Les artistes Maxime Berthou et Mark Požlep viennent de rentrer de leur périple à travers 10 états américains traversés par le fleuve Mississippi sur un petit bateau à vapeur qu’ils ont retapé eux-mêmes. L’objectif ? Collecter du maïs, en distiller du Moonshine, puis raconter l’aventure dans des films et expositions. Makery est allé à la rencontre de Maxime Berthou à son retour dans son restaurant des Batignolles à Paris.
Maxime Berthou et Mark Požlep aiment l’alcool et l’aventure. Les deux artistes n’en sont en effet pas à leur premier exploit. En 2015 ils étaient remontés à la voile depuis Paimpol en Bretagne jusque l’île d’Islay en Ecosse (célèbre pour ses whiskies tourbés) à bord d’un vieux canot à misaine qu’ils avaient ensuite transformé en barils de whisky. Le projet nommé Hogshead 733, avait pour objectif de renouer avec le savoir-faire ancestral de la distillation du whisky et de retranscrire en image cette aventure humaine ressuscitant l’ancestral transport à la voile de denrées alimentaires. Suite à cette épopée les deux camarades cherchaient à se lancer un nouveau défi. Ce sera Southwind, une descente du Mississippi sur les traces de Mark Twain à bord d’un petit vapeur traditionnel retapé par leur soin. L’objectif cette fois : collecter du maïs sur les 3 700 km traversés en vue d’en distiller à la Nouvelles Orléans le célèbre Moonshine, l’alcool de contrebande de la prohibition resté longtemps interdit avant sa régularisation en 2012.
Premier journal de bord vidéo de « Southwind » (en anglais) :
Allier l’art, la mobilité douce et la gastronomie
Lorsque l’on rencontre Maxime Berthou dans la cave de son restaurant on se rend compte qu’il a encore plein d’idées dans la tête. Patron de L’écailler de l’ébéniste, et d’un bar et cave, L’ébéniste du vin, qu’il dirige avec son épouse dans le quartier des Batignolles à Paris, il pourrait pourtant considérer que sa vie est déjà bien animée. Mais sa passion pour la gastronomie ne l’a pour autant pas éloigné de ses rêves d’artiste. Après des études à l’Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, au Fresnoy et à l’Ecole Normale Supérieure, il s’oriente vers des projets cinématographiques valorisant la recherche-action et l’histoire culturelle. C’est en Slovénie qu’il rencontre Mark Požlep, lors d’une pause entre ses études. Une riche amitié nait alors et quatre années de collaboration en binôme et de nombreuses rencontres vont donner naissance à un programme de résidences d’artistes favorisant les échanges entre la Slovénie et la France et qui va durer plus de 10 ans porté par l’association Otto Prod (on vous en parlait ici).
Des années plus tard, le 1er septembre dernier, les deux camarades artistes s’embarquent dans un nouveau projet culturel transmédia au long du Mississippi avec cette fois pour objectif au bout du voyage de distiller du Moonshine, ce célèbre whisky de maïs qui circulait sous le manteau durant la période de la prohibition aux Etats-Unis. Légalisé en 2012 ce breuvage fait maintenant partie de l’identité et de l’histoire des Etats-Unis. Bien entendu nos deux originaux ne pouvaient pas concevoir cette aventure à bord d’un moyen de transport banal… clin d’œil à cette époque, ils ont fait le choix du bateau à vapeur. Ils souhaitaient inscrire leur projet dans une autre temporalité : laisser le temps au temps, la nécessité de composer avec les éléments.
La rénovation et la mise à l’eau du bateau à vapeur à Trois Rivières dans le Michigan :
Le Mississippi et le maïs
Le projet Southwind débute donc par la restauration d’un bateau à vapeur à aube traditionnel de 21 pieds de long (6,4m), avec lequel ils veulent descendre le Mississippi depuis sa source dans le Minnesota jusqu’à son embouchure en Louisiane. Ce voyage-aventure a pour objectif un travail cinématographique centré sur le fleuve Mississippi, sa structure sociale et géopolitique avec une attention particulière portée sur la production et la consommation de maïs, une denrée majeure dans l’économie américaine mais également facteur de détérioration écologique du bassin versant. Comme ils le racontent : « Les États-Unis sont le premier producteur mondial de maïs, mais seulement 13% de sa production est exportée et près de 30% de la production est utilisée pour la fabrication d’éthanol. Certaines fermes / usines partagent les terres gigantesques adjacentes au Mississippi pour exploiter les sols et ont épuisé toutes ses ressources. Pour échapper à cette fatalité, les agriculteurs construisent leurs fermes à l’aide de dépuratifs, de nutriments synthétiques et d’autres pesticides. Tous ces traitements se retrouvent inévitablement dans le fleuve dès les premières pluies, ce qui fait du Mississippi un écosystème extrêmement toxique saturé de chimie agricole. »
Il leur aura fallu 50 jours pour descendre les 3 700 km du fleuve, parcourir 10 états du Minnesota à la Nouvelle Orléans en Louisiane. Le voyage était ponctué d’arrêts quotidiens, pour collecter différentes variétés de maïs auprès des agriculteurs locaux, mais aussi pour ravitailler le bateau.
Tout au long de leur sillage, les deux artistes ont capturé des images de leurs rencontres, consigné les savoirs, les connaissances, pour les collecter sur une base de données, puis pour les diffuser à leur retour sous différents formats : films, ciné-concert… Comme le raconte Maxime Berthou, leur parcours a été ponctué par d’incroyables rencontres (comme celle de Cowboy Jim) et rythmé aux sons de styles musicaux mythiques, allant du jazz, du blues, du rock’n’roll, à la country, au cajun, à Prince… A la découverte de l’autre, de village en village, les deux aventuriers ont recueilli des informations brutes sur l’histoire de la colonisation, l’esclavage et le racisme, malgré tout encore très présent, mais aussi sur les problématiques liées à l’agriculture contemporaine américaine, aux situations de crise de certains états, comme aux surprenants déserts numériques de certaines rives et au manque d’information associé.
Un batch de 2000 bouteilles
Toujours dans une dynamique d’économie circulaire soucieuse de réduire la production de déchets, une fois arrivés à la Nouvelle-Orléans, le bateau est transformé en une petite distillerie, capable de produire le Moonshine. Un chaudronnier, embauché sur le parcours, participe à son élaboration. Il leur aura fallu 15 jours pour distiller les deux tonnes de maïs collectées et remplir ainsi deux mille bouteilles !
Pas de place à l’improvisation pour se lancer dans un tel projet. Deux ans de réflexion, un financement à la hauteur de leurs ambitions pour lequel il ont trouvé un modèle économique bien ficelé : l’engagement sur la livraison d’un film, le montage de plusieurs expositions auprès de partenaires, ainsi que la pré-vente des bouteilles auprès de distributeurs de spiritueux américains et français. Cette collaboration leur a permis de récolter les fonds nécessaires avant même d’être partis. Leur projet transmédia a été présenté cet automne au Centre Pompidou et l’American Art Center et a conquis les amateurs de spiritueux. Plus qu’un whisky, ce Moonshine représente « le génie dans la bouteille », pour citer Maxime Berthou, ravi de ce produit unique en son genre. Plus qu’un alcool mis en bouteille, c’est l’alchimie réussie d’une expérience humaine hors du commun, associée aux saveurs des terroirs du Mississippi.
Pour découvrir le film complet de leurs aventures, rendez-vous à l’automne 2020 !
En savoir plus sur le Southwind Project.
Mark Požlep présente jusqu’au 15 décembre une première étape du projet à Gand (Belgique) pour l’exposition des lauréats HISK 2019 : « An Island of Multiple Bridges ».