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Maria Castellanos et Alberto Valverde : ce qui fait frémir les plantes

Pour mieux comprendre les plantes, Maria Castellanos et Alberto Valverde leur ont organisé des concerts. © Maria Castellanos et Alberto Valverde

Quel est le point commun entre un homme et une plante verte ? Leurs ondes frémissent au son de la musique. A l’occasion des Rencontres Internationales Mondes Multiples de Bourges, en ligne du 13 novembre au 6 décembre, Maria Castellanos et Alberto Valverde rappellent que les homo sapiens ne sont qu’un être vivant parmi les autres.

Les feuilles bardées d’électrodes, Maria Castellanos et Alberto Valverde mettent les plantes sous surveillance électroniques pour mieux guetter leurs réactions à leur environnement sensoriel.

Pour Mondes Multiples, ils présentent Uh513, une collection d’œuvres et travaux qui ont pour objet l’étude des inter-relations et des intersections entre machines et êtres humains. Une recherche qui invoque la philosophie, la biologie, la communication extra-humaine mais aussi des mathématiques pures, de l’art algorithmique et de la visualisation de données. Une technique poétique et interdisciplinaire au service d’un grand mystère… mais qu’est ce qui fait vibrer les plantes ?

Makery : Votre pièce maitresse est Beyond Human Perception, avec laquelle vous mesurez les signaux électriques issus de plantes et d’humains pendant un concert. Les plantes sont-elles sensibles à la musique ?

Maria Castellanos & Alberto Valverde : Nous avons commencé à travailler avec les plantes en 2009. Clorofila 3.0 était le premier travail que Alberto et moi faisions ensemble. Nous avions développé notre propre capteur pour mesurer les oscillations électriques des plantes et c’est le même que nous utilisons pour Beyond Human Perception.

Lorsque l’on change les lumières, les températures, le taux de CO2 et même la proximité avec d’autres plantes ou d’autres humains, la plante détecte ces changements immédiatement et nous pouvons le mesurer grâce au capteur. Chaque plante est différente et nous devons adapter le capteur à chacune. Par exemple, les plantes avec de grandes feuilles sont un peu plus lentes que les petites. Nous pouvons également choisir quels changements prendre en compte : par exemple mesurer la réaction au changement de CO2 ou au mouvement du pot mais ne pas mesurer les changements lorsque l’on touche les feuilles.

De la même manière, la plante détecte la musique et ses signaux électriques changent.

Clorofila 3.0, Maria Castellanos et Alberto Valverde, 2010-2015 :

Vous avez observé que les signaux des plantes et des humains changeaient en présence l’un de l’autre…

L’idée de l’expérience Beyond Human Perception est née en 2019, lors d’une résidence à Oslo. Nous avions placé un humain et une plante dans une situation de forte interaction, où l’humain touchait la plante, lui parlait, chantait pour elle, et nous avions observé les ondes électriques du cerveau humain et les signaux électriques du végétal. Nous avons été extrêmement surpris de découvrir que lorsque quelque chose se passe dans le cerveau humain, un phénomène similaire se produit dans le signal de la plante. C’était notre point de départ.

Experiment with Plants and Humans, Maria Castellanos et Alberto Valverde, 2019 :

Désormais, nous voulions savoir si les deux êtres vivants réagiraient en symbiose sans interaction mais avec un stimuli commun. Dans ce cas là, nous avons utilisé la musique.

Quel a été le résultat de cette expérience ?

Nous savons désormais que les plantes et les humains réagissent à la musique et cette réaction est beaucoup plus similaire que ce que nous attendions.

La visualisation des données des plantes et des humains met en lumière leurs similitudes. © Maria Castellanos et Alberto Valverde

Nous avons organisé quatre concerts. Pour chaque, quatre humains et huit plantes « écoutaient » au même endroit la musique live et leurs données étaient enregistrées afin de pouvoir ensuite les analyser et les comparer.

Après avoir récolté les données, nous les traitons et en faisons une visualisation 3D ou chacun des êtres vivants est représenté par une figure mouvante composée de petites sphères. Chaque petite sphère représente une donnée. En regardant la visualisation, il est impossible de voir la différence entre les deux, de savoir si nous observons la plante ou l’humain, les deux visualisations sont très proches. Cela nous a surpris, nous ne nous attendions pas à observer de telles similitudes.

Nous avons fait l’expérience avec de la musique improvisée et pouvons voir que les deux êtres vivants sont sensibles aux changements drastiques d’instruments, aux changements de tonalités ou de volume sonore. On peut observer ces sensibilités en regardant l’œuvre.

Beyond Human Perception, Maria Castellanos et Alberto Valverde, 2020 :

Comment comparez-vous les deux signaux ?

C’est une question essentielle dans notre projet. Chez l’humain, nous mesurons l’activité électrique par EEG et pour les plantes, nous mesurons les oscillations électriques avec notre capteur : nous connectons une partie du capteur sur une tige et l’autre dans la terre, à côté des racines. De cette manière, grâce à un algorithme que nous avons développé, nous somme capable de mesurer les oscillations électriques qui interviennent dans la plante selon son environnement, et ce de manière immédiate.

Les deux mesures sont très différentes et nous utilisons les mathématiques pour résoudre ce problème. Nous utilisons l’algorithme de Transformation de Fourier rapide, très commun en informatique, pour comparer différentes données. Cela nous permet de convertir le signal depuis sa source d’origine (dans ce cas, les mesures d’EEG et les oscillations électriques de la plante) en une représentation de sa fréquence.

Nous obtenons donc deux ondes que l’on peut comparer et nous avons développé notre propre algorithme pour transformer ces mesures en dessins 3D, ce qui permet d’observer la similitude des deux êtres.

Il y a-t-il des différences fondamentales ?

Ce que nous savons c’est que nous ne sommes sûrs de rien. Nous avons bien sûr trouvé des similitudes lorsque nous observons les réactions des deux êtres mais nous sommes très différents et nous ne pouvons pas nous comparer selon les même référentiels.

Par exemple, certaines personnes voient les racines de l’arbre comme son cerveau mais nous apprenons que le cerveau des arbres est en fait formé de leur ensemble. Nous ne pouvons pas penser le système nerveux de la plante de manière anthropocentrique.

Les plantes ont toujours été là, avant même les humaines, pourtant beaucoup pensent les plantes en terme d’objets. Ils sont des êtres vivants. Ce travail, tout comme les précédents, est notre façon de comprendre un peu mieux la nature.

Nous parlons beaucoup en ce moment de l’intelligence des arbres, des réseaux mycorhiziens entre champignons comme d’un world wide web naturel… Sommes nous proches de reconnaître une forme de conscience aux végétaux ?

Nous suivons de près le travail de Stefano Mancuso, biologiste italien qui concentre ses recherches sur la neurobiologie végétale. Il explique que de beaucoup de façons, les plantes sont plus sensibles que les humains : en fait, elles possèdent les cinq sens que tous les animaux ont et 15 autres de plus. Alors oui, je pense que c’est une autre forme de conscience que les humains ne comprennent pas encore.

Un de nos prochains projets est de travailler avec l’intelligence artificielle pour explorer ce qu’il se passe dans les plantes mais que notre cerveau humain comprend pas. Ainsi, pendant la prochaine année et demie, nous allons travailler sur le projet Other Intelligences. Interspecies Dialogues plant-human. Nous allons développer des réseaux neuronaux de plantes, ce qui veut dire que nous allons connecter par Internet des plantes spatialement séparées et voir grâce à l’intelligence artificielle s’il peut y avoir une forme de communication.

On trouve beaucoup de recherches sur comment les plantes communiquent lorsqu’elles sont proches les unes des autres mais que se passe-t-il lorsqu’elles sont à distance ?

Dans vos recherches, la machine agit comme un facteur d’intégration, une façon de multiplier les capacités humaines. Passer en ligne sous l’effet du confinement pourrait donc presque être une nouvelle couche à votre travail…

C’est vrai que nous travaillons avec les machines mais nous produisons des choses tangibles. Nous aimons le toucher, faire participer le public à nos installations. Il est difficile de transmettre ces choses là à travers un écran ou un site internet.

Nous avons dû nous adapter, changer notre méthodologie. Notre résidence EMAP a commencée en avril, alors que le confinement débutait en Espagne. Au lieu d’être en Croatie, nous avons donc fait notre résidence depuis chez nous. Même si notre studio est à dix minutes à pied, nous n’avions pas le droit d’y aller et nous qui travaillons beaucoup avec le prototypage, nous avons dû utiliser notre ordinateur.

Une fois que nous avons été autorisés, nous avons pu produire et réaliser nos expériences, avec les masques et toutes ces nouvelles règles.

Le site du festival Mondes Multiples

Le site de Maria Castellanos et de Alberto Valverde