Makery

Une Croatie bucolique et électrique au makercamp Electric Wonderland

Electric Wonderland à Fužine, Croatie. © Deborah Hustić

Du 1er au 7 septembre en Croatie se tenait Electric Wonderland, le summer camp du makerspace Radiona. Pour rejoindre cet événement du réseau Feral Labs, Jean-Jacques Valette, notre chroniqueur en résidence, a embarqué dans un train avec son vélo et l’intention de réduire son empreinte carbone. Un reportage entre écologie et hacking, musique noise expérimentale et chant des oiseaux.

C’est un camp scout perché dans les montagnes croates entre deux lacs et une forêt. Un petit pont de bois enjambe le ruisseau et vous emmène dans une clairière peuplée d’une dizaine de mini-chalets avec au centre le mât pour le drapeau et une grande maison communale. C’est dans ce camp scout du petit village de Fužine au nord de la Croatie, près de Rijeka, que se tient Electric Wonderland, premier maker camp initié par Radiona, makerspace à Zagreb, la capitale du pays. Un cadre idyllique dans lequel se sont retrouvés une trentaine de makers et artistes, du 1er au 7 septembre 2019.

Pour mener ce reportage, j’ai tenté de limiter au maximum mon empreinte carbone. Une simulation sur le site de la fondation Goodplanet permet d’estimer celle-ci à 0,43 tonnes d’équivalent CO2 pour un trajet Paris-Zagreb en avion contre 0,23 pour le bus et seulement 0,03 pour le train. Le choix est vite fait ! Un vélo pliant me servira pour les derniers kilomètres et je tenterai de produire l’électricité pour mes appareils avec des panneaux solaires de récupération.

Situation de survie

20 heures de train plus tard, une heure de bus et autant de vélo, je suis enfin sur place. Un peu épuisé par les contrôles d’identité nocturnes à chacune des quatre frontières franchies, je suis accueilli sur un banc dans la grande cuisine d’extérieur. Avec une assiette de dorade aux légumes et un grand verre de bière artisanale !

A Electric Wonderland, la qualité de la nourriture est une priorité et un élément intégral de cet événement co-créé par les participants. « C’est en fait notre deuxième tentative de camp, après un premier échec il y a cinq ans », explique Deborah Hustić, cofondatrice de Radiona. « Il faisait 8°C au mois d’août, il pleuvait et nous n’avions pas d’abri ou de nourriture car notre partenaire nous avait lâché au dernier moment. C’était une vraie situation de survie ! ».

Pas question de renouveler un tel fiasco logistique, même si pour les organisateurs il est important de mener un tel événement en pleine nature pour faciliter l’attention, la rencontre et l’innovation. « La nature souffre l’étude la plus minutieuse. Elle nous invite à placer notre œil au niveau de sa plus petite feuille et à prendre une vue d’insecte de ses plaines », annonce une citation du poète naturaliste américain Henry David Thoreau sur l’affiche.

Cartographie par drones et nichoirs connectés

« Nous avons trouvé ce camp scout, qui héberge d’ordinaire des enfants. Il y a toute les infrastructures et on est à deux pas de la mer », explique Deborah. « Et beaucoup d’entre nous ont été scout, cela rejoint notre idéal DIY ». D’après elle, la première motivation derrière l’événement a été la communauté. « En cinq ans, nous nous sommes vraiment renforcés et avons constitué une communauté de gens compétents. Et c’est ce qui nous a donné confiance pour nous lancer dans un tel événement », insiste-elle.

Il y a en effet de nombreux talents à Electric Wonderland. A peine arrivé, je rencontre un américain, Jonathan Hefter, ex-startupper en plein tour du monde des maker camps (Digital Naturalism Conference, Chaos Communication Camp, Hacker Trip To China…) et passionné de photogramétrie. A l’aide d’un simple smartphone, il peut réaliser un modèle 3D de vous ou de n’importe quel objet. Et avec un drone bas de gamme, réaliser une cartographie d’un terrain supérieure à celles de Google Earth. De quoi aider à la protection des forêts et des espèces menacées, s’enthousiasme son voisin de table Mate Zec, biologiste et ornithologue de l’association Biom venu fabriquer des nichoirs connectés.

Hacker les appareils reflex

Le repas s’enchaîne sur un workshop intitulé « Hacking DSLR ». Le photographe Andrej Hromin nous explique comment tirer le maximum d’un appareil réflex, notamment en modifiant son firmware pour débloquer ses capacités. « Les constructeurs comme Canon ou Nikon mettent les mêmes composants dans toute leur gamme d’appareil photo car c’est moins cher mais ils les brident pour justifier la différence de prix. Avec un logiciel comme Magic Lantern que vous installez sur la carte SD, vous pouvez faire sauter ce verrou ! ».

Le soir, une jam session s’improvise dans le salon de la maison commune devant un feu de cheminée. Une mélodie noise s’élève des instruments bricolés et éparpillés sur la table. Ici on frotte un ressort de voiture ou un disque-dur, on chuchote dans un téléphone ou on titille une calimba électrique, le pied sur la pédale d’effets.

Musique expérimentale

La plupart des ces instruments ont été conçus avec Yuri Landman, l’un des artistes en résidence d’Electric Wonderland. Le quadragénaire hollandais est une petite légende dans le monde de la lutherie grâce à ses guitares expérimentales allant jusqu’à 24 cordes ou mesurant plusieurs mètres de long. Lui qui n’a jamais appris le solfège a écrit plusieurs livres sur la théorie musicale et les mathématiques.

Il tente aujourd’hui de repousser ses limites, en tendant par exemple des filins entre des arbres qu’il fait résonner à l’aide de petits moteurs électriques. Performance qu’il a reproduit à Electric Wonderland.

« Ce qui a lancé ma carrière, c’est quand j’ai réussi à offrir un modèle au guitariste de Sonic Youth. J’y ai fait référence sur leur page Wikipedia et puis j’en ai écrit une longue autre sur moi… ce qui n’est pas très bien », en rigole-t-il. « Et à partir de là on m’a appelé pour des interviews et des commandes ! ». Il a ainsi produit ces dix dernières années pas moins de 4 000 guitares « Home Swinger » lors d’ateliers collectifs.

La musique DIY est au cœur du makercamp et se retrouve dans de nombreux ateliers proposés. Roko Pečarić et sa compagne Franciska Gluhak, musiciens et makers croates, nous enseignent les bases de Makey Makey. Un petit circuit imprimé qui permet de produire de la musique avec des plantes ou n’importe quel objet conducteur.

Igor Brkić, lui, nous fait souder des composants pour réaliser un mini-synthétiseur. Et en bonus, on y ajoute un autre circuit, un « voleur de joules », qui permet de faire durer la pile beaucoup plus longtemps.

Arts low tech et neurosciences

Mais on peut aussi pratiquer des arts plus low tech à Electric Wonderland, comme la fabrication de sculptures mobiles avec Damir Prizmić ou de dioramas en papier et boites à lumière avec Paula Bučar. Je m’y essaie en tentant de fabriquer une copie d’un jeu de société trop méconnu, ainsi qu’une gorge en papier rétro-éclairée par des LED rouges.

Le seul regret lors de ce camp aura été l’annulation de l’atelier de Guima San (de GypsyLab8). Un chercheur brésilien venu nous faire découvrir les neurosciences, ou comment piloter un moteur ou des diodes par la pensée. Sa valise a été égarée à l’aéroport ! « J’ai quand même pu présenter mes autres projets, comme des capteurs open source pour la qualité de l’eau, afin de protéger les populations indigènes des rejets industriels », raconte le jeune homme. « C’est la première fois que je viens en Europe et je suis très content de venir ici, directement dans l’arrière pays et au contact des gens, plutôt que dans une capitale ».

Quant à moi, il est temps de repartir pour couvrir Schmiede, un autre makercamp du Feral Labs Network qui se tient dans trois jours à 400km au nord, en Autriche. Difficile de franchir les Alpes à vélo en si peu de temps, je le plie et le met dans la cale d’un bus pour Ljubljana. Et je voyage avec Jonathan l’américain, qui vient d’être accepté à Schmiede et n’a rien d’autre à faire avant son départ pour Hong Kong !

Electric Wonderland est un programme organisé par Radiona et fait partie de la série Feral Labs Network
Le Feral Labs Network est cofinancé par le programme Europe Créative de l’Union Européenne. La coopération est menée par Projekt Atol à Ljubljana (Slovénie). Les autres partenaires #ferallabs sont la Bioart Society (Helsinki, Finlande), Catch (Helsingor, Danemark), Radiona (Zagreb, Croatie), Schmiede (Hallein, Autriche) et Art2M/Makery (France).