La deuxième édition de Dinacon s’est conclue à Gamboa au Panama, au bout d’un mois d’août bien rempli à l’intersection d’excursions dans la nature et de projets art-techno expérimentaux.
Gamboa (Panama), envoyée spéciale
Un an après l’inaugurale « Digital Naturalism Conference » en Thaïlande, les principes de Dinacon, qui s’est tenue cette année au Panama, restent les mêmes : interagir avec la nature environnante, échanger avec les autres « Dinasaures » et créer in situ.
C’est le même concept appliqué du « Digital Naturalism » de l’infatigable Andy Quitmeyer, instigateur de Dinacon et des activités exploratrices et créatives sur le terrain, qui a animé ce summer camp extraordinaire où une centaine d’artistes-technologistes-chercheurs-scientifiques se sont croisés à différents moments du mois d’août 2019. Retour de la dernière semaine.
Loin de l’isolement idyllique de Koh Lon, une île au large de Phuket peu visitée par les étrangers où a eu lieu Dinacon1 en 2018, Dinacon2 s’est déroulée au cœur d’un écosystème scientifique et historique bien en place dans le village post-colonial de Gamboa, à la confluence de la forêt tropicale protégée de Soberanía et du canal intercontinental de Panama.
Dans ce contexte, la topographie de ce camp d’été éphémère s’étalait sur plusieurs lieux physiques, notamment au Dinalab, la maison makerspace personnelle d’Andy qui sert d’espace principal de travail ouvert à tous les Dinasaures, et à Adopta, l’auberge où tous les repas étaient servis et où la plupart des participants logeaient, qui fait aussi partie d’un plus grand projet de conservation locale porté par Guido Berguido.
La vie à Dinacon
Après le repas du soir, si quelques participants restent à table à discuter pendant que d’autres continuent à travailler sur leurs projets, certains profitent de l’espace accueillant du Dinalab pour animer un atelier spécialisé. Ainsi, la dernière semaine d’août, Josh Michaels a présenté l’apprentissage automatique sans ordinateur (en proposant l’analogie d’une image pixellisée à l’abstraction jusqu’à la reconnaissance humaine, afin d’attirer notre attention sur les préjugés inhérents de l’apprentissage des machines) ; Tiare Ribeaux a proposé un atelier en cuisine pour fabriquer des bioplastiques, selon sa propre recette ; Grace Grothaus a fait une démonstration de photogrammétrie à partir de ses expériences avec un logiciel dédié et une boite à lumière.
Le Dinalab reste un lieu ouvert de travail, de détente, d’expérimentations et d’échanges entre Dinasaures. Un après-midi, Hiroo a animé un atelier ayurvédique au miel : une expérience gustative, immersive et purgative qui s’est terminée avec une sensation brûlante directement dans les yeux. Un soir, Scott (Seamus) Kildall (lire son interview dans Makery) a offert son expertise en Arduino aux particuliers en difficulté (après avoir conclu qu’il n’était pas possible de contrôler avec précision ma lumière de bicyclette démontée, il m’a aidé à associer un capteur de mouvement à mon écran LCD dans le but de déclencher des bouts de poésie à 16 caractères…).
Un autre jour au Dinalab, Ramy Kim a fait des interviews synesthésiques avec quelques Dinasaures sur les odeurs associés aux concepts et les émotions associées aux odeurs. Jorge Medina, étudiant panamien en biologie et spécialiste des oiseaux de la région, m’a prêté sa voix pour l’enregistrement des noms espagnols des animaux vus pendant mon séjour.
Dinacon s’est même prolongée jusqu’au fameux Smithsonian Tropical Research Institute (STRI), nouveau centre de recherche emblématique de la petite communauté scientifique américaine expatriée à Gamboa depuis les années 1920. Durant le mois d’août, les Dinasaures ont eu droit à des visites aux laboratoires de l’institut consacrés respectivement aux fourmis et aux chauves-souris, ainsi qu’à l’étang protégé des grenouilles túngara, espèce indigène connue pour ses chants aux allures de laser électronique.
Au cours de notre visite à l’Ant Lab, on apprend comment cultiver des colonies de fourmis coupe-feuille, dont certaines sont peintes de couleurs différentes pour les distinguer selon leur âge. La recherche actuelle porte sur la mémoire intergénérationnelle des fourmis à retenir les préférences alimentaires du champignon qu’elles cultivent. Si on place un morceau du nid sur la langue, il a effectivement un goût de champignon…
Dehors, le terrain de jeu de Dinacon est encore plus vaste
Il y a le Chemin de l’Oléoduc (El Camino del Oleoducto ou Pipeline Road), chemin déjà mondialement célèbre parmi les ornithologues, qui s’infiltre dans les profondeurs de la forêt de Soberanía et qui permet de découvrir la richesse des créatures qui se cachent sous la canopée de la jungle, de jour comme de nuit : singes hurleurs, capybaras, coatis, fourmiliers, fourmis, cigales, lucioles, grenouilles, serpents, champignons fluorescents… ainsi que des centaines d’espèces d’oiseaux.
Juste avant l’aube, Ashlin Aronin y plonge sa caméra DIY infrarouge étanche dans un étang, pendant que Lisa Schonberg écoute les sons des fourmis et Kristina Dutton installe des microphones au bord du chemin qu’elle récupérera au retour. J’enregistre le bruit tapageur d’un pic, le bavardage des perroquets, le chant élusif d’un tétéma coq-de-bois… La nuit, Andy mène un petit groupe de randonneurs en bottes de caoutchouc le long d’un ruisseau pour observer la vie nocturne de la forêt, la torche sur la tête.
On an excursion tonight, the folks at #DINACON came across some magnificent patches of fruiting incredibly bright, #bioluminescent #fungi!
Wowee! pic.twitter.com/rqAgy8EQ60— Digital Naturalism (@HikingHack) August 25, 2019
A l’est de Gamboa s’étend vers le nord la rivière Chagres, marais à perte de vue à l’angle du canal qui abonde en flore et en faune, où l’on sort dès l’aube pour explorer ce paysage foisonnant au réveil. Deux jours de suite, on a vu un caïman (le même ?) rôder dans l’eau près du quai. Lisa et Kristina y plongent microphones, hydrophones, appareils photo et caméra vidéo sous-marine pour capturer des sons et images inédits. Je continue plus loin sur la Chagres avec mes jumelles et aperçois un caracara, des vautours aura, toucans, jacanas, aigrettes, passereaux, sternes…
Le Rio Chagres est aussi le lieu de déploiement des « Datapods » créés par Seamus et Michael Ang pour leur projet Unnatural Language. Il s’agit d’une installation in situ qui consiste à sonifier les variations électriques de l’eau et des plantes, à travers des cartes électroniques attachées à des débris organiques et déchets synthétiques récupérés dans la rivière. Et comme tout projet de Dinacon doit être documenté, je reste sur place pour aider l’équipe à filmer leur installation parmi la végétation flottante.
Au centre de ce vaste territoire d’exploration, il y a le petit village de Gamboa, sorte de banlieue post-coloniale du Smithsonian, et qui a survécu à la construction du canal de Panama au début du 20ème siècle en préservant son histoire particulière sous forme de bâtiments abandonnés (église, piscine, poste…) et de maisons traditionnelles, le tout à portée de la forêt sauvage.
Ainsi, il n’est pas rare de voir ou entendre parmi nos voisins résidents : des agoutis (omniprésents mais nerveux) dans le jardin, un paresseux pendu dans un arbre, des vautours noirs perchés sur les poubelles, des chouettes adulte et juvénile entre les branches, piones et perruches bavardes au crépuscule, papillons aux ailes scintillantes, basilics et autres lézards… et toujours les armées impressionnantes de fourmis coupe-feuille ainsi que les symphonies de grenouilles túngara qui chantent à pleine gorge et pondent leurs œufs dans un nid de mousse à l’intérieur des flaques d’eau boueuse.
A Dinacon, chaque sortie est une nouvelle occasion d’observer, d’écouter, de rencontrer ces créatures, évidentes ou invisibles, élusives ou inaudibles, cachées en pleine vue ou sous la surface de notre environnement immédiat ou élargi. Une occasion d’interagir avec elles de manière scientifique, artistique ou ludique… et peut-être en passant, de tomber amoureuse de la jungle.
Lire la première partie de notre reportage sur Dinacon2
Lire notre article sur Dinacon1 en Thaïlande en 2018
Interview avec Andy Quitmeyer sur le « Digital Naturalism »