Avec Infiltration Process qui se tenait du 4 au 6 juillet, plongée in situ sur un éco-campus pensé comme un laboratoire à ciel ouvert, en compagnie d’étudiants de masters et doctorants internationaux dans les domaines de la gestion des eaux pluviales, de l’hydrologie urbaine ou de l’ingénierie écologique. Au programme : développement de hardware open source, analyse de données, dissémination et surtout partage, en vue d’informer les décideurs, politiques et pouvoirs publics, et les citoyens, de l’importance de ces questions du traitement des eaux en milieu urbain (mais pas seulement).
L’eau est au centre des préoccupations contemporaines. C’est particulièrement vrai depuis quelques années où les épisodes de sécheresses succèdent à des pluies diluviennes qui sont souvent une catastrophe, tant pour les infrastructures humaines que pour les sols. La gestion et la répartition de l’eau en milieu urbain est également d’actualité : Comment mieux gérer les eaux de rejet (eaux grises, eaux noires, boues d’épuration) ? Comment permettre une meilleure infiltration des eaux pluviales en milieu urbain ? Quelles solutions pour aménager un espace de décantation à l’échelle d’un village, d’une ville ou chez soi ? Comment sensibiliser les décideurs et les pouvoirs publics, mais aussi les citoyens, afin de faire évoluer conjointement les usages et les législations ? Ce sont quelques-unes des questions qui ont été abordées durant les trois jours d’Infiltration Process qui se tenaient sur l’éco-campus de la Doua (Lyon/Villeurbanne) du 4 au 6 juillet dernier. Une université d’été financée par l’école universitaire de recherche H2O’Lyon et à destination des masters et doctorants venus des quatre coins du globe (Israël, l’Autriche, la Norvège, ou même Singapour, étaient représentés) qui visait à informer, échanger, partager, et fabriquer des outils de monitoring autonomes open source permettant l’expérimentation dans le laboratoire à ciel ouvert de l’éco-campus de la Doua.
Valoriser et optimiser
A l’origine de cet évènement, deux laboratoires de l’environnement se sont rapprochés pour mener en commun des travaux de recherche autour de ces problématiques : REVERSAAL (pour « REduire Réutiliser Valoriser Les Ressources Des Eaux Résiduaires »), une unité de recherche créée en 2018 dans le but de mener des recherches sur les procédés de valorisation et le traitement des effluents urbains, et DEEP ( « Déchets Eaux Environnement ») une unité de recherche dont « les compétences en ingénierie environnementale sont mobilisées pour répondre aux enjeux des transitions écologiques et énergétiques » et de « préfigurer la gestion des rejets de demain en aidant au développement d’écotechnologies innovantes, compactes, économes en énergie, et intelligentes ». Bouleversement climatique oblige, les chercheurs aussi se doivent de réagir rapidement aux différentes conditions environnementales et aux différents contextes climatiques. En mettant l’accent sur la gestion des eaux de demain, des initiatives comme Infiltration Process participent à anticiper la réduction des émissions polluantes et la diffusion de toxiques dans les sols et les nappes phréatiques, tout en incitant à une meilleure réutilisation de l’eau.
Lyon Tech la Doua, éco-campus modèle
Ça n’est pas un hasard si cette première session d’Infiltration Process se tient sur l’éco-campus de la Doua à Villeurbanne. Considéré comme un environnement modèle depuis le lancement des travaux de rénovation de 2017, le campus Lyon Tech la Doua s’est investi dans une gestion innovante des eaux pluviales visant à réduire la pollution, tout en favorisant la végétalisation du campus. La première partie de l’après-midi de cette université d’été était consacrée à la visite de l’éco-campus.
Les étudiants-stagiaires ont pu ainsi visiter les installations dédiées à l’infiltration sur le campus : rivières sèches, ou noues, au cœur des voies vertes, drains récupérant les eaux pluviales des parkings et installations sportives, tranchées d’infiltration, toits végétalisés, etc. Ils ont entre autres découvert le bassin d’infiltration de l’I.U.T. de la Doua. Construit à la fin des années 60, ce bassin recueille les eaux d’environ 2 hectares de surfaces imperméables qui l’entourent. C’est le site privilégié de tests et d’expérimentations dédiés aux mesures de qualité de l’eau dans la nappe phréatique.
Les étudiants-stagiaires ont pu pratiquer des analyses de qualité et se familiariser avec les différentes façons de collecter des données afin de les analyser. Interrogée sur ces équipements, Helen K. French, professeure en hydrologie à l’Université des Sciences du vivant (NMBU), s’étonne des similarités entre ces initiatives et celles qui existent en Norvège : « Où je travaille, nous utilisons aussi le campus comme un laboratoire. Nous avons également développé des sites d’expérimentations qui ressemblent beaucoup à celui que nous visitons aujourd’hui : les bassins d’infiltration que nous appelons des « rain garden ». La volonté, ici comme chez moi, est de désimperméabiliser les sols afin de leur rendre leur capacité naturelle à filtrer les eaux pluviales et à alimenter les nappes. Il est réconfortant de voir qu’au niveau de la recherche, nous allons dans le même sens. »
Du bon usage de l’eau
En milieu naturel 0 à 10% de la surface est imperméable, en milieu urbain c’est 75 à 100%.
Le programme de cette université d’été est axé sur l’infiltration des eaux pluviales car, l’actualité le montre, l’imperméabilisation massive des sols est un facteur de catastrophes (inondations, débordements) également dommageable pour l’environnement (concentration des flux d’eau et de pollution, diminution de l’infiltration dans les nappes phréatiques, diminution de l’évapotranspiration et création d’îlots de chaleur). Un constat simple en chiffres : si l’on observe les phénomènes d’évapotranspiration (l’évaporation naturelle des eaux de pluie), de ruissellement, d’infiltration superficielle et d’infiltration profonde en zone forestière, près de 25% de l’eau pluviale va dans les nappes phréatiques (40% s’évapore et 25% s’infiltre en surface). En milieu urbain, à cause de l’imperméabilisation des sols, c’est seulement 5% de ces eaux qui atteignent la nappe, tandis que 55% ruisselle (provoquant des inondations) et 30% seulement s’évapore, créant des îlots de chaleur. La raison ? En milieu naturel 0 à 10% de la surface est imperméable, alors qu’en milieu urbain c’est 75 à 100%. Il faut donc désimperméabiliser les zones urbaines.
La seconde matinée de cette université d’été était dédiée à la découverte des méthodes permettant de quantifier l’infiltration de l’eau et d’en recueillir les données. Pour assister les étudiants-stagiaires dans ces mesures géophysiques et hydrologiques, on trouvait Rémi Clément (Géophysicien, INRAE), Laura Delgado-Gonzalez (Chercheuse postdoctoral, INRAE) et Laurent Lassabatere (chercheur, ENTPE, école de l’aménagement durable des territoires). Ensemble, ils ont permis aux étudiants-stagiaires de réaliser une expérience d’infiltration in situ à l’aide du matériel open source, développé par les chercheurs présents. Puisqu’il y a forcément un lien entre infiltration et qualité des sols, il est nécessaire de coupler différentes méthodes. Ont été présentées la méthode dite « par infiltration » et celle de « résistivité électrique » (où l’on ne mesure pas directement l’infiltration mais d’abord la résistance du sol). L’occasion de présenter un outil hardware open source développé spécialement par les chercheurs de l’INRAE, la OhmPi. Rémi Clément : « Il y a des composants propriétaires dans cet appareil, mais l’important c’est de concevoir un système parfaitement adapté aux recherches en infiltration locale à partir de matériel facilement trouvable dans le commerce, avec une documentation qui permettent de le concevoir de façon simple et autonome ».
L’eau mal traitée
En milieu urbain, les eaux usées sont généralement gérées selon les techniques dites « grey » (grises). « Le principe actuellement, c’est de se débarrasser des eaux contenant des déchets en les retraitant dans d’immenses stations d’épuration, ou même dans certaines zones du monde, en les envoyant dans des tuyaux qui se déversent dans les rivières avec les problématiques environnementales que cela suppose. » explique Nicolas Forquet, ingénieur-chercheur à Reversaal (INRAE). Aujourd’hui les techniques issues de l’hygiénisme du XIXe siècle qui consistent à évacuer l’eau à l’aide de simples canalisations montrent leurs limites. Les réseaux arrivent vite à saturation. « On connaît la limitation de ces techniques qui nécessitent de construire des infrastructures de plus en plus grosses et qui ont un impact notable sur l’environnement », affirme Nicolas Forquet. Il faut donc opter pour d’autres solutions. « L’idée en ce qui concerne les processus d’infiltration qui nous intéressent ici, c’est d’éviter d’envoyer les eaux pluviales dans des tuyaux, mais de les laisser s’infiltrer naturellement dans les sols. Ces techniques sont moins chères et limitent les risques de pollution. Nous préconisons l’utilisation de bassins d’infiltration, de tranchées ou de rivières sèches, qui permettent à l’eau de s’accumuler et de s’infiltrer naturellement », conclut l’intéressé.
« A pirater sans modération »
La seconde après-midi sera consacrée à un atelier Arduino avec Frédéric Cherqui, enseignant-chercheur au laboratoire DEEP (INSA Lyon), où les participants ont appris à concevoir un capteur bon marché à partir d’un micro-processeur Arduino. Il leur permettra de calculer le taux d’infiltration dans des conditions expérimentales in situ. Le workshop aboutit à l’acquisition et la mis en ligne des données sur un serveur, car l’idée ici est surtout de mettre en commun. Frédéric Cherqui : « Notre but n’est pas uniquement de faire des expériences, mais surtout de partager en ligne nos résultats. A l’INSA, nous avons 20 ans de données acquises sur nos serveurs, et nous incitons toutes les personnes intéressées par ces sujets à venir les consulter. De même pour notre matériel. Nous créons notre hardware parce qu’il est plus adapté à nos recherches, et nous distribuons les plans, schémas et modes d’emploi sur nos sites, afin que tout le monde puisse les fabriquer ».
« A l’INSA, nous avons 20 ans de données acquises sur nos serveurs, et nous incitons toutes les personnes intéressées par ces sujets à venir les consulter. »
Frédéric Cherqui, enseignant-chercheur et maître de conférences au laboratoire DEEP
Sur Méli Mélo (« Démêlons les fils de l’eau »), le projet multimédia développé par l’association GRAIE, chargée de l’information du public sur ces questions en jouant le rôle d’interface entre le monde de la recherche et les décideurs, on trouve cette sentence : « Un site à pirater sans modération ». Cet état d’esprit se retrouve à tous les niveaux d’Infiltration Process, qu’il s’agisse de son programme, de ses activités ou de ses acteurs. Pour Laetitia Bacot, chargée de projet au GRAIE et directrice exécutive dde l’OTHU, laboratoire de recherche d’observation des rejets urbains et de leurs impacts dont émane la GRAIE, « tous les travaux menés par les différents intervenants décrits ici sont principalement destinés à aider les collectivités à faire les bons choix. Il est donc important pour eux d’avoir des modèles, d’avoir des outils avec lesquels ils peuvent jouer, simuler, explorer des hypothèses. C’est dans cet état d’esprit que travaillent nos stagiaires-étudiants à Infiltration Process. C’est aussi ce qui nous anime avec le projet GRAIE et le site Méli Mélo : aider les gens à comprendre ces processus et les amener à s’en emparer en tant que citoyens. Pour cela nous faisons beaucoup de vulgarisation. Nous avons par exemple réalisé des petits films avec l’équipe de la série Kaamelott qui ont été très bien reçus par le public. »
Épisode 14 de la web série réalisée par GRAIE, 2015 :
Incertitudes
Une dernière journée sera consacrée à la modélisation. Dans le domaine de la recherche, quand on veut extrapoler des résultats sur différents types de sites et créer une tendance, il faut concevoir des modèles (ici, des modèles conceptuels à base physique, c’est à dire que l’on connaît les processus et l’on conçoit des équations qui sont en quelque sorte une simplification de ces processus qui permettent d’extrapoler de possibles scénarios). Pour cela, les étudiants-stagiaires utiliseront le logiciel open source Shiny, leur permettant d’aller jusqu’à la partie dissémination, qui est la conception de contenu accessible à partir d’une interface graphique qui puisse être consulté en ligne et compris par les décideurs des pouvoirs publics et des différentes institutions régionales.
En effet, entre le moment où les données sont acquises et le moment où elles sont validées, il y a un très grand travail de tri et d’analyse. Les données sont volatiles et sensibles à toutes sortes de contraintes : il est important de reconduire une expérience plusieurs fois et d’effectuer un long travail d’analyse pour ne pas leur faire dire n’importe quoi. La troisième matinée sera consacrée à la problématique de l’incertitude dans le traitement de ces données avec Jean-Luc Bertrand-Krajewski, professeur au laboratoire DEEP et spécialiste des questions d’incertitude. Un cours passionnant, même si rapidement très technique, qui reflète parfaitement la complexité d’un domaine de recherche des sciences appliquées tellement tributaire des conditions d’expérimentation, d’environnement, de matériel (humain et machine), de méthodologie etc.
Comme le disait le philosophe anglais Francis Bacon (1561 – 1626) : « Si l’on part avec des certitudes, on risque de finir avec des doutes, mais si nous commençons avec des doutes et que nous sommes patients, nous pouvons finir avec des certitudes ». Dans le cas des recherches basées sur des données aussi complexes que celles de l’hydrologie (contrainte par des facteurs aussi volatiles que la météorologie, la géophysique, altération anthropique, etc.), il est clair que l’on navigue entre déterminisme et indétermination. Partant du principe qu’avoir des connaissances est toujours temporaire et qu’il existe une vaste échelle de variations entre connaissance avérée et totale méconnaissance, c’est toute une génération de futurs ingénieurs ou enseignants-chercheurs dans ce domaine qui doivent apprendre à partager et échanger afin de bâtir des modèles pérennes et réutilisables… autant que faire se peut.
Le site de la Summer School Infiltration Process.
Maxence Grugier est chroniqueur-en-résidence de Rewilding Cultures, une coopération co-financée par le programme Europe Créative de l’Union Européenne.