Des usines trop petites, George Orwell, les tricoteuses et beaucoup de PLA : l’urgence de faire à Bordeaux
Publié le 17 avril 2020 par Julien Goret
Le Covid-19 a déboulé et balayé tous nos projets : ateliers expos, événements. Quelques jours d’incertitude et rapidement, rideau. Et maintenant, on fait quoi ?
Correspondance,
La « guerre sanitaire déclarée » est un concept nouveau et paradoxal, mais pas tout à fait dénué de pertinence : on se rue sur les magasins dans l’attente d’un « lockdown » plus strict encore, l’Etat rationne les déplacements, appelle à la discipline, et admet que tout n’est pas prêt et que les masques, visières, surblouses… et bien on ne les a pas, il faudra les faire ou les attendre.
Et ça fait tilt chez les couturières, les imprimeurs 3D, les fabricants divers tous plus ou moins assignés à résidence et d’autant plus motivés qu’ils tournent déjà en rond.
On est saisis par l’urgence de faire pour rester sujets de la situation autant que pour la résoudre. La fab-city est mise en acte en quelques jours. Par nécessité punk tout le monde s’appelle. Il y a d’une part ceux qui produisent tout de suite et de l’autre ceux qui testent, coordonnent et pensent homologation.
La situation est à la fois urgente et à durée indéterminée. Faut-il garder le PLA pour les respirateurs qu’on nous demandera plus tard ? Faut-il produire ?
La connaissance s’agrège et s’organise sur Discord et ailleurs, ceux qui ont fait le choix de planifier, de répondre aux appels à projet sont une ressource pour la production. En montant les dossiers ils documentent, « versionnisent », et la production est perfectionnée en temps réel à partir de leurs recherches.
Les Fablabs produisent, comme Cap Science, Ben, coh@abit et les autres, les makers se structurent avec beaucoup de bonne volonté, le shop d’impression 3D vide frénétiquement son stock et produit tout ce qu’il peut. On se rappelle, on se dit qu’il faut mutualiser, structurer, on fait deux trois tableurs et on retourne produire sans vraiment les remplir.
De mon côté, j’ai sous le même toit un hackerspace, des tonnes de matériaux et un quartier plein de bricoleurs. Hippo, Un membre du L@bx Hackerspace dessine un modèle de visière et bosse sur Entraide-Makers Covid 19 à le développer. Je déniche du plastique ( les chutes des fenêtre du dôme géodésique qui nous sert de restaurant) et ledit membre du hackerspace me prête sa découpeuse laser.
View this post on InstagramVisières à la découpe laser au Platau Claveau. #makers #covid19fr #coronavirus #visieresolidaire
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Opérateur d’urgence
Je deviens donc opérateur machine, tous les matins ou presque depuis 10 jours, je pointe à l’aube pour découper, casqué et masqué.
Ma machine est installée à Platau, un lieu dédié à l’agriculture urbaine. On y trouve un bunker reconverti en cave à vin et à champignons, diverses cahutes en parpaings et une serre DIY. Il n’y a pas foule, ni dans les jardins, ni sur le pont autoroutier qui surplombe le site.
View this post on InstagramLivraisons de visières made in Platau Claveau et son cadre bucolique bien calme en cette période
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En fin de matinée mon estafette-service civique vient à vélo emporter la production du jour, qui sera bouillie et assemblé par une autre équipe elle aussi masquée. Puis elle sera envoyée dans les maisons de retraite, les cabinets de médecins, d’infirmières et dans les centres sociaux.
Pendant ce temps les couturières sont sur les masques AFNOR, on recherche activement élastiques, rhodoïde et le dernier centimètre carré de PMMA disponible.
Cuisine PMMA, visière moustache produite au Garage Moderne :
Guerre bricolée
Si c’est une guerre, c’est une guerre bricolée, la guerre d’Espagne d’Orwell et Malraux, menée dans l’urgence en transformant l’existant. C’est Orwell avec son fusil de 1860 graissé à l’huile d’olive et ses 5 cartouches mexicaines. C’est Malraux qui décrit l’aviation républicaine des débuts, faite d’avions civils saisis dont on a transformé les toilettes en lance-bombe.
Plus tard on sera peut-être remplacés par une organisation immense et magnifique, qui produira 1000 fois mieux et plus vite, mais pour l’instant les besoins sont là. La situation donne raison au mouvement maker qui voit se réaliser sa prophétie DIY, reformulée depuis des années à longueur d’appels à projet, et dont la pertinence n’est désormais plus à démontrer.
Biblio : George Orwell, Hommage à la Catalogne (10/18) ; L’espoir, André Malraux (Gallimard Folio)
Julien Goret travaille au Garage Moderne à Bordeaux et organise parfois des Open Bidouille Camps avec République Bidouille.
En savoir plus sur l’Opération Visières Modernes.