La Science Gallery de Londres explore et explose la binarité
Publié le 17 février 2020 par Rob La Frenais
La nouvelle exposition de la Science Gallery de Londres, « Genders – Shaping and Breaking the Binary », considère le genre « en relation avec la mode, les technologies de reproduction, le jeu et les transformations écologiques ». De cette manière, elle parvient au moins partiellement à rompre avec le ghetto de la communication scientifique dans sa relation aux arts plastiques et audiovisuels, comme pouvait le faire jusque là la Wellcome Collection de Londres.
Un peu tordue et répugnante, raisonnablement transgressive, la nouvelle exposition de la Science Gallery essaye tout de même d’attirer les scientifiques qui trainent non loin, dans le coin des labos du King’s College de Londres. Elle travaille même avec des scientifiques embarqués comme le neurobiologiste du développement Clemens Kiecher qui étudie « comment le cerveau se forme lorsque l’embryon émerge, et comment ce processus est guidé par des instructions de notre code génétique ». Cette entrée en matière est illustrée par « ‘on being allergic to onions’,…we read Susan Leigh Star » de Nina Wakeford, en référence à la science féministe de Star et Haraway, où le drag king H.P. Loveshaft, incarnant le rôle d’un scientifique fou, harangue l’audience potentielle en remerciant les scientifiques du King’s College d’avoir consacré un peu de leur temps précieux de recherche à la visite de l’exposition.
Reproducteurs prenez garde !
Imaginez des annonces comme « Attention Reproducers! » (Reproducteurs prenez garde !), « Be fruitful and multiply” (Soyez fructueux et multipliez vous), diffusées dans le hall d’accueil d’un hôpital ou d’un bâtiment scientifique alors que des équipes de nettoyage poussant de grandes « baby mops » sillonnent inlassablement les sols recouverts de jouets poupons, ne s’arrêtant guère que pour regarder leur téléphone. Le film Once U Care, You’re Future’ de Laura Yuile veut montrer « le perpétuel travail féminin de la mise au monde et du nettoyage des bébés » et « remet en question ce qui motive notre inclinaison à la reproduction biologique et à l’innovation technologique ».
Selon l’entrée anglaise de Wikipedia, « Le Twerk, comme de nombreuses traditions culturelles ou danses expressives associées à des groupes marginalisés, a subi une stigmatisation racisée et genrée associant ceux qui exécutent la danse – principalement des filles et des femmes de couleur – à un comportement déviant. » Avec Cosmic Ass, l’artiste Fannie Sosa et la cinéaste Marilou Poncin se réapproprient cette danse née dans les années 1990 dans la mouvance de la musique bounce de la Nouvelle-Orléans, d’une manière plutôt originale. Transformant le twerking en une forme vivifiante d’exercice de yoga de style new age, sur fond de cascades ou de Voie lactée, Fannie Sosa twerk et propose une narration qui explore d’autres formes comme la danse du ventre, le hula polynésien et les rituels de fertilité d’Afrique ou d’autres endroits. Elle conclut avec la possibilité que ce mouvement empêche réellement la reproduction, le twerk (une combinaison de torsion et de travail) empêchant l’œuf fécondé de nicher dans l’utérus. Qui nous avait caché ce secret ?
Cosmic Ass, par Marilou Poncin et Fannie Sosa (2015) :
De nouvelles formes de reproduction sont explorées dans le nouveau work-in-progress initié par Shu Lea Cheang, qui a représenté Taïwan à la dernière Biennale de Venise, et Ewen Chardronnet de Makery, en collaboration avec le living lab echOpen (qui développe un écho-stéthoscope open-source pour smartphone), intitulé Unborn0x9 et signé par le collectif Future Baby Production. Ce projet aboutira en avril à une performance de hacking centrée autour de trois utérus artificiels et d’une partition audiovisuelle et ultrasonique interprétée par des artistes et des musiciens. Inspiré par Le Meilleur des Mondes de Aldous Huxley qui dépeint un monde où les bébés sont conçus dans des éprouvettes, où le mot « parent » est devenu « obscène » et interdit depuis l’apparition de l’ectogenèse qui a mis fin à la « reproduction vivipare », cet ensemble de travaux s’appuie également sur le développement récent de la recherche dans le domaine des utérus artificiels et des « biobags » pour prématurés, comme sur la pratique de l’échographie sur des « fantômes fœtaux ». Il explore en fin de compte la biopolitique à l’œuvre dans cette volonté de sortir la reproduction hors du corps des femmes, et cela depuis l’invention (par l’armée) de la technologie des ultrasons et son utilisation dans l’observation de la grossesse.
Communs recombinants
Le répugnant est exploré dans le travail de Mary Maggic, avec Milik Bersama Rekombinan (Recombinant Commons), créé en Indonésie. Une projection d’un mandala en rotation et l’accrochage de déchets trouvés dans la rivière symbolisent la recombinaison constante de particules de plastique à l’intérieur de notre propre corps, aux côtés d’une sculpture à la gélose bleue « qui fait cohabiter une contamination microbienne à des échantillons de champignons bio-assainissants ». Cette proposition se poursuit dans l’imagerie lisse et répugnante avec Skin Flick (Invasive Species), une représentation plutôt dégoutante de corps « absorbant et interagissant avec des produits chimiques tels que des produits de beauté, des médicaments, des compléments alimentaires et des matières organiques ». Inspiré par une recherche sur les désirs non-humains des champignons et invertébrés marins, le projet émet l’hypothèse que ces derniers « proposent un nouveau regard sur l’appétit et les comportements humains ».
Enfin, We Are Here Because Of Those That Are Not de Danielle Brathwaite-Shirley, interdit l’entrée à l’installation à ceux qui nient l’existence de personnes trans noires. Si l’on choisit d’entrer après ces avertissements, on se retrouve assis sur un trône vibrant, où divers défis sont lancés et des options pour aider à ressusciter les ancêtres trans noirs sous la forme de trois gros boutons colorés étiquetés 1, 2 et 3. D’abord, vous êtes mis au défi d’indiquer votre préférence. Je ne peux pas mentir à une installation artistique, j’ai donc choisi avec une certaine appréhension l’option sexe CIS, ce qui signifiait que je m’identifiais au sexe qu’on m’avait attribué à la naissance. A cela, les haut-parleurs du jeu m’ont hurlé que j’avais systématiquement « enterré la vie des ancêtres trans noirs », mais que je pourrais faire du bien via ce jeu en « ressuscitant des ancêtres trans noirs qui peuvent partager des connaissances cachées ».
Parmi les autres œuvres, citons les photos de travestissement de l’artiste nigérian Yoruba Rotimi Fani Kayode et des phallus dorés similaires aux masques vénitiens à long nez utilisés par les médecins pendant la peste, ainsi qu’un certain nombre de projets, d’événements spéciaux et de jeux et performances explorant des outils et des technologies pour naviguer les genres.
J’ai trouvé cette exposition stimulante dans la manière dont les artistes contestent nos notions de genre, bien qu’elle surinvestit la médiation, comme ces expositions scientifiques ont tendance à le faire. Je ne peux pas vraiment croire que si je « demande à un médiateur de la galerie comment je peux contribuer aux recherches en direct ici » (comme indiqué dans le guide), cela contribuera sérieusement à l’exposition, mais je peux me tromper. Les œuvres vidéo, provenant de la Birth Rites Collection, organisée par Helen Knowles, étaient particulièrement fortes. J’attends maintenant la performance d’avril.
Visitez « Genders, Shaping and Breaking the Binary » à la Science Gallery de Londres jusqu’au 28 Juin 2020.