Volumes, niché dans le 19ème arrondissement de Paris, est un espace collaboratif regroupant co-working, makerspace et foodlab à destination de professionnels du champ créatif et numérique. Le tiers-lieu s’engage aujourd’hui vers un second espace rue de Mouzaïa, au pied du métro Pré-Saint-Gervais.
Petite rue en dévers de la bouillonnante Place des Fêtes, il faut sonner à la porte d’un immeuble de petite taille pour pénétrer dans cette cour dallée où graphistes, makers, éditeurs, cuisiniers et autres indépendants terminent une pause cigarette, improvisent une réunion à l’air libre ou passent leurs appels.
L’impression première avant de pousser la porte de Volumes Coworking est celle d’une agitation constante. Sentiment confirmé à l’intérieur : sur la gauche une salle de réunion occupée par trois personnes en plein brainstorm, symétrie parfaite dans la cuisine à droite (le FoodLab) occupé par de petites grappes de travailleurs en réunion au pied levé. Plus loin, après les ateliers privatifs, on pénètre dans l’open space où une trentaine d’indépendants, studieux, s’affairent silencieusement pianotant derrière leurs écrans. On devine presque l’écho des machines du makerspace, au fond de la salle, avec les imprimantes 3D, la fraiseuse numérique et d’autres machines qu’actionnent des étudiants de l’ENSA Paris-Malaquais dans le cadre de leur semaine intensive de fabrication numérique.
Volumes : expérimentation, impact et croissance organique
Volumes, niché dans le 19ème arrondissement, est un espace collaboratif regroupant espace de coworking, makerspace et foodlab. Porté par six associés aux profils et compétences diverses, Volumes est un lieu de travail également centre de gravité pour le quartier avec ses open days des ateliers du lundi, ou ses ventes de paniers bios quand ce ne sont pas les usagers du FoodLab qui ouvrent leurs portes à des gourmands beta testeurs ou à des particuliers pour des cours de cuisine. Francesco Cingolani, architecte et co-fondateur de Volumes, raconte qu’un coworker s’est installé à 50 mètres d’ici et y a acheté son appartement, du fait de la présence de son futur lieu de travail : Volumes. Une certaine idée de l’ancrage territorial. Créé il y a quatre ans dans la continuité d’un projet d’aménagement d’un place publique en Norvège sur lequel Francesco Cingolani était le maître d’ouvrage, Volumes naît du désir d’un lieu physique favorisant l’implication des habitants, un « lieu où les citoyens pouvaient plébisciter, faire remonter leurs envies, besoins et potentiels usages. » Depuis, Volumes met au cœur du projet l’expérimentation constante tandis que le lieu mute en fonction des usages des résidents. « On voulait que les gens viennent chez nous et expriment leurs besoins, et qu’à partir de cela on fasse évoluer le projet. Pendant 4 ans, on a fait les choses de manière organique (on ne savait pas qu’il y aurait un food lab au départ) » raconte ainsi Francesco, pour qui la recherche de l’impact territorial du projet est primordial.
Très vite, Volumes se dote alors d’une cuisine professionnelle partagée permettant à des traiteurs émergents, partisans d’une approche locale du sourcing de leurs produits, d’affiner leur offre, de tester la viabilité de leur modèle économique et d’enregistrer les premiers retours des usagers de Volumes, des voisins conviés aux événements portes ouvertes ou encore aux participants aux cours de cuisine qui se déploient ici en soirée. Pour intégrer l’espace de co-working, les travailleurs déboursent entre 25 euros la journée et 390 euros le mois (pour un bureau fixe), et bénéficient de tarifs préférentiels si domiciliés à moins d’un kilomètre de Volumes. Le makerspace est accessible pour des résidences mensuelles aussi bien que des petits travaux à l’heure.
Au total, l’espace abrite une cinquantaine de designers, architectes, urbanistes, éditeurs, artisans, makers, chefs ou encore graphistes, experts en civic tech ou en dataviz, une petite dizaine de makers résidents (Damien Coquet, Milkywood, Unwasted, Ublik, Raphaël Emine (céramiste), Stéphane Malka Architecture, Deltaboard) et cinq traiteurs indépendants (des confections éco-responsables de PLUCHE aux cocktails haut de gamme de Nighthawks…) qui participent à la vie du lieu et à son ébullition constante dans les traces de l’hyperactif Francesco et de la vision qu’il déploie : l’ancrage d’outils productifs en cœur de ville. Avec, souligne Francesco, une attention particulière au faire ensemble et à la mixité des publics, la production n’étant peut-être qu’un prétexte pour construire la ville de demain. « Notre volonté c’était que produire des choses ça a une valeur économique, mais aussi celle de créer du lien, de la convivialité. Notre vision de la ville productive, c’est production, écologie, mais ce qui nous anime c’est surtout créer de la rencontre et de lien grâce à l’outil de production. On a pas créé un lieu pour créer un lieu, on a créé un lieu pour changer la ville. » Et alors que les sollicitations se multiplient pour dupliquer ailleurs un modèle qui a fait ses preuves, Francesco tient à ce que la dimension expérimentale et organique du projet puisse continuer à teinter la croissance de Volumes. « Est-ce que ça nous intéresse de lever 10 million d’euro et de monter 5 lieux ? Cela ne correspondait pas trop à nos contenus et valeurs. On a cherché d’autres voies et aujourd’hui c’est celle de l’écosystème territorial qui prévaut. » Aujourd’hui, le projet d’agrandissement de Volumes passe ainsi par l’animation d’un second lieu à quelques centaines de mètres de la ruche de Place des Fêtes, mais surtout par des synergies avec d’autres projets voisins. « Grandir, c’est aussi transformer la gouvernance de Volumes, passer en fonctionnement plus inclusif pour nos usagers et faire fructifier et valoriser tout l’écosystème qu’on a construit en cinq ans. »
Un second lieu à Mouzaïa : brutalisme, convivialité et hybridation
A la suite d’un appel à projet de la RIVP (Régie Immobilière de la Ville de Paris) pour sélectionner les opérateurs d’un espace de co-working, Volumes investira ainsi une nouvelle adresse – Rue de Mouzaïa – non loin de ses bases à compter de septembre 2020 pour un projet pérenne. Deux numéros, deux bâtiments et des années d’histoire. Le 66 de la Rue de Mouzaïa est un ancien atelier de fabrication de machines à coudre conçu par Pierre Sardou et Maurice Chatelan, reconverti en bureaux puis en centre d’accueil pour l’armée du Salut. Le passé industriel du site est sensible sur l’architecture actuelle. Jouxtant le 66, le 58 est l’un des derniers vestiges à Paris intra-muros de l’architecture brutaliste, imaginé par l’architecte Claude Parent, l’un des grands noms de ce courant faisant l’éloge de la rugosité du béton et de ses lignes pures.
Ancien squat d’artistes (Le Bloc), le site regorge de fresques de street art qui en ont fait un des hauts lieux de visite underground de la capitale ces dernières années. Les deux bâtiments sont ainsi concernés par un plan de renouvellement urbain qui place au cœur l’héritage du site et la pluralité des activités, en prévoyant d’accueillir, à l’automne 2020, un CROUS, de l’hébergement d’urgence, des ateliers d’artistes et un espace de co-working, géré par Volumes. Dans la continuité de ses activités Place des Fêtes, Volumes y ouvrira un espace de travail partagé dont l’orientation est pensée davantage corporate (séminaires d’entreprises, bureaux privatifs pour entreprises) sur le positionnement thématique actuel (alimentation, fab city, tiers-lieu, open innovation). L’architecture est confiée aux studios Wao (membres du réseau Fab City Grand Paris) tandis que le projet Re-Store (déjà l’objet d’un article dans Makery) intègrera une logique de réemploi dans le design intérieur de l’espace. Le grand défi sera, de l’aveu de Francesco, de travailler en partenariat avec les autres entités présentes sur le site et d’imaginer ainsi des synergies. Le FoodLab, par exemple, intégrera un programme d’autonomisation par la cuisine pour les résidents accueillis sur le site par et notamment au sein du centre d’hébergement d’urgence géré par l’Armée du Salut. « Ce qu’on sait faire c’est faire dialoguer les parties, et créer une énergie mutualisée entre acteurs » formule ainsi Francesco, qui a négocié pour que le hall d’entrée du bâtiment soit animé par Volumes. « C’est l’espace où l’on va pouvoir toucher la communauté d’étudiants, les artistes, les hébergés d’urgence. »
Du multi-site à l’écosystème, renforcer l’impact territorial des projets
D’un site à l’autre, la croissance de Volumes l’engage à réfléchir sur les modalités de son développement, avec, au coeur, la notion d’écosystème. « Le projet de Mouzaïa n’est qu’une excuse pour amorcer un travail plus large sur le territoire de constitution et de formalisation d’un écosystème qui existe mais qui est très fragmenté aujourd’hui » annonce ainsi Francesco, citant la plateforme de recherche et d’expérimentation Fab City Grand Paris regroupant créateurs, architectes, designers, agriculteurs urbains autour d’une ville en transition vers un modèle productif et circulaire et fédérant des acteurs du Grand Paris comme Volumes, Woma, Ars Longa, Vergers Urbains, Homemakers, Noise la Ville, CivicWise, La Paillasse, le collectif MU ou encore OuiShare. De Place des Fêtes à Mouzaïa, la période est propice à la gestation de synergies entre acteurs du territoire, voisins ou moins voisins, autour de l’idée d’un territoire en transition (numérique, sociétale, écologique) et dont le Nord Est parisien est un terreau fertile eu égard au nombre d’acteurs et d’expérimentations.
L’ancrage territorial du projet Volumes passe ainsi par le renforcement du réseau de proximité initié de manière informelle avec ses voisins Woma ou plus formelle avec le réseau Fab City Grand Paris, et de le faire atterrir sur des lieux physiques de rencontre et d’expérimentation. « Le fait d’avoir un lieu de rassemblement et de proximité est central. Le numérique ne diminue pas le besoin de proximité et nos cinq ans d’expérimentation ne font que le confirmer » explique ainsi Francesco, partie prenante de deux projets européens au carrefour du design et de la fabrique de la ville (le projet Distributed Design Market Platform qui fédèrent le mouvement maker autour du design distribué et à l’échelle européenne, et le projet Reflow dédié à la résilience urbaine et la coopération multi-acteurs dans la fabrique de la ville). Un autre projet européen, récemment remporté par le consortium Centrinno vise à développer des outils pour le maintien de petites entreprises artisanales et productives en cœur de ville et impulsera avec Volumes un incubateur foodlab tourné vers l’économie sociale et solidaire (ESS) et les circuits courts (produits cultivés à Paris sur les sites de Vergers Urbains).
Dans cette volonté de mise en réseau, Volumes bénéficie d’un alignement des astres géographique et calendaire avec l’émergence d’un projet voisin avec lequel initier échanges et coopérations. Le projet de tiers-lieu Oasis 21 est initié par l’association Colibris entre autres partenaires, dans la Halle aux cuirs, ancienne usine de tannerie nichée au cœur de la Villette et aujourd’hui lieu de stockage des différentes institutions culturelles du parc. Suite à un appel à projet de l’établissement public du Parc de la Villette lancé il y a deux ans, la coopérative Oasis 21 accèdera à l’automne 2020 à 1500m2 de l’ancienne usine qui sera reconvertie en bureaux partagés pour des structures au carrefour de l’engagement écologique et citoyen. De la rencontre entre Volumes et Oasis 21 naît une volonté, selon Cédric Mazière d’Oasis 21, de « créer une communauté ancrée dans l’ESS avec cette couleur écologique et citoyenne. » Entre ces structures qui apprennent à se connaître, la mutualisation et la complémentarité président à leur rapprochement et à des projets en commun. « Aujourd’hui, les communautés sont visqueuses. Il faut raisonner en termes de réseau à l’échelle d’un territoire plutôt que dans un esprit concurrentiel. C’est beaucoup plus intéressant pour tout le monde » résume ainsi Cedric Mazière. L’occasion aussi pour Volumes de se consacrer à la recherche et à la création de contenu en faisant un pas en arrière sur la gestion de lieux, qui pourra être transférée à Oasis 21.
Francesco et Cédric imaginent une offre commune entre les deux lieux – des formations, événements et conférences – permettant de mutualiser un emploi de coordination et d’animation de la communauté. Si la proximité géographique entre ces deux projets amenés à se rapprocher joue beaucoup, la proximité en termes de valeurs communes et de champs d’expérimentation proches sont au cœur de cette vision d’un écosystème grand parisien fédéré autour de la nécessité d’une ville plus résiliente, inscrivant la production en cœur de ville au sein de territoires apprenants et innovants, tirant parti des forces actives des acteurs en présence. « Créer un réseau d’acteurs productifs interconnectés en un écosystème c’est la vision de Fab City Grand Paris que nous défendons » explique Francesco, « il faut densifier et rendre visible ces réseaux ».
En savoir plus sur Volumes.