Open Source Body : découvrez Tiny Mining, une coopérative d’exploration minière et une communauté engagée dans l’exploitation open source des terres rares et des ressources minérales de l’intérieur du corps humain.
Alors que la Covid-19 marque encore la fin de l’année 2020, Makery explore certains thèmes de son deuxième festival Open Source Body, initialement prévu pour ce mois de décembre, mais reporté au printemps 2021. Nous présentons ici le projet Tiny Mining et sa communauté de géologie médicale.
Alors qu’a été lancé un appel à un moratoire sur l’extraction des ressources de la terre par les humains, pour la transition vers un avenir sans carbone, il est intéressant de se pencher sur une source proche de chez nous : notre propre corps. Une initiative DIY très intéressante est actuellement en cours au sein d’un groupe d’artistes et de scientifiques, qui utilisent littéralement les ressources du corps humain pour en extraire des minéraux et des terres rares. Nous tourner vers notre propre corps en tant que ressource semble plutôt approprié en temps de pandémie. J’ai parlé à l’un des instigateurs du projet « Tiny Mining« , Martin Howse, artiste basé à Berlin qui qualifie son travail de « micro-recherche », et continuateur de la première résidence d’Alex Adriaansens à V2, Lab for the Unstable Media, à Rotterdam. Alex Adriaansens était le co-fondateur de V2 et est décédé après une longue maladie fin 2018.
J’ai demandé à Howse qui étaient les « Tiny Miners » : « Je qualifierais plutôt Tiny Mining de communauté informelle de parties concernées, chacune ayant des spécialités et des centres d’intérêts différents. Le noyau de la communauté est composé de moi-même, Theun Karelse et Alfonso Borragan, tous deux artistes, intéressés par les nouvelles écologies spéculatives. Alfonso travaille depuis longtemps sur l’ingestion collective de minéraux (minerais d’argent, météorites, argile), et creuse profondément dans les cultures et les histoires de l’ingestion géologique. Plus récemment, nous avons été rejoints par Kat Austen, une artiste qui a une formation en chimie environnementale et en science citoyenne, Aniara Rodado (et son devenir plante-sorcière-machine), et Dennis De Bel (l’homme de cuivre). Nous avons également reçu les conseils de la géologue médicale Ines Tomasek, et de l’anthropologue médical Aaron Parkhurst. Au cours des premières discussions, Nik Gaffney et Maja Kuzmanovic de FoAM (un réseau de laboratoires transdisciplinaires à l’intersection de l’art, de la science, de la nature et de la vie quotidienne, ndlr) ont également joué un rôle clé. La communauté est ouverte et peut être consultée ici.
Martin Howse présente « Tiny Mining » (en anglais) :
Géologie médicale
Je ne savais même pas qu’existait une profession telle que « géologue médicale ». Quel est le rôle d’Ines Tomasek, qui se décrit elle-même comme une « géologue médicale et volcanologue travaillant sur les impacts sanitaires et environnementaux des éruptions volcaniques, en utilisant des approches et des méthodes multidisciplinaires dans la géochimie et la toxicologie des particules ». « Ines a participé à la première réunion d’experts – une série de discussions qui ont eu une grande influence sur le projet, autour de l’idée de dose et d’équilibre entre carence et toxicité -, ces équilibres dans le corps que l’extraction pourrait peut-être bouleverser. Par exemple, une trop grande quantité d’un minéral bénéfique peut être aussi dangereuse que son absence. De même, un minéral comme le fer peut contrôler l’absorption d’autres minéraux comme le zinc. Ines a également joué le rôle de conseillère dans les premières étapes du projet. »
Sommes-nous devenus trop dépendants d’Internet ? Howse : « C’était l’une des ironies de notre atelier communautaire à distance le plus récent. Nous avions prévu une retraite ensemble, mais en raison des restrictions actuelles, nous avons été contraints de nous réunir en ligne. Bien que que cela ait permis d’échanger, je pense que cela a renforcé, pour tous ceux qui y étaient impliqués, cette dépendance aux technologies non-locales qui va à l’encontre de l’éthique de Tiny Mining. En même temps, les interruptions temporaires et les glitches des réseaux et du matériel de certains participants ont souligné cette ironie, en mettant en évidence d’une certaine manière l’intégration de Tiny Mining dans d’autres infrastructures (réseaux, systèmes postaux, laboratoires, fournisseurs de laboratoires, etc). »
Tiny miners et Fremen
Howse décrit Tiny Mining comme un projet de fiction spéculative presque ironique, qui ferait référence à une exploitation imaginée du corps humain comme ressource, à la manière d’Amazon. Est-ce prophétique ? « Il y a une nette tendance à l’épuisement des options minières terrestres, ainsi qu’à la recherche et à l’exploitation des fonds marins, des autres planètes et des astéroïdes. Ironiquement, ces projets pourraient placer les humains dans des environnements hostiles qui nécessiteraient l’exploitation des minéraux intérieurs, juste pour les garder dans le corps ou dans le cycle. Certains aspects du projet ont des similitudes avec les visions de Frank Herbert dans Dune. Nous avons discuté au début des Fremen et des « combinaisons de travail » de Dune, comme moyens de conserver l’eau (et peut-être d’autres métaux précieux). La citation suivante de Dune (décrivant une « combinaison de travail ») a inspiré notre concept de « sweatshop » :
« Il s’agit essentiellement d’un micro-sandwich – un filtre à haute efficacité et un système d’échange de chaleur. La couche en contact avec la peau est poreuse. La transpiration la traverse, ayant refroidi le corps… processus d’évaporation quasi normal. Les deux couches suivantes (…) comprennent des filaments d’échange de chaleur et des précipitateurs de sel. Le sel est récupéré. Les mouvements du corps, en particulier la respiration et une certaine action osmotique, fournissent la force de pompage. L’eau récupérée circule vers des poches de rétention d’où vous la tirez par ce tube dans le clip au cou… L’urine et les excréments sont traités dans les coussinets de cuisse. En plein désert, vous portez ce filtre sur votre visage, ce tube dans les narines avec ces bouchons pour bien les ajuster. Inspirez par le filtre buccal, expirez par le tube nasal. Avec une combinaison Fremen en bon état de marche, vous ne perdrez pas plus d’un dé à coudre d’humidité par jour… »
Ce n’est pas la première incursion de Howse dans des visions technologiques inhabituelles. Il a également participé au projet Crystal World présenté dans le cadre de CTM 12 à Berlin. Howse : The Crystal world était un projet de collaboration initié par Jonathan Kemp et Ryan Jordan, qui visait à décristalliser, puis à réformer ou redémarrer les technologies contemporaines de calcul, de contrôle et de communication, en décomposant et en retravaillant littéralement leurs substrats matériels. Nous avons organisé différents ateliers qui reproduisaient des stratégies d’extraction de déchets électroniques et les « détournaient » vers de nouveaux imaginaires. Il s’agissait donc d’une sorte d’effacement très littéral des liens cristallins de la technologie. Il y avait aussi un aspect corporel, nous travaillions avec des produits et des procédés chimiques forts et dangereux. Je me souviens de m’être réveillé après un atelier incapable d’avaler, la gorge endolorie par l’inhalation accidentelle de certains sous-produits issus de cette déconstruction. »
Howse s’est impliqué dans la scène média activiste des années 90 à Londres, lorsque Mute Magazine était à son apogée, et a fondé en 1998 un projet qui promettait de « mettre en œuvre un système d’exploitation (OS) véritablement artistique dans son sens le plus large ». En quoi cela a-t-il influencé son travail aujourd’hui ? « J’étais en marge de la scène des arts média, je travaillais dans une optique pratique, – je récupérais des ordinateurs dans la rue -, si bien que j’ai participé à quelques petites initiatives communautaires, et à la mise en place des premiers réseaux dans l’est de Londres et à Brixton. Mon travail a évolué vers des performances avec des technologie obsolètes retravaillées à la fin des années 90, et ma résidence à V2 avec Shu Lea Cheang et Alexei Blinov. »
Tiny Mining rappelle le film de science-fiction classique des années 60 Le Voyage Fantastique, dans lequel de minuscules « astronautes » pénètrent dans les artères d’un corps humain dans un minuscule sous-marin. Était-ce une influence ? « Pour moi, c’est plutôt un lointain souvenir d’enfance, mais le fonctionnement de l’agent de nanochélation Argotine (un traitement potentiel de la maladie d’Alzheimer actuellement en développement communautaire) est définitivement influencé par un voyage intérieur dans les veines et les réseaux. »
The Fantastic Voyage, Richard Fleischer, 1966:
Qu’en est-il de la pandémie ?
Que se passe-t-il dans un sweatshop de Tiny Mining ? Comment faire en cas de pandémie ? « Ce n’est pas facile car nous perdons l’attachement collectif à un environnement et à un régime alimentaire très spécifiques. J’ai préparé et envoyé des kits de minage aux participants de la communauté – avec du matériel pour réaliser diverses expériences (en considérant le corps comme un bio-indicateur), ainsi que des compléments alimentaires et des médicaments pour faciliter la chélation (la libération des métaux et des minéraux du tissu humain) et l’extraction finale. Un ensemble de protocoles pour chaque jour de la semaine et pour la session commune a été inclus (ceux-ci peuvent être trouvés en ligne), et le kit a été complété par un régime alimentaire spécifique à suivre au cours de la semaine. Un métal ou un minéral a été assigné à chaque participant pour qu’il explore, médite et enfin tente des tests et des extractions. Nous nous sommes rencontrés en ligne et avons partagé et documenté les tests, les expérimentations, les expériences et les rêves. Le processus était très épuisant, il étendait quelque chose d’assez intime et impliquant des émissions corporelles (sueur, souffle expiré, urine) dans le monde en réseau, mais cela a été gratifiant. Je serais plus heureux de rencontres dans le monde réel, certaines sont prévues dans des lieux géologiques très spécifiques, comme à Jachymov, une ville de République tchèque célèbre pour ses eaux thermales riches en radon. »
L’artiste Margherita Pevere, interviewée précédemment dans Makery, utilise également les sécrétions de son propre corps dans son travail, en étudiant la manière dont les hormones s’intègrent dans l’environnement naturel. Elle a influencé Tiny Mining, avec Cecilia Jonsson, et a exprimé son intérêt à participer à de futurs ateliers. J’ai demandé à Howse si le projet Tiny Mining se limitait au corps humain vivant. Y a-il une raison éthique ? « Je ne pense pas que ce soit une question d’éthique. Nous nous intéressons à l’expérience du vivant et à l’entrée du corps humain dans les cycles géologiques ; pour que nous ne devenions pas simplement des marqueurs anthropogéniques ou anthropocéniques. En même temps, une forte influence sur Tiny Mining provient des traditions de l’alchimie chinoise – en particulier autour de l’ingestion de minéraux mortels tels que le réalgar (minerai de mercure) et l’arsenic, qui étaient destinés à favoriser l’immortalité par l’arrêt de la vie corporelle et la décomposition qui s’ensuit. »
Howse fait également référence au terme « écologie extrême » et développe : « Nous croyons que la terre doit rester aussi vierge et intacte que la nature. Nous ne voulons pas continuer à extraire des ressources d’un monde qui ne cesse de s’appauvrir. Si nous utilisons des technologies extractives, alors nous devons être prêts à nous soumettre à cette extraction. Cela a aussi beaucoup à voir avec les connaissances que nous apporte l’entrée dans ces cycles terrestres ! »
En savoir plus sur Tiny Mining.
Tiny Mining est hébergé par V2_ dans le cadre de la Résidence Alex Adriaansens (DAAR), soutenue financièrement par Gemeente Rotterdam. La candidature pour la prochaine résidence est accessible ici.