Just One Giant Lab se penche sur la société civile
Publié le 21 juillet 2020 par Elsa Ferreira
Après la science dure, la science douce. Just One Giant Lab, laboratoire de science ouverte et collaborative en ligne, accompagne des projets sociaux et citoyens qui s’intéressent à la qualité de vie commune.
Non content de s’atteler à la découverte de nouvelles solutions de diagnostic ou de mener des méta-études sur leurs propres données pour favoriser l’intelligence collective sur la plateforme, le laboratoire collaboratif JOGL et son initiative Open Covid-19 met l’accent sur les projets à destination de la société civile. Du système d’alerte pour répondre à la hausse des violences domestiques à une solution contre les fake news, passage en revue.
#VoltSchool : l’école à distance
Lorsque l’équipe de Vilsquare, une organisation créée pour soutenir la transition numérique en Afrique, rejoint JOGL, rapidement elle se rend compte que leurs priorités ne sont pas les mêmes que ses comparses occidentaux. Alors que ceux-ci s’activent à développer des tests diagnostiques ou autres projets de bio-technologie, « pour nous, la priorité était d’intervenir sur le social », retrace Obialunanma Nnaobi, co-fondatrice et présidente de l’organisation. A travers l’Afrique, les mesures de confinement sont à l’œuvre depuis mi-mars. Pour le seul Nigéria, plus de 39 millions d’élèves sont touchés, explique la directrice.
Pour assurer la continuité de l’éducation, le gouvernement fédéral et les états ont mis en place des solutions, mais celles-ci s’appuient sur des cours à la télé ou à la radio. « Si vous avez quatre enfants dans des niveaux différents et qu’ils doivent se partager le même poste, cela ne laisse pas beaucoup de temps », expose Obialunanma. Volt School s’appuie sur Internet et les appareils mobiles : téléphones portables, tablettes, ordinateurs. Si les enfants eux mêmes n’en n’ont pas, ils en trouveront plus aisément auprès de leurs familles et entourage. « Ce n’est pas une solution unique, on ne pas régler les problèmes de toute la société en une initiative. »
Après s’être concentré sur les cours de STEM (acronyme de science, technology, engineering, and mathematics), le cœur d’action de l’école Volt (Vilsquare a auparavant mis au point un microscope à bas coût), l’organisation a développé, à la demande des parents, des cours d’anglais, géographie, basés sur le programme du Conseil des examens de l’Afrique de l’Ouest. Le projet est disponible aux élèves des cinq pays anglophones de l’Afrique de l’Ouest et est actuellement en Béta Test. A terme, il a vocation à se pérenniser.
« Vilsquare reçu beaucoup de soutien de la part de JOGL », se réjouit Obialunanma Nnaobi. L’organisation a notamment reçu une bourse de 1500 euros pour son projet et continue des échanges étroits avec la communauté.
Le site Internet de la Volt School
#ProjectLockdown : observatoire des droits sous confinement
« A quoi ressemble le monde sous confinement ? Comment sont gérées nos libertés d’aller et venir, de nous rassembler, de traverses les frontières ? Les lois sont elles claires et limitées dans le temps ? » Au début du confinement Jean François Quéralt, fondateur de The IO Foundation, organisation qui milite pour une meilleure défense des droits numériques, décide de mesurer les restrictions mises en place et leurs temporalités.
Dans un projet d’abord lauréat du hackathon UE versus Virus, il développe une carte pour monitorer les «interventions non pharmaceutiques » : la possibilité d’aller au travail, à des manifestations religieuses, l’ouverture des écoles, la possibilité de voyager… plus de 20 critères pris en compte pour mesurer l’ampleur des restrictions (aucune, partielle, totale ou non claire). Une tâche chronophage puisque lui et son équipe doivent fouiller dans les documentations gouvernementales des territoires visés. Forte de 50 membres dans le monde entier, dont le Canada, l’Inde, l’Espagne, le Mexique ou encore la Malaisie, où est installé Jean François Quéralt, l’équipe du projet peut ainsi quadriller la planète. L’équipe est cependant toujours à la recherche de volontaires pour le territoire français (si vous êtes intéressés, vous pouvez contacter les membres du projet ici, ou là si vous représentez une organisation).
Jean François prévoit désormais de pérenniser la plateforme pour l’après Covid en intégrant des données comme les applications de traçage, la présence de cartes d’identité, les lois de protection de données ou la présence militaire.
#Podcast : Parole de (dé)confiné.es, portraits subjectifs
L’idée a germé pendant Nuit Debout. A l’époque, Rafaël Carosi, musicien et enseignant, enregistre les acteurs de cette révolution nocturnes et spontanée. Il recueille beaucoup de témoignages sans savoir trop quoi en faire. Déjà, l’idée de mélanger les rôles de musicien et de journaliste lui fait de l’œil.
Quatre ans plus tard, la pandémie se déclare et Raphaël relance son projet. Il démarche d’abord son cercle proche, la famille, puis peu à peu ouvre à d’autres voix – il enregistre en ce moment ATD Quart Monde, l’association de lutte contre la pauvreté. Il aimerait aussi interviewer la Quadrature du Net et faire témoigner des makers (si des lecteurs sont volontaires, vous pouvez le joindre ici).
Raphaël Carosi n’aspire pas à une représentation globale d’une société en déconfinement. « On part de quelque part, il faut accepter une certaine subjectivité », reconnait-il, citant Vies minuscules, de Pierre Michon, œuvre dans lequel l’auteur raconte les vies de personnes qu’il a côtoyé ou rencontré et trace en creux son autobiographie.
Pourquoi avoir rejoint JOGL ?, lui demande-t-on. « Je suis sensible à ce genre d’initiative », répond l’artiste. Il a ainsi créé Listen Ensemble, plateforme regroupant interprètes, chercheurs et artistes pour défendre un processus de création collaboratif, éloigné des modèles parfois « pyramidaux et institutionnels où les instrumentistes sont au service d’une pensée », dit-il. JOGL lui permet donc d’ouvrir le champs des possibles, même si, reconnait-il, « il n’est pas facile en tant qu’artiste de s‘intégrer à des équipes de scientifiques ».
Écouter les podcasts Paroles de (dé)confiné.es
#Trad19 : traducteur universel de poche
Ceux qui sont allés chez le médecin dans un pays étranger le savent : pas facile d’expliquer ce qui ne va pas. « Même avec un français courant, c’est un vocabulaire médical qui peut nous échapper », pose Marie Kuter, consultante en UX et porteuse du projet #Trad19. Toux sèche ou grasse, antécédents médicaux, problèmes cardiovasculaires… des informations importantes qu’il convient de ne pas perdre au cours de la traduction.
Pour répondre à ces besoins, essentiels notamment au sein des communautés en migration, Marie Kuter a développé un langage visuel, donc universel, à partir des outils de diagnostics du gouvernement français. En plus des illustrations, elle propose la traduction en huit langues de 40 termes médicaux correspondants aux symptômes du Covid-19, mises au point par des volontaires du réseaux Yellow Chatters, une communauté d’échange autour des langages, dont la langue cible est la langue maternelle.
Partie sur une idée de fiches imprimables, elle a finalement opté pour une application, plus accessible à tous, estime-t-elle. L’application n’est pas encore disponible mais pourra être pérennisée au-delà du Covid19.
#Safe&Sound : réponse d’urgence aux violence domestiques
Pour répondre à la hausse de violences domestiques durant le confinement, l’équipe de Kay Nag, ingénieur en informatique basé en Suède, développe un appareil pour faciliter l’alerte des proches en cas de danger. L’objet de la taille d’un porte clé agit comme un bouton et est relié à une application où l’utilisateur aura préalablement entré les contacts d’urgence et un message type qui sera automatiquement envoyé. Le bouton déclenche également un enregistrement de l’environnement sonore, pouvant servir de preuve le cas échéant. Deux niveaux d’alerte sont envisagés : la victime se sent harcelée sans être sûre d’être en situation de danger ou le danger est immédiat.
L’équipe a découvert la plateforme JOGL durant le hackathon européen UE versus Virus et a reçu du programme une bourse de 2800 euros afin de développer l’aspect hardware du projet. « Pour nous c’était parfait puisque nous voulions éviter d’avoir recours aux capital-risqueurs (venture capitalist ou VC), notamment pour conserver notre capacité de décision. »
L’équipe est actuellement en discussion avec des organisations locales de défense des personnes victimes de violences domestiques et l’appareil est en bêta-test auprès de 50 utilisateurs. Kay espère commercialiser les premières versions d’ici la fin de l’été, à un prix entre 35 (30,8 euros) et 50 dollars (44 euros), selon les fonctionnalités. Les plans seront disponibles en open-source.
#AccuroLab : détecteur de fake news
Le projet de Steve Tchuenté, étudiant en MBA à HEC Paris, est né au sein du hackathon du MIT : Africa Takes on Covid-19, tenu début mai. Avec son équipe, Tarik Fathallah, étudiant à la Colin Powell School for Civic and Global Leadership et Marilyn Osei, designer produit et stratégiste UX, ils s’attaquent aux fake news échangées sur les réseaux sociaux et utilisent WhatsApp comme médium, « le média de communication le plus utilisé en Afrique », fait-il savoir. Côté utilisateur, la solution est simple : AccuroLab se présente sous la forme d’un compte WhatsApp que l’on ajoute à ses contacts sans devoir fournir d’information d’identification ou de numéro de téléphone et à qui l’on posent ses questions sur le Covid-19, des statistiques aux modes de transmission.
Pour vérifier les faits soumis, l’équipe d’AccuroLab s’appuie sur des sources de santé publique comme l’Organisation mondiale de la santé, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis ou encore l’Institut Pasteur en France, synthétise et vulgarise les informations afin d’éliminer le jargon et oriente l’utilisateur vers des sources fiables pour trouver plus d’informations. L’équipe prévoit également pour l’utilisateur la possibilité de transférer un long texte pour vérifier les chaines diffusées via réseaux sociaux. Ils travaillent également à la mise en place d’une prise en main humaine dans les cas où l’algorithme ne serait pas en mesure d’apporter une réponse suffisante.
« La principale différence avec les vérifications des fake news par les médias comme l’AFP par exemple est la réactivité avec laquelle on va gérer l’information, détaille Steve Tchuenté. Il faut parfois des heures, voire des jours ou des semaines pour qu’un média vérifie les informations. Nous voulons construire une base de connaissances au fur et à mesure et apporter une réponse instantanée à l’utilisateur, sur la base d’un ensemble de sujets prédéterminés. Pour des sujets non recherchés en amont, nous voulons réduire ce temps entre la remonté de la requête de l’utilisateur et notre retour à partir des sources disponibles. C’est une autre dynamique. » A terme, l’équipe espère intégrer une entité journalistique à leur projet. La solution est pour l’instant motivée par son impact social dans le contexte de coronavirus, explique Steve Tchuenté, mais il espère la rendre profitable grâce notamment à une offre B2C et B2B.
AccuroLab a reçu une mini-bourse de la part de JOGL et a terminé son bêta-test auprès de 30 utilisateurs dans sept pays différents en Europe, Afrique et aux États-Unis. L’équipe travaille avec l’accélérateur Creative Destruction Lab, au Canada, et se focalise sur le développement et les retours utilisateurs pour un lancement dans les prochaines semaines.
Retrouvez ces projets sur la plateforme Just One Giant Lab.