Marco Barotti : bio-mimétisme électronique aux Rencontres Mondes Multiples
Publié le 23 novembre 2020 par Elsa Ferreira
Du 13 novembre au 6 décembre, au festival en ligne Mondes Multiples, l’artiste italien basé à Berlin Marco Barotti présente son œuvre « Clams », un commentaire sur la pollution de l’eau et l’ingéniosité des écosystèmes.
A voir les cygnes électroniques faits de vieilles antennes paraboliques se mêler à leurs congénères de chaire et de plumes, on ne sait plus si l’on doit trouver ça beau, absurde ou étrange et effrayant. C’est que la ménagerie électronique de Marco Barotti a beau avoir l’air sympathique, elle sert un objectif bien sérieux : sensibiliser le public aux enjeux environnementaux. Ces cygnes qui nagent, drôles et paisibles, d’Islande en Allemagne ? Une invitation à la réflexion sur le gaspillage électronique, le corps de ces « techno animaux » faits d’une technologie désormais pour l’essentiel obsolète. Ces curieux pic-verts aux entrailles de fils qu’il a installé un peu partout de Lisbonne à Saint Pétersbourg en passant par Tokyo ? Un commentaire sur la pollution électromagnétique, l’électrosmog, puisque les créatures picorent le mobilier urbain à un rythme soufflé par les radiations. A l’occasion de l’exposition European Media Art Platform aux Rencontres Internationales Mondes Multiples, en ligne du 13 novembre au 6 décembre, Marco Barotti présente Clams, une œuvre qui s’intéresse à la qualité de l’eau et à ces humbles laveurs de fonds marins que sont les clams. Rencontre.
Makery : Après avoir exploré les déchets électroniques et l’électrosmog, pourquoi aborder le sujet de la qualité de l’eau?
Marco Barotti : Avec Swans, je voulais aborder le sujet du gaspillage électronique, la façon dont nous percevons la technologie et où elle attérit une fois que nous en avons terminé avec elle. J’ai ainsi créé des techno animaux à partir d’antennes paraboliques recyclées, qui ressemblent à un troupeau de cygnes qui nagent paisiblement dans l’eau. Les cygnes ont ouvert une nouvelle perspective artistique et de nombreuses questions en sont nées, dont certaines liées à la pollution de l’eau et du plastique. J’ai ressenti le besoin d’aborder ces thèmes dans mon œuvre suivante.
Au cours de mes recherches, j’ai découvert que dans la nature, les clams sont parmi les meilleurs détecteurs de polluants et ils servent de minuscules filtres dans notre écosystème. Ils purifient jusqu’à deux litres d’eau par jour et les tissus des bivalves absorbent certains des produits chimiques et des agents pathogènes, tels que herbicides, les produits pharmaceutiques et les retardateurs de flamme.
Ces phénomènes m’ont stimulés et j’ai créé Clams, une réinterprétation fictive et poétique de ces animaux inspirés par leur biologie et leur fonctionnalité dans la nature.
Les données constituent une partie importante du travail. Appelons cela le « côté rationnel » de celui-ci. Quand je déploie les capteurs dans l’eau, j’enregistre les données de qualité de l’eau, ses graphiques et les valeurs numériques. A la fin de l’exposition temporaire, j’offre les données collectées à la communauté, et ils décident quoi en faire.
Quel type de données sur la qualité de l’eau collectez-vous?
Je mesure certains des paramètres les plus pertinents liés à la qualité de l’eau. Température, pression, conductivité, pH / redox, oxygène dissous (RDO, Rugged Dissolved Oxygen), turbidité, résistivité et solides dissous. Ces mesures permettent aux scientifiques de comprendre partiellement la qualité de l’eau et décider si une enquête plus approfondie est nécessaire. ll ne s’agit pas de capteurs DiY : ils sont vendus par In-situ, une entreprise qui produit des équipements pour les mesures de la qualité de l’eau.
Comment est la bande originale?
Clams est une installation sonore multicanal. À l’intérieur de chaque clam, j’ai installé un haut-parleur. Les données sont générées par le capteur placé dans la rivière, le lac ou la mer de la ville où l’œuvre est présentée. Chaque minute, les capteurs envoient des données en temps réel à un serveur. Le serveur communique avec une chaîne d’applications informatiques, notamment Max/MSP et Ableton Live, qui convertissent les données de qualité de l’eau en basses fréquences qui génèrent les mouvements d’ouverture et de fermeture des sculptures et un paysage sonore microtonal évolutif qui varie au fil du temps selon les niveaux de qualité de l’eau.
Quelles eaux allez-vous tester?
Nous allions mesurer la qualité de l’eau des marais de Bourges. Puisque l’exposition se produira en ligne, il n’y aura pas de situation en direct cette fois. Il y aura une interview vidéo où j’explique Clams, la documentation vidéo du travail et les coulisses de la fabrication.
Où avez-vous trouvé le plastique recyclé pour produire l’œuvre d’art?
Après de nombreuses recherches, j’ai trouvé en ligne l’initiative Precious Plastic. C’est une communauté qui lutte contre le problème des déchets plastiques et trouve des solutions. Après avoir fait partie de la communauté, j’ai trouvé mon chemin vers leur Bazar, un marché en ligne interne où les gens commercialisent du plastique, des machines à recycler et des produits conçus à partir de plastique recyclé. Là, j’ai trouvé VanPlestik, également des membres de la communauté qui m’ont aidé à trouver ce que je cherchais. Je voulais des déchets industriels et j’ai trouvé un type de plastique qui venait principalement de bouteilles de produits pharmaceutiques recyclées pour le marché de l’emballage grand public. Le plastique est lavé et déchiqueté en plastique transparent PET-G.
Pour créer les clams, j’utilise deux types de machines : une presse pour imprimer des T-shirts et une sous vide. J’utilise d’abord la presse pour faire fondre les grains de plastique déchiqueté en de grosses assiettes. Ensuite, j’utilise deux types de coquilles que j’ai trouvées (une à Moscou et une à Hong Kong) comme des moules et j’imprime l’histoire de ces coquilles dans le plastique recyclé en utilisant le sous vide. Lorsque le plastique refroidit, je coupe la clam formée. C’est un long processus, d’autant plus que j’ai fait 160 clams.
Le making-off des clams, Marco Barotti, 2019 :
Vous avez créé des pics-verts, des cygnes, des clams… Les animaux sont-ils de meilleurs messagers?
Je pense qu’ils sont en effet de très bons messagers. Les animaux que je reproduis dans mes œuvres sont extrêmement importants dans notre culture, les gens s’identifient à eux et grâce à cela trouvent immédiatement un lien fort avec l’œuvre d’art. Ils sont plus réceptifs et ouverts pour accueillir le message plus profond de l’œuvre, même si elle est complexe et implique plusieurs niveaux d’explication.
En tant qu’artiste, comment avez-vous géré le confinement ?
La première vague a été très intense puisqu’elle a frappé très fort l’Italie. J’avais peur et j’étais inquiet pour ma famille. Je me suis mis en quarantaine avant même que les mesures de confinement ne soient imposées par le gouvernement de Berlin. Au bout d’un moment, quelque chose s’est déverrouillé. J’ai été inspiré par la façon dont la nature a réagi et par la façon dont la qualité de l’air que nous respirons s’est améliorée en si peu de temps. Berlin était vide et magnifique. Je ne pouvais plus rester à la maison, alors j’ai commencé à aller au studio tous les jours et les choses allaient de mieux en mieux. La créativité a dépassé mes peurs et mes inquiétudes.
La ville de Berlin a donné 5.000 euros à tous les artistes. Nous n’avions donc pas à trop nous soucier de l’argent. Au moins pour ces premiers mois. C’était la première fois depuis quelques années que je restais au même endroit pendant plus de deux mois. C’était très inspirant et luxueux d’avoir tout ce temps à consacrer à de nouveaux projets.
En juin, j’ai eu mon premier spectacle, au Havre, en France, et c’était merveilleux de pouvoir quitter la ville. La liberté de prendre un train, de prendre un café à Paris, de montrer mon travail dans une exposition et de boire un verre de vin au bord de la mer du Havre n’avait pas de prix.
Cela a-t-il changé votre façon de travailler?
Lorsque la deuxième vague est arrivée, les spectacles n’étaient plus annulés mais beaucoup d’entre eux sont passés à un format en ligne. J’ai envoyé mon travail uniquement en Espagne et en Slovénie, dans les institutions qui ont réussi à ouvrir une exposition physique. C’était très révélateur de voir les difficultés qu’ils rencontrent lors de la mise en place de mon travail. J’ai réalisé que mon art fragile devait devenir plus solide et autonome. Je suis en train de repenser et de mettre à niveau toutes mes œuvres, de les rendre plus fortes et encore plus durables.
Pouvez-vous nous parler de ce nouveau travail inspiré du confinement ?
J’ai été impressionné par l’amélioration de la qualité de l’air dans les villes et les zones industrielles. J’ai commencé à étudier la pollution de l’air, ses causes, ses effets sur la santé et ses solutions. Dans le processus, j’ai découvert que la mousse agit comme un bio-indicateur de la pollution atmosphérique. L’idée m’a frappé et avant de m’en rendre compte, je produisais ma prochaine œuvre d’art.
Travailler avec de la mousse vivante a soulevé de nombreuses questions éthiques, qui dépassent ma pratique artistique et m’ont fait remettre en question, encore plus, mon lien avec la nature. C’est un défi émotionnel et moral mais aussi un moment enrichissant et significatif qui me fait grandir et me permet d’acquérir une compréhension plus profonde des espèces et de moi-même. Je vous en dirai plus sur le projet lors de notre prochaine rencontre.
Les sites des Rencontres Internationales Mondes Multiples et de l’European Media Art Platform.