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A l’Ecole de l’Anthropocène : à Lyon, une plateforme citoyenne en action

"Le motif de l'enquête" : Camille de Toledo, Matthieu Duperrex, Michel Lussault, Pauline Julier. © Adrien Pinon

Apprendre, comprendre, débattre et tirer les enseignements de ce qui fait notre époque, c’est ce que propose A l’Ecole de l’Anthropocène, un événement annuel international initié par L’Ecole Urbaine de l’Université de Lyon. Cette seconde édition proposait une semaine de réflexions et d’actions du 27 janvier au 02 février aux Halles du Faubourg, à Perrache et au Comoedia.

Lyon, envoyé spécial

Nul doute que la « grande accélération » entamée depuis les années 50 (et même, depuis la première révolution industrielle) est à l’œuvre. Comme le déclarait, au cours d’une semaine festivalière riche en évènements, le philosophe Patrick Degeorges (qui coordonne depuis septembre 2017 le programme Anthropocène de l’ENS Lyon) : « cette accélération et son impact est quotidiennement lisible : il suffit d’ouvrir la presse ou d’écouter la radio. Tous les jours il est question de problèmes liés aux changements colossaux subis par (et dans) notre environnement. Pas seulement de problèmes climatiques, puisque le climat n’est qu’une toute petite partie des problématiques engendrées par l’activité humaine sur la planète, mais également des autres sujets, politiques, écosystémiques, économiques, sociétaux, etc. » Pour le citoyen, il s’agit de s’informer et agir en conséquence. A l’Ecole Urbaine de Lyon on l’a compris, l’accent est mis aujourd’hui sur la perception publique des problèmes de l’environnement. Pour cela, encore faut-il se donner les moyens d’analyser et de comprendre.

Débat « faut-il attendre un post-capitalisme réparateur ? » avec Pierre Veltz, Isabelle Delannoy, Mathieu Couttenier. Animation : Arjuna Andrade. © Adrien Pinon

Faire école, à l’époque de l’Anthropocène

C’est ce que propose Michel Lussault et son équipe avec « A l’Ecole de l’Anthropocène », une initiative de l’Ecole Urbaine de Lyon, montée en partenariat avec de nombreux acteurs locaux dont la Taverne Gutenberg, l’Atelier La Mouche, Frigo & Co et le Cinéma Comoedia, pour une programmation spécifique. La Gare Perrache était également mise à contribution, avec l’installation d’une antenne où se déroulaient des ateliers publics. « L’Ecole Urbaine de Lyon est un Institut de Convergence (un programme financé dans le cadre des Investissements d’Avenir, piloté par le Secrétariat général pour l’investissement, ndlr). C’est un projet universitaire innovant en matière d’offres de formations, anglé sur un sujet bien défini. Il existe dix Instituts de Convergence en France, et chacun a son sujet. Celui qui a été porté par Michel Lussault, directeur de l’Ecole Urbaine de Lyon, géographe, professeur à l’ENS, membre du laboratoire de recherche Environnement, ville, société, et du LaBex IMU, c’est la question de Mondes Urbains Anthropocènes », explique Valérie Disdier, programmatrice de l’évènement. Pourquoi l’Anthropocène ? « Parce que nous pensions qu’il était important de développer un programme de recherche, de formation et d’animation du débat public sur les mondes urbains et son corolaire, l’Anthropocène. Se pose aujourd’hui la question de l’habitabilité de la planète en relation avec les impacts observés et les solutions proposées concernant la ville, l’accélération de l’urbanisme, et ses conséquences sur l’environnement » complète Anne Guinot, responsable de la communication.

Plateau-radio pour « réinterroger le vocabulaire cartographique » avec Michel Lussault et Frédérique Aït-Touati. © Adrien Pinon
Plateau radio pour « réinterroger le vocabulaire cartographique ». © Adrien Pinon

Une programmation à la hauteur des enjeux

Si l’Anthropocène est tout à la fois « une époque, un débat, une provocation » comme le déclarent les auteurs de Anthropocène, à l’école de l’indiscipline (éditions du Temps Circulaire, janvier 2019), c’est aussi un sujet qui rassemble de nombreuses disciplines, activités de recherches, méthodes et écoles de pensées. Durant une semaine, A l’Ecole de l’Anthropocène s’est donc attachée à faire « école » autrement. Du 27 janvier au 02 février, l’évènement offrait des cours publics, des conférences, des séminaires de recherche, des ateliers pédagogiques ouverts à tous, mais aussi des expérimentations collectives, des propositions artistiques (expositions, danse), des résidences d’artistes (plasticiens, écrivains), des performances, des lectures, des séances de cinéma, et même… un bal ! Parmi les sujets débattus et entendus, figuraient les questions de post-capitalisme, de résilience du vivant, de quatrième voie, d’« Urbanocène », de féminisme et d’écologie. On a bien sûr questionné l’injonction à l’accélération, à la compétitivité et à la performance. On a abordé les problématiques de la société numérique à l’œuvre et son impact sur la planète, ainsi que les questions de psychologie, de volonté, d’intentions et de responsabilités citoyennes, dans un format de cours publiques ouverts à tous, sur le modèle du Collège de France.

« A-t-on vraiment eu raison d’inventer l’agriculture ? » avec Jean-Paul Demoule et Michel Lussault. © Adrien Pinon

A la recherche d’alternatives et de solutions

Dans un évènement qui s’inscrit dans une dynamique d’information et de formation du public, poser des problèmes est nécessaire mais proposer des solutions s’avère tout aussi indispensable. En croisant le regard des chercheurs et des spécialistes venus des sciences sociales, humaines, ou dures, avec celui de « Madame et Monsieur tout le monde », le programme insiste sur la complémentarité des points de vue, des stratégies et des expériences. Anne Guinot : « Parce que nous ne sommes pas simplement en discussion, nous ne faisons pas que brasser des idées, mais nous tentons d’impliquer l’imaginaire et les compétences de chacun pour proposer des idées et agir pour un futur plus désirable. Le public est en demande de ce type d’initiatives, et est extrêmement sensible à ces thématiques. Il attend autre chose qu’acquérir uniquement du savoir. Il veut connaître et comprendre, mais aussi expérimenter. Ici, on pense que les apports extérieurs du public et des acteurs de la culture, les artistes, sont des apports utiles pour la recherche en action. ». Sans doute la raison du succès de l’évènement, qui bénéficia durant toute la semaine d’une fréquentation intergénérationnelle, beaucoup d’enfants, des parents, mais aussi des étudiants, des chercheurs du monde entier (le sujet ayant une dimension internationale, interdisciplinaire et inter-établissements, nous avons croisés de nombreux participants internationaux), des retraités.

Jour 1 de l’atelier « Usage participatif de la ville augmentée » dans le cadre de A l’Ecole de l’Anthropocène. © Adrien Pinon
Atelier danse « Sattelites of Dance » sur le site de Perrache par Kubilai Khan Investigations © Adrien Pinon
Atelier « L’habité à la carte : le cas du grand parc Miribel Jonage » © Adrien Pinon
« Mise en situation de gestion de crise » à Institut d’urbanisme de Lyon © Adrien Pinon

Les Halles du Faubourg disparaissent, l’Anthropocène fait école

L’évènement résonnait particulièrement dans Les Halles du Faubourg, lieu emblématique de l’histoire industrielle lyonnaise, et de l’urbanisme du 19ème et 20ème siècle, mais également terrain d’expérimentation culturelle éclectique depuis deux ans, malheureusement promis à sa destruction prochaine fin août. Pour autant, A l’Ecole de l’Anthropocène continue et même fait des petits. Au programme de 2020 : publication d’une revue, déploiement à l’étranger, cours et séminaires. Valérie Disdier : « Après le festival nous reprenons Les Mercredis de l’Anthropocène jusqu’à fin juin, ainsi que les cours publics et les séminaires. Nous allons continuer de publier (ce que nous avons commencé avec le premier numéro de A°2020). Nous reste à trouver un lieu à compter de la rentrée 2020. Un endroit pour travailler et où pourront se dérouler nos « Mercredis », notre semaine festivalière, etc. » Et l’intéressée d’ajouter : « En juillet 2019 à Buenos Aires, nous avons participé à la création de la Première École latino-américaine sur l’Anthropocène urbain. Un partenariat entre l’Ecole Urbaine de Lyon et l’Universidad de San Martín ». Ce partenariat a donné lieu à la création d’une performance le samedi 1er février au cours d’une journée #Anti-Célébrité – Huella Verde : Anticelebrity Day – où un tapis rouge était décoré par des empreintes de peinture verte faites avec des chaussures usagées par les participants. Des selfies furent ensuite réalisés et projetés sur le tapis en se mélangeant avec des transpositions d’images de célébrités.

Installation/performance « Green Carpet » de Jorge Caterbetti : Journée Anti-Célébrité. © Adrien Pinon

La semaine se terminait sur les images à la fois fascinantes et inquiétantes des deux Blade Runner (la planète polluée et surpeuplée plongée dans une nuit éternelle de Ridley Scott, et celle, terminale et dévastée de Denis Villeneuve). Une note de vigilance, qui nous rappelle que nous avons peut-être encore les moyens de ne pas vivre un futur similaire, parce que si l’Anthropocène et les champs d’études qu’elle suscite, nous permet de penser l’avenir, elle nous permettra peut-être aussi d’en prévenir les pires tendances.

En savoir plus sur l’événement « A L’Ecole de l’Anthropocène ».