Makery

A Halle, le Festival Werkleitz manie l’art des alternatives

Total Refusal (Susanna Flock, Adrian Jonas Haim, Robin Klengel, Leonhard Müllner - with Jona Kleinlein), Red Redemption - A Brute Marxist Class Analysis, 2021 © Total Refusal

D’un festival hippy dans la campagne allemande de l’est après la chute du mur à une édition 2021 dans les anciens QG de la Stasi, à la veille de l’ouverture du Werkleitz, son directeur Peter Zorn revient sur un festival précurseur.

Festival dédié aux arts vidéographiques et numériques, pionnier du net.art et partisan du mélange des genres entre art, science et recherche, le festival Werkleitz interroge le monde depuis 1993. Cette année, il revient du 18 juin au 4 juillet pour questionner l’influence de la technologie sur notre société et notre planète. Une problématique qui tombe à pic alors que le festival se fait plus hybride que jamais, présent autant en ligne qu’à Halle, en Allemagne.

A la veille de l’ouverture du festival, rencontre avec son fondateur, Peter Zorn, entre histoire du festival et défrichage de la généreuse programmation 2021.

Peter Zorn. © Werkleitz

Makery : Le thème du festival est world dis/order : quelle est l’ambition de cette édition ?

Peter Zorn : Notre question principale est l’influence de la technologie sur notre société et sur notre planète. Nous voulons que les artistes développent des alternatives et s’interrogent sur leur rôle potentiel dans notre perception et notre conception de notre situation actuelle et de nos styles de vie.

Nous avons identifié trois différentes sphères :

– La sociosphere, qui traite des questions sociales, politiques et économiques ;

– L’ecosphere, qui aborde les aspects environnementales et technologiques ;

– La bodydatasphere, qui mesure la datafication des corps et des sens.

En plus des intervenants pour les conférences, nous avons invité des artistes en résidence à parler de sujets autres que leurs projets artistiques. Par exemple, DISNOVATION.ORG va faire une présentation appelée Post-growth prototypes, pour penser les alternatives à la croissance économique dans une planète où les ressources sont limitées.

Il est vraiment temps de réfléchir et prendre des décisions maintenant car demain il sera trop tard.

Werkleitz Festival Stream – Post Growth Prototypes (En):

Quelle est l’histoire du festival Werkleitz ?

Nous avons commencé en 1993 à la campagne, dans le petit village de Werkleitz – d’où le nom – une vallée avec une rivière. Nous avons reconstruit une ancienne maison de 1991 à 1993, puis nous avons commencé comme une petite communauté. Plus tard, nous avons créé l’association Werkleitz et tenu notre premier festival, en cercle restreint et assez hippy pour commencer.

Nous avons tenu des festivals sur le thème de la fragmentation de la société, Sub Fiction, en 1998, real[work], en 2000, sur l’évolution de la notion de travail, or Community of Surplus en 2002 qui est devenu célèbre dans les médias comme le “documenta (une exposition d’art contemporain allemande, Ndlr) de l’est”. 

Nous avons aussi commencé très tôt à investir Internet, dès 1998, car nous avions une connexion depuis 1994 dans le village grâce au centre informatique. Nous avions demandé à Joachim Blank, lui-même un pionnier, de créer un show sur Internet avec d’autres pionniers pour Sub Fiction, qui est devenu une des premières expositions de net.art.  

En 2004, nous nous sommes installés à Halle et avons continué avec deux autres Biennales : Common Property, en 2004, et Happy Believers, en 2006, avant de changer pour un festival annuel. Vous pouvez d’ailleurs trouver dans nos archives de nombreux films que nous avons mis en ligne à partir de nos anciens programmes de biennales et festivals.  

Nous avons alors monté un format spécial, Move, pour montrer les projets du réseau de résidences EMARE. Depuis 2018, nous avons étendu ce programme avec la nouvelle plateforme européenne d’art média (EMAP). Chacun d’entre nous hébergeons une résidence par an avec 11 projets par an, ce qui fait 44 projets depuis qu’EMAP existe.

Quels sont les bio-feedbacks d’un baiser ? Kissing Data Symphony, Karen Lancel et Herman Maat, 2018 © the artists

Le festival se tient dans l’ancien siège du ministère de la sécurité de l’Allemagne de l’est à Halle. Cet espace a-t-il une résonance particulière pour vous ?

Le concept est toujours de trouver un endroit abandonné et de le préparer pour recevoir le festival. Cela équivaut généralement à trois mois de construction.

C’est un bâtiment très spécial , il a été utilisé par la Stasi allemande à partir de 1971 jusqu’à la réunification en 1989. Il a ensuite été utilisé brièvement par l’Université de Halle, puis le centre des impôts. C’est un sentiment très agréable de récupérer cet espace qui a été utilisé pour contrôler et oppresser la population pour y mettre de la culture. C’est un très grand endroit, il y a un théâtre qui peut accueillir jusqu’à 300 personnes, mais il y avait aussi une grande cuisine et un restaurant, des bureaux, une terrasse sur le toit…

Nous avons commissionné un documentaire sur l’histoire de ce lieu. Malheureusement il ne sera disponible qu’en allemand.

Cette édition sera tenue en réel mais aussi disponible en streaming. Comment cela a changé la construction du festival ? Comment s’assurer que l’expérience soit plaisante pour le spectateur ?

Nous avons dû changer plusieurs fois l’organisation et nous essayons d’être aussi flexibles et hybrides que possible.

Les artistes ont été très créatifs. Par exemple pour Empathy Swarm, Adam Donovan et Katrin Hochschuh ont complètement repensé leur projet.

Katrin Hochschuh & Adam Donovan, Empathy Swarm, 2018 © Katrin Hochschuh & Adam Donovan, Die Roboterschwärme sind online steuerbar.

A la base, 50 petits robots étaient prévus pour l’exposition. L’audience devait évoluer au milieu d’eux et les robots réagiraient avec empathie : s’approcher ou agir comme s’ils étaient timides. Comment on ne savait plus s’il serait possible d’accueillir du public, ils ont créé le concept de Telehabitats. La performance est désormais intégralement en ligne et les personnes se rendent sur Internet, peuvent contrôler jusqu’à cinq robots et le reste de l’essaim réagit en fonction d’eux.

Empathy Swarm Documentation, Katrin Hochschuh et Adam Donovan, 2020 :

 

Pour le projet Seeing I, Mark Farid prévoyait de performer quelques jours en réalité virtuelle dans la vie de personnes qui auraient au préalable fait un enregistrement de leur vie quotidienne en 360. L’artiste, qui vient de Londres, n’a pas pu venir en Allemagne et a donc créé un nouveau concept. Il se concentre désormais sur ses protagonistes et les rend disponibles pour l’audience plutôt que pour lui-même. Dans une première étape, il a demandé à des gens partout dans le monde d’enregistrer leurs vies en 360 degrés avec une caméra contenue dans une paire de lunettes. Puis nous diffusons ces sessions sur notre site web. L’audience peut désormais entrer dans la vie de ces gens à travers un casque de réalité virtuelle. Il nous semblait pertinent de nous interroger sur notre propre situation, notre isolement. C’est une occasion de partager l’expérience d’une personne à l’autre bout du monde, d’avoir une variété de nationalités et de situations quotidiennes différentes dont nous n’aurions pas l’opportunité de faire l’expérience en dehors de ce projet. 

Nous avons aussi créé des podcasts avec les différents intervenants des conférences, les artistes et des scientifiques. Il y a aussi plusieurs films d’artistes, disponibles sur le site pendant toute la durée du festival.

Moritz Simon Geist with soundrobots, Nemo Biennale 2020 © photo Quentin Chevrier

Avez-vous une recommandation ?

Dimanche à 21h, il y aura un détournement du jeu Red Dead Redemption 2 par l’ auto-proclamé “mouvement de désarmement” autrichien Total Refusal. Pour Red Redemption – A Brute Marxist Class Analysis, ils vont faire un tour du jeu en live et poser une lecture critique des classes ouvrières à travers ce médium. Les artistes seront présents dans le jeu à travers leurs avatars. Cela promet d’être très divertissant.

Le site du festival.