La Déviation, un site d’expérimentation artistique aux portes de l’Estaque à Marseille
Publié le 31 janvier 2022 par Aphélandra Siassia
C’est aux portes de Marseille, dans les hauteurs de L’Estaque que s’est installé sur le site de l’ancienne usine La Coloniale le projet de la Déviation. Porté par les associations « Parpaing Libre », propriétaire, et « En devenir », gestionnaire du lieu, ce projet initié en 2016, a pour ambition de créer une nouvelle dynamique artistique, créative et collective, sortant des cadres institutionnels traditionnels. Rencontre avec Edwin Cuervo, artiste pluridisciplinaire et membre actif de l’association.
Décembre 2021. Le calme plane près de la gare de l’Estaque. Mais à 20 minutes à pied à peine, en suivant les routes escarpées de ce quartier du 16ème arrondissement de Marseille, se dresse la Déviation, lieu d’expérimentation artistique et culturel où résident une dizaine d’artistes. Ce jour-là, une dégustation de vin naturel a lieu avec une vingtaine d’exploitants venant des quatre coins de la France. En arrivant sur le site, on distingue quelques artistes qui s’affairent à la bonne cuisson du méchoui. Pendant ce temps-là, d’autres accueillent le public venu en nombre pour découvrir cet espace atypique et goûter aux différentes bouteilles mises à disposition pour l’occasion. Une belle façon de faire mettre un pas dans ce projet artistique sans pareil sur ce territoire.
Un lieu collectif d’expérimentation artistique au caractère utopique
Pour le projet de la Déviation tout commence en 2015. Plusieurs artistes d’horizons créatifs différents – plasticiens, musiciens, danseurs, réalisateurs – et basés plutôt dans le centre-ville de Marseille, se lancent dans la recherche d’un lieu de travail collectif pour expérimenter différentes formes artistiques en sortant du cadre institutionnel. « A la base, c’est un collectif d’artistes qui cherchaient des espaces de travail. Ils étaient animés par une réflexion presque utopique, en se disant que créer un lieu, avoir un lieu pouvait leur permettre de créer autrement. » introduit Edwin Cuervo, avant d’ajouter : « ils ne voulaient pas dépendre des institutions. Ils voulaient sortir de ce concept et de ce contexte de l’art contemporain en ayant un lieu indépendant où l’on peut créer librement et de façon autonome. » Très vite, le choix du lieu se précise. Le groupe décide de s’installer dans les hangars de l’ancienne usine La Coloniale, située dans une carrière aux portes de l’Estaque. Un espace de 1000 m2 localisé sur une parcelle de 2000 m2 où le collectif perçoit un magnifique potentiel pour déployer leurs différentes pratiques. « A leur arrivée, ils se sont lancés dans des travaux pour que ce lieu soit plus fonctionnel et qu’ils puissent accueillir des pratiques multiples, à savoir la musique, la danse, la performance, le théâtre et les arts visuels. » souligne-t-il.
Un lieu de vie, de résidence et de partage
Plus qu’un lieu de création, la Déviation a été conçue comme un véritable lieu de vie et d’accueil. « Ce n’est pas seulement un lieu de création, mais aussi un lieu de vie, de résidence. Il y avait aussi cette envie de créer un lieu différent dans cette ville. Car il y a 5,6 ans, il n’y avait pas ce type d’initiative à Marseille. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de projets qui se mettent en place dans d’anciennes friches, dans des usines pour une occupation temporaire ou une durée indéterminée, mais c’est assez récent. » appuie l’artiste pluridisciplinaire. Régulièrement, des artistes extérieurs au projet viennent se saisir du lieu et de ces différents espaces de travail – salle de musique, de danse, ateliers de création plastique -, dans le cadre de résidence. « Pour ma part, je suis arrivé ici en 2017 dans l’idée de faire une résidence temporaire avec un ami céramiste et photographe. On s’est attachés au projet, on a voulu en découvrir plus. Lui, il est resté deux ans, moi, je suis resté un an puis je suis parti en voyage pour un projet artistique et quand je suis revenu il n’était plus là et j’ai fini par rester sur le projet. » explique l’artiste résident. « Aujourd’hui, on privilégie les projets portés par des gens qui viennent faire un temps de résidence sur le site comme ça, il nous propose une sortie de résidence. Ce sont des gens qui nous connaissent et on a tendance à privilégier cela. Ce sont des gens qui ont compris notre esprit et notre démarche. »
Une organisation horizontale
Pour ce qui est de la structuration de ce projet, les membres de la Déviation se sont constitués en association loi 1901 à but non lucratif, sous le nom de En Devenir. Le fonctionnement y est horizontal, mais chaque membre a une tâche précise pour faire avancer le projet, que ça soit sur un plan créatif, administratif ou sur l’avancée des différents chantiers que nécessite ce site. « On est une association horizontale. Quand on prend part à l’association, c’est un vrai engagement. On aborde toutes les questions de fonds et toutes les questions techniques. Tous les membres actifs ont des responsabilités. Il y a des gens aux financements, d’autres à la régie technique, à l’accueil, à l’intendance. » appuie Edwin Cuervo avant de préciser : « En ce moment, on est une petite dizaine de membres actifs, mais du coup nous ne sommes pas assez. Nous jonglons entre notre vie d’artistes, la vie du lieu et notre vie personnelle. Nous payons tous une cotisation pour travailler et résider sur le site. On essaye ainsi de rembourser le prêt qui a permis l’achat du lieu. »
Un projet qui s’articule autour d’une propriété de droit d’usage
Car depuis 2019, le projet de la Déviation est propriétaire du lieu. Pour se faire, les membres ont créé une campagne de financement, « Libérons les parpaings », auprès de différents prêteurs et de donateurs généreux, prêts à accélérer l’achat du site. Pour les aider dans les démarches, le Clip – structure favorisant d’instituer un rapport à l’habitat fondé sur la propriété d’usage -, a sensiblement pesé dans la balance. Aujourd’hui, grâce à leur aide, la Déviation est une propriété d’usage, c’est-à-dire, un espace appartenant à ces usagers porté par l’association Parpaing Libre. « Le but du Clip, c’est de trouver les financements pour pérenniser et acheter ces lieux d’occupation provisoire, créer des propriétés d’usages et empêcher la revente de ces espaces. Le lieu appartient en définitive à celui qui l’utilise. » rétorque l’artiste résident. « Si les membres de la Déviation décident de se retirer du projet, le Clip sera chargé de trouver de nouveaux propriétaires qui vont investir le lieu et c’est eux qui seront en charge de rembourser la dette. Pour l’instant, au vue du nombre de membres de la Déviation, on se débrouille bien. »
L’inscription dans un territoire au patrimoine précieux
En plus de sa dynamique collective et de l’horizontalité dans son organisation, le site de la Déviation s’inscrit sur un territoire atypique, aux portes de la garrigue et des vestiges de l’histoire industrielle de la région sud. Un territoire auquel les membres de la Déviation tentent de s’ouvrir en tissant des liens privilégiés avec le voisinage, notamment par la mise en place d’un marché de produits bio géré par l’association Chez Dev – Groupement d’achat ou d’ateliers de création avec les jeunes venant des établissements alentours ou fréquentant les structures socio-éducatives locales.
« Pendant le confinement, on a fait un groupement d’achat de légumes et de fruits locaux, on travaille avec une plateforme paysanne locale qui fait le lien entre les producteurs et le consommateur. On a ouvert nos commandes aux riverains pour qu’ils viennent se fournir ici, faire leur course, c’est une ouverture extérieure, ça nous a permis de maintenir le lien avec les riverains. Vu que la Déviation n’a pas le droit de faire des bénéfices, cette initiative est en train d’être cédée aux usagers. Ainsi, la Déviation va pouvoir juste devenir un lieu d’accueil d’événement et de résidences artistiques. » appuie le trentenaire. « On a aussi la volonté de réaliser des ateliers avec les jeunes publics des quartiers du 15ème et du 16ème arrondissement de Marseille. Je travaille avec le groupe ADDAP13 et le centre social de l’Estaque sur ce projet. J’ai accueilli quelques groupes pour faire de l’initiation à l’argile, pour faire visiter le lieu. Ensemble, nous avons fait des explorations, des balades, et à l’issue de ça on a créé un fanzine sur le vécu de chaque jeune. »
Aujourd’hui, l’urgence pour les membres de la Déviation est de pérenniser le lieu en réussissant à rembourser le prêt par l’action de mécènes prêts à les aider. On espère que cette belle initiative continuera à fédérer autour d’elle une communauté d’artistes venant d’horizons multiples et ses voisins, de plus en plus nombreux à fouler l’entrée de la Déviation.
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