Ecole buissonnière à No School Nevers
Publié le 18 juillet 2019 par Dare Pejić
Pendant deux semaines, du 1er au 14 juillet, la Nø School a animé le centre endormi de Nevers en Bourgogne. L’approche sans fioritures de la summer school a intrigué Makery qui s’est déplacé pour une expérience de première main lors du week-end de clôture.
Envoyés spéciaux, texte par Dare Pejić & audio par Philippe Zunino
Comme pour bien des villes moyennes de France, on dit que le centre de Nevers est déserté, on entend même dire que la ville est obsolète. Quand on en évoque la question avec Thierry Chancogne qui nous fait visiter la galerie Ravisius Textor, il ne semble pas vraiment s’en plaindre pour autant. Le lieu qu’il co-anime était au cœur du dispositif de la Nø School de Nevers. Le nom de l’espace vient de la version latinisé de Jean Tixier de Ravisi, le savant et humaniste du 16e siècle originaire de Nevers, et a ouvert en 2017. Il accueille un espace galerie, une libraire et un atelier d’imprimerie. Le choix de localiser la summer school à Nevers était parfaitement conscient et répondait à l’invitation faite par Ravisius Textor. Il s’agissait aussi d’un hommage à l’histoire riche de la ville, et, comme Benjamin Gaulon, l’artiste et enseignant parisien qui mène l’organisation NØ, l’a déclaré chez nos confrères et amis de Poptronics, une manière d’apporter une contribution à l’économie locale.
Entretien à propos de la galerie Ravisius Textor avec Thierry Chancogne par Philippe Zunino :
La Nø approche
Il n’y a pas de modules d’étude à la Nø School, chacun suit le programme universel guidé par son intérêt propre. N’est-ce pas le meilleur moyen de développer un esprit d’équipe ? L’approche de l’école par rapport aux technologies se retrouve dans la mission de l’équipe de l’organisation NØ : développer davantage les compétences et entreprendre des recherches critiques sur les impacts sociaux et environnementaux des technologies de l’information et de la communication. Proposer des éclaircissements sur les usages possibles des technologies au lieu de les mystifier n’était qu’un des aspects du programme chargé de la summer school proposé par les 32 « Nø teachers » qui donnaient présentations et ateliers sur le site principal de trois étages et 600m2 de l’ancienne Manufacture de Faïence Montagnon.
«Je suis moi-même artiste, mais j’ai pu tirer beaucoup de l’école, n’étant pas véritablement technophile au départ » explique un étudiant irlandais de la Nø School qui a beaucoup appris des hackers, des programmeurs et de ses pairs bricoleurs présents. La Nø School accueillait autant des enseignants que des étudiants du monde entier. Les 19 étudiants de la première Nø School venaient de France, du Canada, des États-Unis, d’Irlande, de Russie et du Portugal. L’approche non hiérarchique de l’école entre enseignants et étudiants a permis à ces derniers d’être plus curieux et enclins à poser des questions. En France, cela ne va pas de soi, nous disait une étudiante de Paris, « la hiérarchie entre étudiants et professeurs est très présente dans les écoles françaises ». L’école « sans école » a de multiples avantages.
L’environnement inclusif a créé un espace propice à une approche engageante, que ce soit dans les arts, la science, la recherche ou la traditionnelle geekerie techno. La critique des usages et des approches dominantes des technologies étaient au cœur de nombreux sujets abordés lors de cette première édition : codage, technologie mobile, e-textiles, conception, édition, hacking ou archéologie des media. L’école proposait plus de 20 ateliers et conférences, une visite de terrain dans un incinérateur de déchets et des exposés en soirée ouverts au public local, avec des présentations et des conférences invitées. On citera Ted Davis (retrouvez l’entretien qu’il a accordé à Makery), Alex McLean, Dasha Ilina (également coorganisatrice de Nø School), Gijs Gieskes, Alessandro Ludovico, Nicolas Maigret, Jerome Saint-Clair a.k.a. 01010101, Daniel Temkin, et bien d’autres.
Désobéissance au techno-optimisme, live coding, archéologie des media et hacking
Les organisateurs et facilitateurs avaient conçu une méta-structure qui pouvait fonctionner au-delà des limitations du format traditionnel de la summer school. Le Nø Lab, un des lieux de recherche de l’organisation, proposait des conditions de type lab pour avancer sur de futurs projets. Le Nø teacher de cette année, l’artiste et ingénieur Jerome Saint-Clair, présentera par ailleurs le MinitelSE avec l’Internet of Dead Things Institute à Paris à la Biennale Nemo 2019. Il s’agit d’un OS open source tournant sur du matériel spécialement designé pour le bon vieux Minitel français.
Une présentation « MiniTaime » du Minitel des années 1980 avait d’ailleurs lieu à la galerie Ravisius Textor pour la journée de clôture avec des présentations des travaux des Nø professeurs et étudiants. La chaude collaboration « Faites rougir votre Minitel » entre Joselyn McDonald et Jérôme Saint-Clair proposait un hommage à la première utilisation populaire du Minitel (rose) entre salon de discussions et rencontres en ligne. De nombreux participants ont trouvé l’inspiration dans ce concept de technologie réutilisée et recyclée, essayant de créer de nouveaux contextes et de nouveaux contenus pour de nouveaux environnements.
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Et des projets pour l’avenir ? Gaulon pourrait tenter d’emmener la summer school à la grande ville, pour une Nø School Paris. Et Nevers pourrait devenir un lieu de Nø résidences. L’idée serait d’envisager un développement à long terme de résidences et projets en art, technologie et recherche sur la ville de Nevers, la plaçant ainsi sur la carte des labs arts et des médias.
Sainte Bernadette rencontre Parent & Virilio
La soirée de clôture se tenait à l’Eglise Sainte Bernadette du Banlay à la sortie de Nevers. L’architecture brutaliste de l’église construite en 1966 donnait une parfaite ambiance aux performances sonores et visuelles des Nø participants : Ted Davis, Dasha Ilina, Alex McLean, Phillip Stearns, Gijs Gieskes, Nicolas Maigret, Jerome Saint-Clair, Tom Verbruggen Toktek, Ewa Justka et Karl Klomp.
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Nommée d’après une jeune religieuse en fuite venue à Nevers au 19ème siècle, cette église s’est révélée être un lieu époustouflant pour l’expérience corporelle des sons rugissants, des synthés et des drones provenant de machines et d’objets qui avaient inspiré les performeurs dans les deux semaines de la summer school. Exprimant une réinvention de la forme des bunkers de la Seconde Guerre mondiale, l’église Sainte-Bernadette représente également une quête sans fin de la modernité et du renouveau de l’architecture. Tellement approprié quand on cherche à réinventer les technologies. « Tech won’t save us », criait le t-shirt de Gaulon qu’il portait lors de la soirée de clôture. Le temps est peut-être venu de sauver la technologie.
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