Pendant que la 6ème édition de PIFcamp se déroulait du 2 au 8 août 2020 dans la vallée de Soča en Slovénie, Andrew Quitmeyer animait un atelier pour fabriquer une fourmilière interactive, voire symbiotique, depuis son Dinalab de Gamboa au Panama.
Cette année, la vallée verdoyante de Soča, située dans le nord-ouest de la Slovénie, fourmille de fourmis : de petites fourmis rouges et piquantes qui arpentent la montagne, de minuscules fourmis noires qui forment des colonies immenses, de grandes fourmis noires et rouges qui habitent sous les racines des arbres, et de formidables fourmis noires où s’attablent les participants de PIFcamp.
Si le PIFcamp 2020 comptait un peu de moins de participants sur place que les années précédentes, il invitait en principe n’importe qui, depuis n’importe où dans le monde, à assister à une sélection d’activités et de festivités autour de l’art, la technologie et la nature, en direct via le web. Tout naturellement donc, le premier rendez-vous en streaming du hackercamp alpin estival à l’honneur était l’atelier intitulé « Wearable Interactive Ant Farms » d’Andrew Quitmeyer.
Andy Quitmeyer est un vieil ami de PIFcamp. Invité à Soča pour animer des ateliers en 2017, il s’est inspiré de cette expérience pour lancer sa propre Digital Naturalism Conference (Dinacon) autour des mêmes principes de création, de bricolage et de partage en pleine nature—d’abord en Thaïlande en 2018, ensuite chez lui dans ses Digital Naturalism Laboratories (Dinalab) au Panama en 2019. Cette année, ce n’est pas une pandémie mondiale qui va l’empêcher de participer à PIFcamp, même si ce sera à distance.
Depuis une dizaine d’années, Andy emploie différentes technologies pour détecter les mouvements des fourmis, pas toujours avec succès. Il a essayé la vision infrarouge par ordinateur (les fourmis sont trop petites), la télémétrie (la zone cible est un point de 1 mm), la détection thermique (les fourmis sont trop froides), la détection électrique (les fourmis sont trop sèches), la détection vibratoire (les fourmis doivent marcher sur le microphone), la détection optique (nécessite des lentilles personnalisées) et la détection par lumière modulée (eurêka).
Fourmilières interactives
Pour son atelier sur les fourmilières interactives, Andy a pris des LEDs SMD (pour Surface Mounting Device, composant monté en surface) : plus accessibles, plus malléables, plus adaptés à la taille d’une fourmi. Il a écrit du code pour augmenter leur sensibilité à la lumière ambiante, puis il a réservé un jour d’atelier pour les connecter à une carte Arduino afin de créer des portails de LEDs (de préférence rouges, parce que les fourmis ne voient pas la lumière rouge).
Il se trouve que les LEDs peuvent également servir de capteurs, explique Andy, c’est la détection par LED à polarisation inverse. Lorsque vous éclairez une LED, elle se charge en sens inverse, « comme un panneau solaire très minable ». Donc, si vous branchez quelques bandes de LEDs sur la carte en entrées et que vous lancez le code, cela crée un réseau de capteurs LED très sensibles qui éclairent rapidement la fourmi depuis plusieurs directions, tout en enregistrant la lumière ambiante de la scène plusieurs centaines de fois par seconde. La tension de sortie de chaque LED indique clairement quand une fourmi passe à travers le portail.
A PIFcamp, les co-organisateurs Tina Dolinšek (a.k.a. Tina Malina) et Simon Gmajner, ainsi que la participante Rea Vogrinčič et quelques observateurs, suivent attentivement l’atelier en direct chaque jour avant le repas du soir. Ils soudent les composantes et expérimentent avec différents tubes et récipients pour fabriquer leurs futures fourmilières.
Avec Andy ils discutent de comment attraper les fourmis (aspiration d’ouvrières, déviation de sentiers, acclimatation des colonies), de l’humidification de leur environnement avec du coton ou du feutre hydraté, de leur alimentation en eau sucrée, de faire attention à ne pas respirer sur elles (un peu de CO2 les rend furieuses, beaucoup de CO2 les fait s’évanouir)…
Simon le « roi des fourmis » parle de construire une course d’obstacles en forme de labyrinthe ou une autoroute pour fourmis entre les pièces, à travers des chaises, dans un chantier… Rea, préoccupée par la frustration possible des fourmis à être enfermées dans des tubes en plastique, imagine la sensation de fourmis invisibles marchant sur la peau nue…
Andy enchaîne en suggérant des actionneurs pour d’éventuelles sorties audio, thermique, électrique, hydraulique et bien sûr haptiques déclenchées par ces colonies fourmillantes : buzzers piézoélectriques, synthétiseurs, servomoteurs, coussins chauffants, pompes à eau, lubrifiants, vibrateurs… « Un superorganisme peut-il être un super orgasme ? » demande Andy. Justement, qu’en est-il de l’aspect « wearable » de ces fourmilières interactives ?
Cyborgs symbiotiques humain-fourmis
Andy revient sur ses débuts de « digital naturalist », lorsqu’il s’efforçait de communier avec une colonie de fourmis d’une manière ambiante et viscérale. Une fois, les mouvements des fourmis déclenchaient des décharges électriques sur sa langue ; une autre fois, il s’est forcé à méditer alors que les fourmis attaquaient son corps entier embrassant un tronc d’arbre. Son objectif était de comprendre viscéralement les activités de la colonie, afin d’être en symbiose avec le superorganisme, au même titre que la relation entre l’arbre Cecropia et la fourmi Azteca. En bref, « être l’arbre ».
« Cecropia-Azteca Symbiosis » d’Andrew Quitmeyer et Peter Marting (2012) :
Dans le cas de cet atelier pour fabriquer des fourmilières à porter sur le corps, donc, Andy invitait les participants à interagir de manière intime avec les fourmis. Pas seulement dans le but de dominer les insectes en tant qu’accessoires de mode déclenchant des effets artistiques ou sensationnels, mais aussi pour se laisser absorber par le superorganisme, au fur et à mesure que les fourmis traversent leur corps humain, et abandonner leur autonomie corporelle à la colonie. Au final, nous deviendrions tous des cyborgs symbiotiques humain-fourmis (sinon des zombies contrôlés par la colonie !)
Dans la vallée de Soča, il s’est avéré un peu plus difficile que prévu de capturer un minimum de fourmis et de les convaincre de passer à travers des dispositifs lumineux à l’intérieur d’un labyrinthe en plastique. Cependant, tous les participants étaient heureux d’avoir pu au cours de la semaine observer minutieusement le comportement des formicidés comme des myrmécologues amateurs. « A PIFcamp, on apprend toujours des choses » dit Tina.
A Gamboa, Andy a poursuit le projet de la fourmilière interactive wearable pour nous proposer son premier prototype du « Head Hallucinator » : « Lorsque les LEDs captent le passage des fourmis, ils modifient leur fréquence de clignotement, ce qui modifie les hallucinations hypnagogiques que vous voyez dans vos yeux (avec les fourmis). » A suivre…
Voir la première partie de l’atelier « Wearable Interactive Ant Farms » d’Andrew Quitmeyer le 3 août 2020.
PIFcamp est organisé par Projekt Atol et Ljudmila, en coopération avec l’Institut Kersnikova. PIFcamp fait partie du réseau Feral Labs, co-financé par le programme Creative Europe de l’Union Européenne.