Lancé en 2018 dans le quartier de Belsunce, le projet Coco Velten impulse une nouvelle dynamique dans l’économie sociale et solidaire sur le territoire marseillais. En mettant à disposition un espace où cohabitent résidents hébergés dans des centres sociaux, structures résidentes et une programmation culturelle ouverte au public, le projet a pour vocation d’expérimenter de nouvelles formes de vie en collectivité. Rencontre avec Sophia Daoud, coordinatrice générale et Raphaël Haziot, coordinateur artistique de Coco Velten.
C’est en plein centre du quartier populaire de Belsunce, au coeur de la cité phocéenne, que le projet Coco Velten s’est installé en 2018. Initié par l’équipe de Yes We Camp – association spécialisée depuis 2013 dans l’aménagement et l’animation d’espaces d’occupation temporaire -, en partenariat avec les équipes de Plateau Urbain, coopérative d’urbanisme temporaire et le Groupe SOS, organisme spécialisé dans l’entrepreneuriat social, ce projet a pour vocation de créer un nouveau modèle d’hébergement d’urgence, ouvert à la vie en collectivité, à la création et à la culture.
Lutter contre le sans-abrisme à Marseille
Tout commence en 2017. Pour lutter contre le sans-abrisme dans la ville de Marseille, la préfecture décide de mettre en place un laboratoire d’innovation public, le Lab-Zéro, afin de chercher de nouvelles solutions. Au fil des discussions, une alternative est enfin trouvée : occuper temporairement les nombreux bâtiments vacants de la ville pour aménager des centres d’hébergement. “Il y avait 12 000 sans-abris à Marseille et l’objectif c’était qu’en 10 ans, il n’y en ait plus. Ils ont essayé de trouver de nouvelles solutions d’hébergements pour ces personnes et l’une des options était de faire de l’occupation temporaire de lieu.” introduit Sophia Daoud, architecte de formation en charge de la coordination du projet Coco Velten.
Coco Velten, sur les traces des Grands Voisins
Le préfet de région, un peu sceptique, se rend accompagné de plusieurs acteurs du Lab-Zéro aux Grands Voisins à Paris. Sur place, ils prennent conscience des possibilités en terme d’occupation temporaire à vocation sociale. Séduit par l’initiative – qui à l’époque abrite près de 800 hébergés et 200 structures résidentes dans un ancien hôpital -, l’élu décide de faire appel à Yes We Camp, en charge de l’animation du site des Grands Voisins, pour occuper un bâtiment de 4 000 m2, les locaux de l’ancienne Direction des Routes, rue Bernard du Bois. L’idée ? Mettre en place un programme alliant hébergement d’urgence et pratiques culturelles sur le modèle du site parisien.
“Fin 2017, Yes We Camp fait une étude de faisabilité avec Plateau Urbain, qui travaillait également sur le site des Grands Voisins sur l’animation des structures et le Groupe SOS, destiné à gérer la dimension sociale du bâtiment. Ce qui se dessine progressivement, c’est à la fois un centre d’hébergement que l’on appelle ici résidence hôtelière à vocation sociale ou résidence sociale, des bureaux qui sont loués à des artistes, des artisans, des associations, des structures, des entreprises et des espaces ouverts au public pour accueillir une programmation. En 2018, le projet est lancé.” poursuit la jeune femme.
Après plusieurs mois de travaux de mises en conformité du bâtiment, les équipes pilotes accueillent les premières structures en janvier 2019. Deux mois plus tard, les premiers résidents hébergés prennent part au projet, et en avril 2019, la cantine et la programmation qui s’y articule, sont ouvertes au public.
L’inscription en plein coeur de Belsunce à Marseille
Mais l’une des grandes spécificités du projet Coco Velten est sa localisation, en plein coeur de Belsunce, quartier prioritaire de la ville qui offre aux résidents hébergés d’autres types d’interactions sociales. “La localisation est intéressante, car la plupart des centres d’hébergement que l’on connaît sont très excentrés et il y a peu de liens qui se font. C’est plus compliqué pour ces personnes d’être introduites dans la société civile.” explique la coordinatrice.
Aussi, Coco Velten s’agrège à un coeur d’îlot, dans lequel cohabitent plusieurs infrastructures avec qui il faut composer et réinventer les pratiques collectives. “Aux Grands Voisins, on avait une enclave dans un quartier bourgeois. Ici à Coco Velten, il y a un vrai enjeu qui est de se mailler au quartier, celui de Belsunce, quartier prioritaire en plein centre-ville de Marseille, qui a une histoire assez particulière. Avec cet emplacement, ce coeur d’ilot que l’on partage avec un CMA, un centre multi-activités composé d’un centre de sport, d’un centre social, d’une association qui s’appelle le Contact Club. Il y aussi la Cité de la Musique qui est au sous-sol.” souligne Raphaël Haziot, en charge de la coordination artistique du site et des partenariats avec les institutions culturelles, avant d’ajouter: “On est arrivés au moment de l’inauguration des espaces extérieurs. Il fallait donc lier les habitants de la résidence sociale à la globalité du projet, mais aussi implanter l’ensemble dans un quartier pour faire corps à une dynamique territoriale.”
Une bonne cohabitation progressive
Une cohabitation rendue possible avec le temps donc, et grâce à un travail de médiation et de sensibilisation auprès des structures avoisinantes. “Ça a été un long travail mené par Sophia et d’autres, de discussions, de médiation avec le public alentour. L’un des enseignements que l’on peut tirer à mi-parcours du projet, et à mi-chemin de la convention officielle, c’est que c’est sur le temps long que les cohabitations parviennent à se faire, et que l’hybridation opère. Il y a eu un premier regard assez méfiant. Les riverains et les acteurs du territoire pensaient que nous étions un peu parachutés, aujourd’hui on commence vraiment à s’apprivoiser avec les acteurs. Il y a une zone de confiance qui commence à s’établir. Là, sur le coeur d’îlot, on commence à réfléchir à une signalétique commune, à travailler en commun sur les salles à disposition.” développe Raphaël Haziot. “Il y a eu une période pivot qui a été le premier confinement, car nous avons transformé les cuisines en lieu de production alimentaire en lien avec les maraudes autogérées du quartier de Belsunce. Les structures annexes comprenaient les enjeux du projet. Mais c’est aussi plein de petites rencontres, liées à la programmation culturelle, qui ont rendu possible la bonne cohabitation. Les gens commencent vraiment à avoir une appétence pour le projet.”
Une programmation bicéphale
Aujourd’hui, Coco Velten s’articule autour d’une dense programmation, bicéphale, alimentée par les initiatives et contributions des riverains, mais aussi par des invitations lancées auprès d’artistes et de structures extérieures. Ensemble, ils construisent des propositions culturelles directement en lien avec la dynamique du projet.
“La programmation est bicéphale. C’est un parti-pris que l’on a. C’est-à-dire, être à la fois plateforme d’initiatives, donc de construire beaucoup sur des sollicitations extérieures, mais aussi d’avoir une direction artistique un peu plus affirmée.” avance le coordinateur artistique.“ On essaye pas mal d’inviter l’écosystème marseillais, des festivals, des institutions culturelles. Ils viennent travailler ici, et on tente ensemble de réinventer les pratiques. Avec les artistes, on va essayer de se concentrer sur les pratiques plus que sur le rendu. Mais ils ont tout de même un double cahier des charges, celui de faire une création in situ qui rentre en écho avec le lieu, avec les habitants, avec les structures. Il y a une forme d’hospitalité qui doit se créer dans leur processus de création.”
Pour l’heure, avec le deuxième confinement et malgré la fermeture au public du site, l’équipe de Coco Velten reste mobilisée et continue les aménagements et les activités de végétalisation sur le toit terrasse du site.