Le collectif FabriCommuns et la plateforme de fabrication distribuée MakerNet s’unissent pour mettre en relation les personnels exposés, les aidants, fabricants et transporteurs locaux bénévoles avec Fabricommuns.Org. Rencontre avec Pierre-Alexis Ciavaldini, fondateur de MakerNet.
Makery : Comment en êtes-vous venu à créer une plateforme pour répondre aux besoins des personnels exposés au Covid-19 ?
Pierre-Alexis Ciavaldini : Le collectif FabriCommuns est né sur la plateforme JOGL grâce auquel il s’est rapproché de Wolfox (UI/UX), et d’Entraide Makers – Covid, le groupe de makers solidaires initié par Monsieur Bidouille. Portés par Co-dev et soutenus par le RFFLabs et France Tiers-Lieux, les membres du collectif avaient l’idée d’un projet très proche de notre plateforme de fabrication distribuée MakerNet. Vivien Roussel du collectif thr34d5 et fab manager à l’Ecole des Ponts les a orientés vers moi. Ils m’ont contacté pour travailler à partir de l’API de MakerNet plutôt que de tout construire depuis le départ. La plateforme est hébergée sur MakerNet pour mettre à profit les fonctions existantes de documentation des projets et gestion des commandes. Elle a pour but de mettre en relation les demandes des personnels exposés avec les capacités de production, en intégrant à terme une fonctionnalité de logistique de manière à organiser le transport directement sur la plateforme. Nous cherchons aussi à authentifier les demandes pour confirmer qu’elles viennent de personnes légitimes et s’assurer qu’il n’y ait pas de dérives. La base de la nouvelle plateforme a été conçue en un peu plus d’une semaine. Parce qu’elle appartient à la communauté et que nous voulons qu’elle s’adapte aux besoins des utilisateurs, nous avons choisi d’ajouter au fil de l’eau des fonctionnalités au plus près des retours exprimés et ainsi permettre son amélioration tout au long de la crise, que ce soit pour la France ou pour tous les lieux où la crise pourrait faire irruption.
Comment fonctionne-t-elle concrètement ?
La plateforme repose sur la solidarité des bénévoles. Il n’y a pas de paiements engagés. Le personnel de première ligne crée une demande de matériel à partir de notre liste de produits référencés. Les demandes apparaissent ensuite dans une liste accessible aux fabricants bénévoles. Le fabricant peut accepter lui-même la demande et informer le demandeur du statut de fabrication. Nous sommes en train d’implémenter la fonction de mise en relation avec un transporteur solidaire qui prendrait en charge la commande une fois fabriquée. Nous allons aussi y associer un système de donations, y compris en nature, pour répondre aux besoins de matières premières ou de services. Nous sommes prêts à nous synchroniser avec les autres initiatives et mettre à disposition notre API. En ce sens, le RFFLabs nous soutient et peut aussi fédérer l’ensemble des makers. Il a une autorité qui fait foi et il peut devenir l’interlocuteur unique dont l’État a besoin.
Peux-tu nous expliquer les grands principes de MakerNet ?
MakerNet est un projet que j’ai commencé en 2015. Il a fallu beaucoup d’itérations avant d’obtenir la version actuelle qui est en ligne depuis un an environ. Nous essayons d’identifier les points nécessaires pour construire un écosystème de fabrication distribuée complet. C’est pourquoi notre plateforme fonctionne actuellement avec trois profils d’entrée.
Le premier est le profil d’entrée des designers, ou ce qu’on appelle les « makers » en France. Ce sont des gens qui inventent, conçoivent le design, documentent. Souvent, dans notre pays, les makers sont aussi les fabricants de leur projet et un des buts de MakerNet est de leur donner la possibilité de changer d’échelle, sans qu’ils aient à entreprendre eux-mêmes toute la fabrication. C’est pour ces diverses raisons qu’on les qualifie plutôt de « designers ». Un designer pourra publier un projet (en open source ou non) et s’appuyer sur la distribution des tâches pour itérer son projet, faire des tests, ou le produire partout dans le monde, avec des fabricants locaux, au plus proche des clients. Cela répond à l’idée de fabrication distribuée mondiale telle qu’on peut l’entendre dans le mouvement des fab cities.
Le second point d’entrée est celui des fabricants, un autre versant des makers. MakerNet jouerait le rôle d’un Uber alternatif et humaniste pour la fabrication de produits de grande consommation ou de niche. Les fabricants pourront recevoir des notifications de commande en rapport avec leurs compétences et les machines qu’ils ont à disposition. Par ce moyen très facile d’accepter des commandes géolocalisées, on redynamise le travail local, l’emploi. D’autant que nous sommes dans un monde où l’automatisation est croissante et où les savoir-faire se perdent. Je prends souvent comme exemple la fabrication d’électronique. Dans les années 1970, cette industrie était florissante en France. Mais, depuis, la fabrication a été en grande majorité délocalisée en Chine et les savoir-faire se sont perdus, dans la mesure où les procédés ont énormément évolué, passant des composants traversants aux composants montés en surface. Nous n’avons presque plus d’expertise dans ce domaine en France. Pour résoudre le problème que pose ce manque, MakerNet entend mettre à disposition la documentation des produits. Mais la plateforme ne représente pas simplement un dépôt de documentation, que les utilisateurs devraient ensuite utiliser. Sur MakerNet, la connaissance est documentée correctement, en étapes, par paliers de difficulté et de durée qui permettent de diviser le travail de manière intelligente, entre différents corps de métiers, différentes qualités attendues, etc. C’est ce type de système qui nous donne véritablement la possibilité d’organiser la production distribuée à grande échelle.
Le troisième point d’entrée sont les clients qui veulent commander des objets du catalogue qui seront fabriqués localement. L’idée est de proposer un business model pour l’open-hardware qui permettra à des projets ouverts de continuer à évoluer sur le long terme, rémunérant leurs créateurs et contributeurs pour cette tâche.
On voit clairement aujourd’hui, avec la rupture des chaînes logistiques et de production, que la fabrication distribuée peut aider à répondre à la pénurie de matériel médical. Que t’évoque la situation actuelle ?
Depuis cinq ans que je parle de fabrication distribuée, nos interlocuteurs n’ont pas toujours saisi l’importance d’un tel système. Nous n’avons à ce jour aucun investisseur, car on juge notre plateforme trop risquée, trop éloignée du fonctionnement actuel de la production/consommation mondialisée. Avec la situation d’urgence du Covid-19, d’un coup, les institutions, les gouvernements, les entreprises, tout le monde comprend que c’est utile, efficace et bénéfique. Nous sommes mis face à la nécessité d’un système résilient s’appuyant sur les capacités locales. Je remercie Tomas Diez d’avoir initié la logique Fab City et d’avoir su trouver les mots pour inspirer beaucoup de gens, car cela semble aujourd’hui devenir le modèle que tout le monde regarde. Depuis quinze jours, on n’entend plus parler que de fabrication distribuée.
Participez-vous à des réseaux de plateformes ou coopératives ?
Nous sommes membres fondateurs du consortium Internet of Production (IoP). Il réunit notamment Wikifactory, makernet.work, un autre MakerNet orienté sur la gestion de fablabs, que pour notre part nous ne couvrons pas encore. Au sein d’IoP, nous travaillons sur un format standard de documentation de projet, qui s’appelle Open Know-How. L’objectif consiste à élaborer un fichier de description standard de tout ce qu’il y a dans un produit : documentation, normes, fichiers de fabrication, équipe… MakerNet a mis en place un formulaire pour que les designers de produits puissent créer ces « manifestes » Open Know-How. Dans MakerNet, nous allons répertorier les projets au format Open Know-How, pour qu’ils soient compatibles avec d’autres plateformes IoP.
L’initiative IoP a été lancée par Field Ready. Cette ONG conçoit des objets utiles là où ils sont nécessaires, pour résoudre les problèmes localement, et transmet les compétences aux autres grâce à la formation et au renforcement des capacités. Ses membres interviennent beaucoup dans les pays du Sud. Ils conçoivent des objets notamment pour la santé, comme des savons contenant une sorte de cadeau Kinder surprise pour les enfants, ou encore des seaux dont les bords intérieurs sont arrondis pour éviter la stagnation d’eau porteuse de germes.
Finalement, MakerNet, à travers la mise à disposition de sa technologie pour FabriCommuns, participe d’un grand mouvement : celui qui consiste à penser aujourd’hui la crise du Covid-19 avec les outils dont nous aurons besoin demain pour développer une société résiliente.
Les plateformes FabriCommuns et MakerNet.