La Fabricar3v sonde les makers en période de crise de la Covid-19
Publié le 8 mars 2021 par Cédric Cabanel
Cédric Cabanel et Christine Liefooghe, géographes à l’Université de Lille partagent les premiers résultats de leur questionnaire sur le rôle des makers en temps de crise, enquête réalisée l’année dernière dans le cadre du projet INTERREG Fabricar3v (Fabrique à rêve).
Tout au long du deuxième semestre de 2020, des géographes de l’Université de Lille ont sollicité via un questionnaire les Ateliers de Fabrication Numérique (AFN) français et belges dans le cadre du projet INTERREG Fabricar3v (Fabrique à rêve). L’occasion pour eux de « prendre le pouls » des makers sur leurs actions au plus fort de la crise sanitaire, et de les inviter à se projeter sur les nouveaux rôles qu’ils pourraient occuper dans un éventuel système productif post-Covid, souhaité, au regard de la crise traversée, plus durable, local et collaboratif. Ils nous partagent ici leurs premiers résultats.
Les géographes de l’Université de Lille (Laboratoire Territoires, Villes, Environnement & Société) peuvent s’en réjouir, leur questionnaire « Les ateliers de fabrication numérique : quel rôle dans le système productif mondial de « l’après COVID-19 », diffusé dans le cadre du projet européen Fabricar3v (Fabrique à rêves) de juillet à décembre de l’année dernière, a rencontré un franc succès auprès des Ateliers de Fabrication Numérique (AFN). En effet, sur les 388 AFN identifiés en France métropolitaine, dans les territoires d’outre-mer et en Belgique wallone, 143 structures ont joué le jeu portant le pourcentage de répondants à près de 37% du total (18 d’entre eux se situent dans la zone INTERREG du projet, c’est à dire en région Hauts-de-France, dans les départements de la Marne et des Ardennes et dans plusieurs provinces belges). À l’origine de cet intérêt, les thématiques explorées, qui en plus de questionner les AFN sur leur dynamisme au plus fort de la crise de la Covid-19 (mars à mai 2020), invitaient ces derniers à s’interroger sur les leçons à tirer à plus long terme de cette mobilisation. Autrement dit, est-ce que leurs actions pourraient conforter leur rôle dans la transition écologique et numérique des systèmes productifs actuels et est-ce que l’énergie qu’ils ont déployé pendant de long mois, pourrait amener à repenser leur place dans de nouveaux modes de production. En parallèle, sur un plan plus technologique cette fois, les AFN étaient également conviés à se positionner sur l’élaboration d’une machine de fabrication additive métallique low-cost (FAM Low-Cost), véritable vecteur potentiel de diversification de leurs activités.
Une mobilisation quasi-unanime en temps de pandémie
Les chercheurs lillois se sont d’abord intéressés aux profils des répondants. Bien que déjà souvent étudiés ailleurs, l’échantillon s’est avéré suffisamment conséquent pour être représentatif du tissu des AFN et de certaines tendances actuelles. Ainsi, on y perçoit que les AFN sont souvent récents (55% sont nés après 2015) et se définissent particulièrement comme des Fablabs au sens MIT du terme (55%). Ils sont majoritairement appuyés par des subventions publiques (70%), même si l’auto-financement est également bien représenté (47%). Par ailleurs, l’ouverture à l’environnement local, que suggère une définition des AFN comme tiers-lieux, relève moins de réseaux institutionnels (20%) que de relations informelles. Enfin, quand on pénètre à l’intérieur des ateliers, les résultats de l’étude montrent de manière surprenante que l’on y retrouve en moyenne de 14 à 17 machines par AFN, les plus courantes étant les imprimantes 3D, les découpeuses laser et/ou vinyle et les perceuses à colonne. Les matériaux qu’elles servent à travailler sont plus variés, bien que le plastique, le bois, les composants électroniques et les cartons soient majoritaires.
C’est ainsi que cette « flotte » d’AFN s’est lancée de façon quasi-unanime (98%) dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19, dès les premiers mois de la crise, encouragée avant tout par le constat de pénuries locales. Une action qui a été menée majoritairement en collaboration avec d’autres AFN (42%), le monde médical (15%) et les collectivités (12%) et de façon informelle dans 90% des cas. En effet, pour diffuser leur production, les AFN ont agi avec « les moyens du bord », c’est-à-dire via leurs propres membres. Ces collaborations s’observent surtout au niveau local puis au niveau régional. La dimension locale de leur mobilisation s’exprime notamment dans la question du respect des normes pour les produits à vocation sanitaire ou médicale, normes que les AFN ont respecté en suivant les recommandations d’un service hospitalier de proximité en attente de consignes nationales plus précises. Dans le détail, ces actions ont surtout eu pour but de produire des visières en plastique, des systèmes anticontamination pour ouvrir des portes et les masques grands public à usage non sanitaire. Toutefois, bien qu’ayant joué un rôle clé en pleine pandémie pour de nombreux territoires, les AFN interrogés estiment que la crise ne leur a apporté aucun point positif, si ce n’est un gain de visibilité de la part de la population et une meilleure connaissance de leurs homologues.
A l’avenir, la mise en réseau sera le nerf de leur guerre
Au-delà de la paralysie du pays (production, approvisionnement, manque de certaines matières premières, etc.) qui, dans les premières phases de la pandémie, a poussé les AFN à jouer un rôle majeur, cette expérience permettrait-elle à plus long terme de mobiliser les makers en faveur d’une transition économique plus écologique et plus locale grâce aux outils de fabrication numérique ? Interrogés sur l’hypothèse d’un « après Covid-19 » du système productif mondial, les AFN demeurent partagés entre une vision « progressiste » où la mobilisation des makers va contribuer à donner réalité à un système productif plus local, collaboratif et durable (38%), une vision « désabusée » selon laquelle la mobilisation sera récupérée pour effectuer des changements à la marge (29%) et enfin une vision « fataliste » selon laquelle le système mondialisé continuera à dominer tel quel (33%). En parallèle, plusieurs questions, projetant les AFN dans une période post-crise sanitaire, éclairent des scénarii quant à l’avenir du mouvement. En effet, 70% des AFN visent la ré-activation de réseaux déjà existants, qu’ils aient ou non participé à la lutte contre la pandémie. Cette mise en réseau analysée par les chercheurs sous l’angle de l’innovation, la formation et d’une relocalisation de la production, a permis d’évaluer les priorités futures des AFN en termes d’action et d’ouverture à d’autres acteurs du système productif. L’étude révèle ainsi que pour accroître leur potentiel d’innovation, les AFN privilégieraient des collaborations locales avec d’autres AFN ou avec les habitants et usagers locaux.
En matière de formation, les structures préfèreraient œuvrer à une éducation à la fabrication numérique auprès des populations plutôt que de former les employés des entreprises. Enfin, sur le plan de la production locale, la cible privilégiée serait de renforcer les collaborations avec des PME, en proposant notamment leurs savoir-faire numériques (92%) et de bidouillage (90%). Dans l’optique d’une potentielle reconfiguration spatiale de la production, les AFN plaident pour une mise en réseau à l’échelle d’une ville et de son territoire d’influence ou à l’échelle d’une région. Vigilants et partagés sur ces questions, ils affirment néanmoins que le coût des opérations, les normes et les questions de droit du travail ne favoriseront pas tout de suite une telle dynamique.
Un intérêt notable pour des machines moins coûteuses
L’ambition du projet européen Fabricar3v porte sur l’élaboration d’une machine de fabrication additive métallique low-cost et sur la création d’un pôle économique et scientifique transfrontalier, franco-belge. Mais les AFN sont-ils vraiment intéressés par une nouvelle technologie de fabrication additive métallique (FAM), si possible peu coûteuse ? La diffusion d’un procédé de FAM low-cost contribuerait-elle à une plus grande participation des AFN à la transformation du système productif ? Les résultats montrent que si la technologie était plus accessible, 60 AFN (41% de l’échantillon global et 52% des AFN de la zone INTERREG) pourraient être intéressés par ce procédé. Ces chiffres sont plutôt encourageants dans la mesure où, à l’heure actuelle, la plupart des AFN sont exclus de la fabrication additive métallique en raison de coûts prohibitifs, de manque de savoir-faire et de difficultés à importer des machines aux normes étrangères. Les perspectives sont aussi prometteuses sur le volet de la transformation du système productif, puisque les AFN intéressés par une telle technologie se mobiliseraient surtout sur du prototypage et/ou de la fabrication pour les entreprises (73%), dans les domaines de la R&D et de l’outillage.
Suite à ces premiers résultats, les géographes du laboratoire TVES doivent désormais étendre leurs réflexions à l’ensemble de l’écosystème d’acteurs concernés par la fabrication additive dans leur périmètre INTERREG. C’est dans ce cadre que la moitié des répondants au questionnaire se sont portés volontaires pour enrichir leurs réponses lors d’échanges complémentaires.
Dans l’immédiat, le 25 mars prochain, les équipes des projets INTERREG FWVL FabricAr3v et PEPS organisent, en collaboration avec le pôle de compétitivité Matéralia de la région Grand-Est, une journée conférence-débat sur les technologies d’impression 3D métaux et polymères Low-Cost (inscriptions possibles ici).
En savoir plus sur le programme INTERREG FabricAr3v mené avec le soutien du Fonds européen de développement régional – Met steun van het Europees Fonds voorRegionaleOntwikkeling.