Interview de Rosa Nieves Leon Perez, spécialiste de l’impression 3D et de la fabrication additive depuis plus de 10 ans, ayant œuvré à la coordination nationale de la mobilisation CoronavirusMakers en Espagne pendant la crise sanitaire.
Rosa Nieves Leon Perez est architecte et enseignante, spécialisée dans la fabrication additive et la transformation numérique, et passionnée par tout ce qui touche à l’industrie 4.0. Elle dirige la section fabrication additive du fablab de l’Université Francisco de Vitoria à Madrid depuis mai 2019 et s’est engagée pleinement dans la mobilisation des makers espagnols dès le début du confinement.
Quelles ont été les premières étapes de votre réponse à la crise ?
Le 10 mars, des médecins de l’Hôpital général universitaire Gregorio Marañón à Madrid avec lesquels j’avais précédemment travaillé, sont entrés en contact avec moi car ils avaient vu ce qui se passait en Italie et prévoyaient que cela se passerait en Espagne. Ils souhaitaient développer un respirateur open source. Dans le même temps, le 12 mars, Esther Borau (de l’Institut Technologique d’Aragon, ndlr) a créé un groupe Telegram avec le même objectif : créer un respirateur open source. Au travers des réseaux sociaux, elle a appelé à la participation d’experts dans différents domaines : médecins internes, anesthésistes, ingénieurs, électriciens, mécaniciens et spécialistes en fabrication additive, entre autres. Ce groupe Telegram a été un grand succès et en moins de 2 jours nous étions plus de 5 000 personnes à vouloir collaborer sur ce projet. Nous avons ainsi pu commencer à nous organiser en groupes de travail.
Dans la mesure où nous étions nombreux à voir la maladie sous différents angles, et quelles solutions nous étions en mesure de produire, nous avons pu développer plus de 20 projets de R&D : des respirateurs, des visières de protection, des masques, des masques pour les urgences, des « ouvre-portes », des capnographes, des équipement ECMO, des applications pour l’hygiène et pour la logistique, etc. Le 14 mars l’état d’urgence a été déclaré en Espagne, et nous avons décidé d’organiser cette communauté en groupes de travail autonomes par provinces, afin d’optimiser les déplacements qui restaient alors très limités. Ainsi, chaque communauté autonome avait un coordinateur, et les provinces se sont entourées d’experts dans différents secteurs : logistique, donations et demande de matériel. Tous ces coordinateurs ont été soutenus par une coordination nationale que je dirigeais, et étaient appuyés par une équipe qui intervenait sur les questions de logistique nationale et internationale, sur les donations, sur la communication, la certification des produits, etc.
C’est ainsi que nous avons commencé à nous organiser en Espagne, jusqu’à atteindre plus de 18 000 participants, à fabriquer plus d’un million de visières de protection faciale, plus de 500 000 « protège-oreilles » et plus de 50 000 masques.
Comment avez-vous travaillé avec les autres acteurs locaux ?
Ma relation avec les groupes locaux était celle d’une coordinatrice de réseau. J’étais présente pour les aider au niveau logistique, afin qu’ils puissent disposer du matériel que les entreprises avaient donné. Il fallait que les makers puissent continuer à travailler dans les différentes régions, mais aussi qu’ils aient des contacts avec les hôpitaux et les centres de santé qui nécessitaient du matériel.
A qui était destiné le matériel ?
Le matériel était d’abord à destination des hôpitaux, des centres de santé et des résidences de personnes âgées, mais progressivement le rayon d’intervention s’est agrandi à toutes les personnes travaillant en première ligne : le secteur des services, les pharmacies, les supermarchés, les boulangeries, etc.
Comment avez-vous travaillé avec les différents réseaux ?
La chose incroyable c’est que nous avons pu créer en très peu de temps une organisation à l’échelle de toute l’Espagne, grâce à l’appui des différents réseaux de makers. Le travail a été beaucoup plus intense et mieux coordonné dès que nous avons réussi à faire valider un modèle de visière de protection faciale au niveau national, et que le processus de validation des masques FFP2 et FFP3 a été initié. Nous avons aussi réussi à obtenir des donations de matériel et des donations en espèces pour une valeur de 900 000 €, ce qui nous a permis de développer et de produire différents projets de R&D.
Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées ?
Les plus grandes ont été liées à la bureaucratie inhérente à l’homologation des solutions produites, dans la mesure où nous n’étions pas une entité juridique, mais un groupe de personnes unis autour d’un objectif commun. La logistique a été un autre des points importants dont il a fallu s’occuper. Parce que même si nous ne pouvions pas nous déplacer, nous devions récupérer le matériel, l’emmener dans nos nœuds logistiques, le désinfecter puis l’apporter dans les différents hôpitaux et centres de santé qui en avait besoin.
Nous avons pu réussir en grande partie grâce à l’appui des différentes forces de sécurité de l’Etat. Partout nous avons été aidés par des pompiers, la police locale et nationale, la protection civile et l’armée.
Con las impresoras 3D a toda máquina, los MAKERS de Zamora, Benavente y León, siguen surtiendo a los sectores más necesitados, de las necesarias pantallas de protección para poder seguir luchando contra el coronavirus.
Un gran aplauso por ellos!#coronavirus#quedateeencasa pic.twitter.com/JijJ2LE5x2— El Rincón de Miguel (@ElRincondMiguel) April 6, 2020
En conclusion, qu’avez-vous appris de cette expérience ?
Principalement, que beaucoup de personnes qui ne se connaissaient pas et venant de différentes parties d’Espagne, ont pu se connecter à un réseau avec une structure horizontale (même s’il y avait des personnes responsables de l’organisation pour une meilleure coordination). Ils ont démontré qu’il est possible de s’organiser et de travailler ensemble lorsque tout le monde poursuit le même objectif : dans le cas présent aider à sortir l’Espagne de sa situation précaire durant cette épidémie. Chacun d’entre nous a voulu apporter sa pierre, avec les moyens qu’il avait à sa disposition : c’est précisément ce qui explique la réussite du mouvement.
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Retrouvez notre enquête complète sur la mobilisation des makers espagnols durant le confinement.