Alors que le premier tour des Municipales 2020 approche, Makery a voulu savoir si l’indicateur Fab City Index qui mesure le degré d’autonomie productive des villes pouvait éclairer le vote citoyen. Produit par le cabinet Utopies d’accompagnement en transition écologique et commandée par l’association Fab City Grand Paris, l’indicateur identifie les bons et les mauvais élèves sur le territoire français. Makery a interrogé plusieurs spécialistes sur les aspects stratégiques que nourrit l’index.
En 2011 au cours de la FAB7 de Lima, l’équipe municipale de Barcelone fraîchement élue, participe au lancement d’un concept de Fab City initié par l’Institut d’Architecture Avancée de Catalogne et son Fablab Barcelona. L’idée est de créer un réseau de laboratoires de fabrication publics et privés accessibles aux habitants, visant à développer la culture des « makers » et des fabriques urbaines. En 2014, Tony Vives le maire de Barcelone initie le Fab City Challenge. Il s’agit de faire en sorte qu’à l’horizon de 2054 les villes participantes soient parvenues à produire tout ce qu’elles consomment. Et réduire ainsi l’impact carbone des villes. L’élection d’Ada Colau et de la liste Barcelone en Commun l’année suivante vient appuyer et renforcer le projet. En 2016 Paris adhère à l’initiative et en 2018 accueille le Fab City Summit au cours duquel un Manifeste est signé en présence notamment d’Ada Colau et Anne Hidalgo. Aujourd’hui 28 villes sont rassemblées sous l’égide d’une fondation Fab City, dont 6 villes et régions françaises (Paris, Brest, Rennes, Toulouse, la Région Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes).
A la veille des élections municipales, et au moment où la crise du « Coronavirus » accélère la prise de conscience sur la situation de dépendance de nos territoires, qu’en est-il de la diffusion de ce concept auprès des acteurs territoriaux et des élus ? Le concept de la Fab City a-t-il pris dans les esprits, et si non, quelles en sont les raisons ?
Le Fab City Index, une photographie édifiante de l’autonomie productive des territoires
En 2018 l’Association Fab City Grand Paris commande une étude au think tank Utopies. Afin de contribuer à la réflexion sur le Fab City Challenge, son objectif est de réaliser une photographie de l’autonomie productive des villes et aires urbaines françaises. Sous la direction d’Arnaud Florentin, économiste de formation, Utopies va s’appuyer le « Local Shift ®», son propre outil de modélisation du métabolisme des territoires. Il permet de mesurer « un peu comme dans un corps humain, ce qui entre et sort, ce qu’il se passe à l’intérieur » explique Arnaud Florentin. La note de proposition débouche sur le Fab City Index, un calculateur et une méthodologie permettant d’évaluer la capacité des villes à fabriquer ce qu’elles consomment, et ainsi identifier celles qui performent et sous-performent, leurs marges de progression, les grandes tendances actuelles de la micro-fabrication urbaine. « L’objectif premier est de faire un point sur les villes fabricantes afin d’objectiver le plus possible des données, qui à ce jour sont mal connues » explique Arnaud Florentin.
L’outil de modélisation s’appuie sur les données de consommation et de l’INSEE portant sur 11 millions d’établissements français et couvre tous les secteurs d’activités. Le procédé est simple : « On prend un plat cuisiné, un meuble, un bien consommé sur un territoire, et on va regarder la part de cette marchandise produite sur place» explique Arnaud Florentin. En comparant les résultats avec ceux obtenus dans un projet similaire à Washington, Utopies estime que sa marge d’erreur est de 5%, et une première donnée édifiante en ressort : la capacité productive actuelle des villes françaises serait de 3% en moyenne et varierait de 1 à 9%. Autrement dit à ce jour, 97% de ce que nous consommons serait produit à l’extérieur et à 6700 kilomètres de distance en moyenne. L’étude rappelle qu’en 1970 une entreprise française qui produisait 100 euros générait 103 euros dans sa chaîne de fournisseurs nationaux. Ce taux est tombé à 59 euros en 2015. Cela signifie que 50% de la production a été délocalisée à l’étranger entre temps. En quelques décennies à peine, nos villes sont devenues ultra-dépendantes.
Pour Arnaud Florentin « Notre économie est très centralisée. Dans l’ère pré-industrielle nous avions une économie distribuée, un peu circulaire. Sont arrivés la première et la deuxième révolution industrielle, qui ont abouti à centraliser les activités et à une spécialisation des territoires. Puis dans l’économie mondialisée les coûts de transaction ont généré plus de concentration industrielle (pour internaliser ces coûts). A ce jour les grandes villes françaises sont devenues moins productives que les grandes villes américaines. Et quand on ne sait plus produire sur son territoire, cela pose plein de problèmes. Autour de la question des villes fabricantes il y a donc un premier enjeu économique et un second environnemental et résilient. »
La crise sanitaire liée à la propagation du « Coronavirus » vient de mettre en exergue la forte dépendance de nos industries, notamment pharmaceutiques et automobiles, à la Chine. S’additionnant avec la crise climatique et environnementale, avec les risques systémiques engendrés par la financiarisation et la mondialisation de l’économie, ces phénomènes forceraient notre génération à entrer dans une improbable période de « démondialisation ». Pour Arnaud Florentin « La ville fabricante ce n’est pas de l’idéologie. Nous ne faisons pas de localisme. Aujourd’hui il y a d’énormes enjeux environnementaux. Quand on regarde l’empreinte carbone des villes, elle est composée d’énergie fossile, mais aussi d’une empreinte importée (émissions de CO2 des pays en voie de développement qui produisent ce que nous consommons). Dans les années qui viennent la crise climatique va probablement accroitre les ruptures d’approvisionnement. La relocalisation d’une partie des activités productives est une nécessité de résilience. »
Démondialiser est aussi complexe que sortir du nucléaire, de l’industrie de l’incinération des déchets, de la société du tout voiture, tant ces modèles structurent conditionnent nos sociétés. Il s’agirait d’un changement de système d’exploitation qui nécessairement prendra du temps. Aussi, le premier objectif du Fab City Index publié dès 2018 est de frapper l’imagination, mais le second de donner des clés pour réaliser des premiers pas dans cette direction. « L’idée est de donner des objectifs raisonnables et non pas délirants. 10-15% d’autonomie pour une aire urbaine serait un objectif raisonnable. En effet viser 100% d’autonomie alimentaire par exemple sur un territoire artificialisé n’est pas crédible et démobilise » explique Arnaud Florentin. « A ce jour l’autonomie alimentaire d’un territoire repose sur l’idée qu’on l’on puisse aller du champ à l’assiette. Atteindre cet objectif suppose une activité locale agricole suffisamment diversifiée, mais aussi une très large palette de transformation alimentaire (car 95% de notre alimentation est transformée). Compte-tenu de ces deux conditions et dans dans une économie ouverte avec d’importantes spécialisations territoriales, il parait très difficile de faire mieux que 15% » poursuit Arnaud Florentin.
Pour étayer le sujet l’étude met en avant les bons et les mauvais élèves au sein du premier classement Fab City Index en France. Le lecteur sera peut-être surpris de voir Paris en tête. La capitale a en effet le plus fort taux de capacité productive en raison de sa concentration d’activités. Mais l’indice calcule aussi le rapport entre la production locale et la densité de population. A ce jeu, ce sont des villes moyennes comme Cholet, Saint-Etienne, Valence, Bourg-en-Bresse qui présentent des ratios bien supérieurs à la moyenne. A l’opposé des villes comme Nice, Montpellier ainsi qu’un grand nombre de villes du quart Nord-est et des grands bassins industriels historiques notamment miniers qui ne figurent pas dans le Top 50. Certaines villes portuaires comme Brest, Dunkerque ou le Havre sont aussi mal classées.
En ce qui concerne Cholet, l’étude explique que la ville dispose d’un fleuron industriel, de PME, de jeunes pousses et entreprises patrimoniales avec 142 PME fabricantes, et accueille une grande variété d’activités manufacturières. Cholet se retrouve dans le Top 5 en métallurgie, autres biens manufacturés, textile et plasturgie. L’explication de cette particularité nous est en partie donnée par Jacques Jeannot de l’Université d’Angers dans un article dédié à l’histoire industrielle de la ville (1). « En moins d’un demi-siècle, malgré le handicap de l’enclavement – mais s’agit-il bien d’un handicap ? sans l’enclavement, y aurait-il eu un « isolât » choletais et un esprit d’entreprise choletais ? – la petite ville de 25 000 habitants, rurale, manufacturière et mono-industrielle, s’est muée en une ville moyenne de 55 000 habitants, moderne, poly-industrielle et poly- fonctionnelle, donc plus équilibrée, ce qui l’a relativement protégée des crises sectorielles. Parallèlement s’est effectuée une mutation sociologique, marquée par une sensible diminution du pourcentage des ouvriers – passé de 49 % en 1954 à 46,2 % en 1975 et 40,8 % en 1982 – et une forte augmentation du pourcentage des « cols blancs », aussi bien employés – de 14,7 % en 1954 à 26,6 % en 1982 – que cadres moyens – de 5,6 % en 1954 à 17,8 % en 1982. Une fois de plus au cours de son histoire, Cholet a fait la preuve de son dynamisme et de sa remarquable capacité d’adaptation, mais, en se rapprochant de la ville moyenne type, l’ancienne « capitale du mouchoir » a aussi perdu une part de ce qui faisait son originalité ». Même si l’analyse mérite d’être davantage étayée, ce récit d’un rebond industriel choletais coïncide avec des études d’Utopies en ce qui concerne notamment les territoires enclavés. « Nous avons travaillé sur des îles, comme l’Île Maurice. Cette économie est très diversifiée. Car il y a des enjeux importants de recherche d’autonomie, de trouver des solutions sur le territoire » explique Arnaud Florentin.
L’écologie industrielle et l’économie circulaire, moteurs de la relocalisation ?
Si l’étude prend en compte les données de plus de 257 secteurs activités, réparties dans 12 macro-secteurs, et ne cherche pas à isoler les spécificités dans un premier temps, c’est parce que pour le cabinet Utopies, la clé de l’autonomie productive repose avant tout sur la diversification des secteurs d’activité. « Si on veut faire une ville fabricante, on est obligé de travailler tous les secteurs à la fois. La vision de la ville fabricante c’est juste une diversification massive qui ne cherche pas à prioriser. » précise Arnaud Florentin. Pour ce dernier il est ainsi préférable d’avoir 10 entreprises de 10 salariés dans des secteurs différents, que 100 dans une même entreprise. Mais la diversification suppose-t-elle de tout relocaliser ? Paris et Dijon devront-ils à l’avenir fabriquer leurs propres machines à laver ? « Il y a des échelles légitimes pour faire des choses en ville et au niveau régional. La question de la machine à laver est intéressante. La question est de savoir : est-ce qu’il faut les produire ou les récupérer et travailler sur l’économie circulaire ? La question est de travailler des boucles régionales en prenant en compte qu’il y a des centres de fabrication dans le monde », répond Arnaud Florentin.
L’étude met ensuite en avant un indice déterminant : l’effet multiplicateur local. Ce facteur mesure la capacité à faire circuler durablement les richesses sur un territoire. Aujourd’hui un tiers de la prospérité des territoires dépend de cet effet multiplicateur (les 2/3 restants sont dus au rayonnement du territoire : exportations, tourisme, nouveaux résidents). « Par exemple, précise le directeur d’Utopies, Nantes est une aire urbaine qui attire les richesses, mais elle a aussi un effet multiplicateur important. Chaque année, la performance du circuit économique local nantais fait gagner 2 milliards d’euros de production (par rapport à un territoire comparable). Aussi l’effet multiplicateur est quelque chose qui devrait être connu des territoires. Il est nécessaire pour cela d’avoir une ‘culture du circuit local’, qui passe par une reconnaissance de la richesse qui peut venir de l’intérieur. »
Au-delà des constats édifiants sur la dépendance des territoires, des nécessités de relocaliser pour des raisons d’impact environnemental, un tel processus nécessite tout simplement de changer de modèle industriel et de politique économique locale. Les concepts clés de cette transition de modèle sont à ce jour ceux de : l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité et de l’écologie industrielle. L’INEC (Institut Nationale de l’Economie Circulaire) est un think tank. Il accompagne la transition des territoires notamment à travers des plaidoyers pour faire évoluer la réglementation. « L’économie circulaire ne se résume pas à la gestion des déchets » précise Adrian Deboutière, responsable des territoires de l’INEC, « Il est nécessaire en premier lieu de réduire sa quantité de déchets et pour cela nous travaillons sur toutes les étapes en amont : l’éco-conception, l’écologie industrielle, l’économie de fonctionnalité, la consommation responsable et l’allongement de la durée de vie des produits. Dans cette logique, la réflexion sur les Fab City nous intéresse fortement, face à la délocalisation des savoir-faire, des capacités de production, de réparation et les problèmes d’obsolescence programmée que l’on rencontre dans l’économie traditionnelle et qui implique une trop forte consommation de ressources. »
L’économie circulaire est le bras armé des questions environnementales et du développement des circuits courts. L’écologie industrielle la complète et recherche quant à elle, une optimisation à l’échelle de groupes d’entreprises, de filières, de régions, et du système industriel dans son ensemble, inspiré au départ par le fonctionnement quasi-cyclique des écosystèmes naturels. « Le problème avec l’écologie industrielle c’est qu’il faut trouver des synergies. Avant de planifier, il faut regarder les acteurs que l’on a sur le territoire. C’est la référence que l’on a sur la Fab City Grand Paris. Cela peut être du partage de savoir-faire, de l’économie circulaire. Chaque territoire n’a pas les mêmes contenus. En ce sens, il faut travailler sur l’existant, comme cela peut se faire en Amérique du Nord ». Arnaud Florentin prend ainsi l’exemple des Foodwork(s) Canadien ou de Brooklyn, des incubateurs rassemblant plusieurs dizaines d’entrepreneurs du secteur alimentaire et développant notamment des Food Labs pour faire de la transformation alimentaire.
Dans ce nouveau modèle d’écologie industrielle le développement des micro-structures de production apparaît comme une clé de la Fab City de demain. Dans l’étude une liste et des monographies de bonnes pratiques sont proposées en matière de : micro-usine, usine collaborative, foodlab, micro-abattoir, micro-crémerie, micro-brasserie, micro-ferme, agriculture urbaine, ferme péri-urbaine, micro-unité de méthanisation, écosystème d’écologie industrielle, éco-déchetterie, micro-unité de recyclage de menuiserie ou de cartons, micro-centres de rénovation d’équipements ménagers, fablab upcycling textile, néo-artisanat, etc. « De la même manière, si nous voulons augmenter la production textile nous n’avons pas le choix que de soutenir des micro-entreprises. Je ne crois pas au redressement productif qui consiste à ramener les grandes entreprises. Il faut imaginer une micro-fabrication distribuée, en réseau, capable de s’adapter à l’offre, aux petites séries et à la personnalisation. Avec les micro-usines et les nouvelles technologies on revient d’une certaine manière à l’ère pré-industrielle, avec une couche de digital en plus. Je pense que c’est une culture nationale qu’il nous faut. Peut-être une sorte de Colbertisme 4.0. » s’interroge Arnaud Florentin.
Les collectivités locales face au Fab City Index et la relocalisation, l’exemple de Paris
Justement, où en sont les politiques publiques, notamment territoriales face à ces enjeux ? Le constat est-il partagé ? Le Fab City Index est-il parvenu aux oreilles des villes françaises, et notamment de la capitale ? Pour Arnaud Florentin « Il est important de montrer aux territoires que le ré-enracinement de la production est au cœur de leur stratégie. L’urgence est de prendre conscience de son circuit local et de son intérêt. Les chiffres de l’étude fonctionnent comme un électro-choc. On peut aller voir un maire et lui dire : votre demande intérieure est de 800 millions d’euros par an, et elle part ailleurs. La plupart des élus ne connaissent pas à ce jour leurs échanges locaux. »
Jean-Louis Missika adjoint à la Ville de Paris en charge notamment de l’urbanisme et du développement économique déclarait en 2018 à l’occasion du Fab City Summit de Paris : « Ce n’est pas une utopie. Le modèle de l’économie circulaire deviendra le modèle économique dominant dans les dix prochaines années ». La Ville de Paris, qui en quelques décennies a perdu ses fleurons industriels et son agriculture intramuros au profit d’un fort secteur tertiaire, affiche une volonté de relocaliser la production et de développer l’économie circulaire micro-industrielle en étant parfois eu égard aux préoccupations principales du territoire, en avance sur l’esprit du moment. Cécile Pelissier, la cheffe de cabinet de Jean-Louis Missika connaît bien l’étude d’Utopies. Nous lui avons demandé si elle constituait un outil appropriable pour la politique économique de la ville. « C’est un outil qui a été développé en interne. Honnêtement, je ne suis pas en mesure de l’évaluer. En revanche c’est un bon indicateur. Quand on voit que Paris arrive en tête du Fab City Index, cela interpelle et cela nous encourage à aller plus loin dans notre démarche » précise-t-elle. Adrian Deboutière de l’INEC abonde dans ce sens. « Ce qui manque un peu aujourd’hui, c’est que nous n’avons pas réellement de méthodologie complètement structurée au niveau national. Cela pourrait être intéressant qu’il y ait des travaux académiques qui visent à faciliter la compréhension de ce type d’approche pour les collectivités et territoires. Il faudrait aussi des modèles simplifiés car même dans l’économie circulaire l’outil retenu sur l’analyse du cycle de vie des objets est à ce jour insuffisant. »
L’existence du Fab City Index est une chose, son appropriation par les collectivités en est donc une autre. Pour Vincent Guimas de l’association Fab City Grand Paris « Nous avons travaillé avec la Métropole de Lyon et de Paris. A ce jour les gens qui ont ces sujets en main sont plus des politiques que des techniciens. Ce qui est intéressant avec l’application Fab City Index et l’indice, est d’analyser les grandes tendances et de chercher les acteurs qui peuvent manquer. Avec un tel outil on se rend compte que l’on a des industries différentes, mais complémentaires les unes des autres. Par exemple le monde de la crème glacée a des outils assez proches de ceux utilisés dans l’industrie pharmaceutique. Ce qui est important est de trouver ces occurrences. »
A ce jour, la réalité veut que les compétences économiques des territoires soient réparties entre l’Etat, les régions, les métropoles et les intercommunalités. Les villes déclinent leurs politiques économiques, industrielles, fiscales et environnementales avec plus ou moins de coordination et d’ingénierie adaptées, et dans un contexte où le moteur reste celui de la mondialisation et de la prévalence des résultats économiques. Pour Arnaud Florentin, « Aujourd’hui, les makers, dans les chambres de commerce, d’artisanat, d’agriculture, n’ont pas de reconnaissance institutionnelle. Les nouvelles formes de production sont hybrides, alors c’est assez peu accompagné. » Cécile Pelissier explique que la Ville de Paris travaille avec la Chambre de commerce et d’Industrie de Paris, la Chambre des métiers. « Nous échangeons régulièrement et travaillons de manière concertée. Sur la défense de l’artisanat et du petit commerce indépendant, nous sommes totalement alignés » précise t-elle.
Paris a engagé le plan ParisFabrik autour des petites fabriques et de l’économie circulaire. « Le plan a été lancé en 2016. Cela correspond au moment où Paris a rejoint le réseau international Fab City. Les grands secteurs sur lesquels nous pensons pouvoir agir sont le bâtiment, l’agro-alimentaire, le textile, l’ameublement et la production énergétique. Nous savons que nous n’avons pas vocation à introduire de l’industrie lourde en ville. L’idée est de voir comment s’appuyer sur l’existant. Faire en sorte que celles et ceux qui sont présents n’aient pas envie de partir. » Relocaliser dans une ville résidentielle est une gageure. Si Paris tente de redévelopper l’agriculture urbaine en utilisant les toits par exemple, les capitales denses manquent cruellement d’espace pour accueillir la nouvelle génération d’usines. La Ville de Paris a en ce sens chargé l’APUR de faire l’inventaire des activités de fabrication à Paris, notamment au sein des 37 hôtels industriels qui représentent 275 000 mètres carrés dédiés à la production. La ville a confié la gestion de certains d’entre-eux à ses bailleurs sociaux, comme la RIVP ou Paris Habitat, et se sert de ces outils pour permettre aux artisans, makers et industriels de développer leurs activités. Cécile Pelissier cite par exemple une entreprise qui fabrique des sièges pour l’aéronautique ou encore celle concevant les modèles en cire du musée Grévin, qui sont accueillies dans ces hôtels.
Ainsi, les défis de la relocalisation restent à ce jour d’une haute complexité pour les territoires. Au-delà de la nécessité d’une nouvelle vision économique et industrielle à partager avec l’ensemble des acteurs et usagers, ils nécessitent d’agir simultanément sur un grand nombre de leviers politiques. Celui de la commande publique est fréquemment cité. La Ville de Paris utilise des appels à projets comme Les Parisculteurs pour faire émerger de nouveaux acteurs, notamment ceux de la floriculture locale. Mais les outils de la commande publique ne sont pas à ce jour adaptés aux petites entreprises. La Ville de Paris sert 30 millions de repas par an, qui pourraient être fabriqués en circuits courts grâce aux producteurs locaux. Pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, des clauses ont été mises en place pour flécher 25% des marchés vers les TPE/PME et les acteurs de l’ESS. Par ailleurs Paris travaille au développement de partenariats avec des régions agricoles voisines comme l’Yonne. Mais les villes ne pourront relever seules ces défis d’adaptation de la commande publique, qui se joue surtout à l’échelle de la communauté européenne. « Avec des réseaux internationaux comme le réseau Fab City, nous pouvons peser davantage», explique Cécile Pelissier. Enfin les politiques territoriales permettant de relocaliser la production dépendent de diverses règlementations nationales restant à faire évoluer. Arnaud Florentin cite l’exemple des micro-abattoirs ambulants, comme il en existe en Suède. « Ils ont l’intérêt d’améliorer les conditions d’abattage, la traçabilité et la qualité. La question est qu’il y a des enjeux règlementaires, car à ce jour on ne peut pas transformer dans un camion. Seul l’abattage est autorisé. » De l’avis de ces interlocuteurs, la « ville fabricante » ne pourra se développer sans un changement de culture et de modèle industriel, allant de l’Etat aux territoires, en passant par un renouvellement des pratiques de partenariat public-privé, encore très en retard en France.
La « ville fabricante » de demain, première étape d’un équilibre local et global perdu
Le Fab City Index et les concepts de « ville fabricante », d’économie circulaire et d’écologie industrielle, apparaissent comme des tendances de fond à prendre en compte, face aux défis environnementaux et aux risques systémiques engendrés par la mondialisation et sa forte linéarité historique. Les villes rassemblées autour du Fab City Challenge se sont fixées pour objectif en 2014 d’atteindre une autonomie productive en 2054. Mais ce réseau porté par des élus visionnaires et des acteurs issus de la culture digitale et micro-industrielle, pourrait lui aussi pâtir d’une certaine forme de linéarité dans ses projections, et de manque de réalisme. L’esprit du Fab City Index a été de proposer une première génération d’instruments de mesure, une stratégie de montée en puissance progressive, et d’insister sur la diversification des activités, de l’effet démultiplicateur local. Dans cette optique, l’association Fab City Grand Paris, a de son côté proposé de réaligner son projet autour des objectifs du Plan Climat 2050 européen et du Plan Climat territorial, car la convergence entre les agendas publics et ceux des acteurs de la nouvelle écologie industrielle semble s’imposer.
Un tel sujet appelle une conclusion prospective. Nous vivons une époque où pour la première fois peut-être, nos générations devront défaire, consciemment, patiemment, dans des situations de chaos aussi, ce que les générations précédentes ont construit. Comme si l’humanité était en train de connaître un possible mouvement de balancier, allant de la culture du chasseur cueilleur mobile et léger à l’agriculteur-éleveur-consommateur enraciné dans le territoire, jusqu’à l’excès désormais. La mondialisation a en ce sens, à la fois été une période de « nomadisme débridé » et de développement d’une « sédentarité ultradépendante » en matière d’accès aux ressources et de capacité d’autoproduction. L’étape de démondialisation qui s’annonce, constituerait un défi culturel, politique et industriel périlleux, mais aussi une aventure historique pour les générations actuelles. Le fait que ce sujet ne semble pas encore au cœur des élections municipales de 2020, indique qu’il manquerait une « conscience et une détermination » commune autour de l’hypothèse d’un mode de vie post-mondialisé, non vécues comme une régression et un repli sur soi. S’il fallait se la figurer, imaginons une personne ayant trop penché d’un côté et risquant de tomber. En quoi serait-ce « une perte » ou un échec, qu’elle penche de l’autre côté pour rechercher un meilleur équilibre ? Plus que le seul souci de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de retrouver une indépendance productive raisonnée et raisonnable, la recherche de cet « équilibre » entre les traditions très anciennes du « vivre léger » et les sociétés sédentaires et dépendantes actuelles, pourrait être une clé de la crise environnementale et civilisationnelle. En ce sens, la relocalisation raisonnée de nos « libres capacités d’adaptation » sur les territoires, et de raccord de nos modes de vie avec les contingences du vivant, devrait en toute logique se retrouver au cœur des enjeux électoraux des années à venir. Et bien sûr pas que.
En attendant, afin de contribuer au débat sur les élections municipales, et étant donné que la compétence du développement économique est dévolue aux régions, nous avons voulu compléter cette enquête par un entretien avec Charles Fournier, le Vice-Président de la Région Centre-Val-De-Loire en charge de la transition, autour des conditions concrètes et in situ du basculement productif et culturel auquel nous invite le concept de « Ville Fabricante ».
Retrouvez l’étude « Fab City Index France : vers des villes plus fabricantes » sur le site du Think Tank Utopies.
Le prochain Fab City Summit se tiendra à Montréal du 31 juillet au 2 août 2020.
(1) Jacques Jeanneau, « La diversification des activités de Cholet au second vingtième siècle », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1990, pp. 419-430.