogon et son Zygophone, un système son qui interagit avec les plantes ou encore Edina Tokodi et Mileno Guillorel-Obrégon, qui ont interprété la notion d’outil de convivialité pendant leur résidence sur le CAAPP.
Benjamin Dogon, Zygophone, 2020 :
En savoir plus sur Centre Art Architecture Paysage Patrimoine (CAAPP)
Maxence Grugier est chroniqueur-en-résidence de Rewilding Cultures, une coopération co-financée par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.