Makery

L’impression 3D des podiums aux Jeux olympiques de Tokyo

Flocons déchiquetés et granulés pigmentés issus de plastiques recyclés utilisés pour imprimer en 3D les podiums olympiques de Tokyo 2020. © Cherise Fong

Tout a commencé avec 24,5 tonnes de plastiques ménagers récupérés, triés, broyés et transformés en granulés. Une fois toutes les pièces mises en place, 7 000 panneaux à motifs indigo utilisés pour fabriquer une centaine de podiums olympiques ont été imprimés en 3D en une vingtaine de jours.

Tokyo, de notre correspondante

Si l’opposition du public à l’organisation des Jeux olympiques de Tokyo 2020 dans le contexte d’une crise sanitaire aggravée dans la capitale japonaise persiste, il n’en a pas toujours été ainsi. Au cours des quelques années précédentes, de nombreux habitants étaient enthousiastes à l’idée de contribuer leurs plastiques usagés et leurs déchets électroniques pour être recyclés en pièces olympiques. Maintenant que les Jeux sont en cours, une quête ambitieuse visant à mettre en avant l’utilisation de matériaux recyclés et durables a largement surmonté ces obstacles.

La plaza du village des athlètes est construite avec du bois emprunté à 63 collectivités locales à travers le Japon. Les 18 000 lits sont fabriqués en carton, avec des matelas faits de fibres thermoplastiques qui peuvent être lavées, réutilisées ou recyclées. Les torches olympiques incorporent de l’aluminium recyclé à partir des logements temporaires utilisés après le tsunami de 2011 qui a dévasté la région côtière de Tohoku. Chacune des médailles olympiques est entièrement moulée à partir d’or, d’argent et de bronze extraits de 79 000 tonnes de smartphones et d’autres appareils électroniques récupérés dans tout le Japon au cours de deux ans… Et une centaine de podiums olympiques ont été imprimés en 3D en utilisant des granulés faits de 24,5 tonnes de bouteilles en plastique ménagères broyées, récupérées au bout de neuf mois.

Modèle du podium imprimé en 3D pour les Jeux olympiques de Tokyo 2020. © Keio University Social Fabrication Lab

En évoquant cette dernière tâche herculéenne plus d’un an après, Hiroya Tanaka, professeur à l’Université de Keio (que nous avions déjà rencontré en tant que père fondateur des fablabs au Japon), pousse un soupir de soulagement. L’homme qui a orchestré le projet de podium imprimé et upcyclé s’est entretenu avec Makery dans son laboratoire annexe à Yokohama.

Podiums imprimés en 3D à partir de granulés recyclés

L’histoire du podium commence avec l’infographie de l’emblème olympique de Tokyo 2020 par Asao Tokoro, qui s’est directement inspiré du traditionnel « motif en damier harmonieux » japonais (組市松紋, kumi ichimatsu mon). Pour sa conception du podium olympique, le designer a recadré les divers rectangles de l’emblème circulaire en un nouveau concept à base de cubes modulaires faits de plastique recyclé.

Comme le laboratoire de Tanaka était chargé de trouver « la meilleure façon de construire un pont entre le design et le matériel », le professeur a fait une proposition audacieuse : pourquoi ne pas imprimer en 3D l’intégralité des podiums grandeur nature ? Les membres du Comité olympique avaient des doutes, en vue de la qualité et du temps nécessaires pour produire en masse cent podiums qui seraient prêts pour la scène olympique.

« Seul Asao croyait en moi », se souvient Tanaka en riant. D’abord, son équipe a travaillé avec le designer pour adapter son infographie bi-dimensionnelle en une image mathématique à trois dimensions. Ensuite ils ont optimisé le design cubique du podium pour en faire un montage de 70 panneaux carrés individuels, chacun incorporant les différents angles et profondeurs inspirés par l’emblème.

Hiroya Tanaka, professeur à l’université de Keio (au centre), avec son étudiant Soya Eguchi (à gauche) et le professeur assistant de projet Ryohei Yuasa (à droite). © Keio University Social Fabrication Lab

Pendant ce temps, 24,5 tonnes de déchets plastiques ménagers (bouteilles de shampoing, de lessive à linge, de nettoyant pour la cuisine) ont été récupérées dans les supermarchés, les usines et les écoles primaires du Japon.

Le premier défi a été de trier toute cette matière première, étant donné la grande variation de qualité et des couleurs du plastique. « Les matériaux recyclés se déforment facilement, ce qui les rend difficiles à travailler », explique Tanaka. Pendant trois mois, des bénévoles les ont aidés à trier les matériaux de manière à pouvoir les broyer en flocons de qualité et de couleur similaires. Les flocons ont ensuite été transformés en granulés de plastique uniformes et mélangés à des granulés de pigment naturel indigo. Les granulés ont ainsi pu être introduits directement dans une imprimante 3D spécialisée, sans qu’il soit nécessaire de les fondre en filament.

Soya Eguchi, étudiant du professeur Tanaka, chargé de la programmation de commande numérique G-code, et le professeur Ryohei Yuasa, assistant de projet, chargé de la production des matériaux, ont passé deux mois à améliorer le processus d’impression du panneau individuel. Ils ont modifié la vitesse, la température, les angles, l’ordre, etc., réalisant une centaine d’impressions jusqu’à ce qu’ils soient enfin satisfaits de leur prototype. Ils ont ensuite transmis le G-code à S-lab, une entreprise japonaise spécialisée dans les imprimantes 3D à base de granulés, qui a développé une machine sur mesure pour imprimer les 7 000 panneaux des cent podiums en seulement 20 jours. C’était en mai 2020.

Projets post-olympiques au-delà de Tokyo 2021

Que deviendront les podiums une fois les Jeux terminés ?

« C’est une question très importante », admet Tanaka. Une possibilité est de remonter les panneaux en forme de cubes pour les offrir aux pays participants aux Jeux olympiques et paralympiques. Une autre option consiste à redistribuer les podiums à toutes les écoles primaires du Japon. Le rêve du professeur est de passer le bâton de cette expérience d’impression 3D avec des matériaux recyclés aux Jeux olympiques de Paris 2024.

« Les Jeux olympiques sont un événement très spécial, alors les gens veulent bien y contribuer, explique Tanaka. Nous attendons avec impatience l’Exposition Universelle 2025 à Osaka ! »

« C’est un projet symbolique de l’économie circulaire et des systèmes recyclés. Le plastique est le symbole d’un matériau synthétique bon marché et uniforme produit en masse. Il a été inventé il y a plus de cent ans, ce projet est donc un symbole du dernier siècle ! Nous pouvons faire la transition des plastiques de faible valeur vers le papier, par exemple, mais comme il reste beaucoup de plastiques de plus grande valeur qui sont déjà présents dans la société, nous devons les récupérer et les recycler dans de nouvelles formes. »

Échantillons de couleurs imprimés en 3D à partir de plastiques recyclés bruts. © Cherise Fong

« Mes recherches portent sur la manière de combiner les matériaux recyclés avec l’impression 3D, sur la manière de donner aux vieux matériaux de nouveaux usages. La clé est de savoir comment mélanger ces matériels avec d’autres matériaux comme le béton, l’asphalte et le bois. Heureusement, de nombreuses entreprises s’intéressent à la durabilité, mais la plupart d’entre elles ne comprennent pas la puissance des technologies de fabrication additive dans la transition de l’industrie de masse vers l’économie circulaire, des systèmes de production linéaire vers les systèmes de production circulaire. »

« Le secteur du bâtiment pose un défi particulier, car les matériaux recyclés sont plus chers que les matériaux vierges. C’est un fait. Le plus grand défi est donc de savoir comment effectuer cette transition en un seul bloc : système économique, système social, système de fabrication. Ils sont tous liés, tous connectés. »

À 46 ans, le professeur Tanaka reste optimiste. Il pense que cette réforme écologique peut être réalisée dans les dix prochaines années, alors que le monde s’efforce d’atteindre les objectifs de développement durable définis par l’ONU d’ici 2030.

En attendant, il est ouvert à des collaborations avec Paris pour les Jeux olympiques de 2024 !

En savoir plus sur le Social Fabrication Lab et le Digital Manufacturing and Design Research Center for Emergent Circularity du professeur Hiroya Tanaka à l’Université de Keio.