Relocaliser et réinventer la production textile à Paris : Homemakers y croit
Publié le 28 juin 2019 par Frank Beau
Homemakers est un fablab dédié au textile et à la mode qui a fait l’objet d’un soutien dans le cadre du budget participatif de la Ville de Paris. Ce financement met en exergue la volonté de la capitale de soutenir ces nouveaux laboratoires de fabrication mais aussi de relancer la production textile en ville.
Gilles Bessard du Parc est un créateur de mode. Confronté aux difficultés de la production indépendant, il conçoit il y a six ans le projet Homemakers. « Avec ma marque de vêtements, je me suis rendu compte que les délais de fabrication, de customisation, le fait que les machines de confection ne sont pas aux mêmes endroits posait problème. Si tout le monde facture ses frais de ports sur des petites quantités, cela devient difficile. L’idée était alors d’aider les créateurs et amateurs à faire leur prototype et partager les machines. » Le projet bénéficie d’une aide en investissement de 150.000 euros dans le cadre du Budget participatif de la Ville de Paris en 2017 et d’une aide à l’installation via le bailleur social Paris Habitat. Homemakers ouvre en 2017, rue des Favorites dans le 15ème arrondissement et dispose d’une surface de 330m2. Gilles Bessard du Parc fait entre temps l’acquisition sur ses fonds propres de machines semi-industrielles : un traceur pour le patronage, des tables de coupe, des machines pour la broderie numérique, l’impression et la découpe laser. Homemakers a depuis, tout pour devenir un fablab en pointe dans le secteur textile, à condition d’affirmer son modèle. En 2018, le fablab adhère au réseau Fab City Grand Paris.
Homemakers permet ainsi à des créateurs résidents de louer des ateliers et stocker des matières. Gaëlle Constantini, résidente, témoigne. « L’avantage de ce lieu est qu’il regroupe différents acteurs d’un même domaine et dispose de machines que l’on ne pourrait pas avoir. Quand on exerce ce métier, l’inconvénient c’est la place que le matériel prend chez soi et Paris est cher. L’idée c’est aussi de se regrouper. Ce type de lieu amplifie la créativité car tu vas plus loin que dans ta propre recherche », raconte-t-elle.
Grâce à son parc de machines Homemakers réalise des prestations pour des particuliers et des professionnels. Alban Delume est un voisin. Il a une entreprise de design et d’artisanat d’art, DMD Artdesign. « J’ai visité le lieu et j’ai été séduit par la brodeuse numérique, la petite imprimante laser. J’avais déjà en tête que le Tech shop allait fermer. Homemakers est un fablab à taille humaine en surface, en équipement et dans le management. On a une cotisation annuelle très peu chère et ensuite on a juste à payer la prestation », explique-t-il.
Le fablab propose des cours de couture. « Nous avons l’espace boutique. On organise des workshops. Cela permet aux marques d’avoir leurs vitrines et aux gens de donner des cours. On a notamment un tailleur qui nous aide. Il a créé son propre logiciel pour faire des patrons sur mesure. L’idée est que les personnes repartent avec leur produit à la fin », explique Gilles.
La structure mise sur le partenariat avec les écoles et notamment l’ENSAAMA (Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art) qui est tout à côté rue Olivier de Serres. L’école est équipée de machines qui ne peuvent pas être utilisées autant que les étudiants le souhaiteraient. Isabelle Chappet est enseignante en Design textile à l’ENSAAMA : « Il y a des machines dangereuses. Elles sont fragiles et leur maintenance prend un temps important. Je trouve que l’existence d’Homemakers ouvre le champ des possibles pour nos étudiants ; que cela se trouve dans le 15e donne des perspectives intéressantes », explique Isabelle Chappet, si ce n’est « qu’à ce jour les étudiants ne sont pas toujours très au courant de son existence ». Il reste des efforts à faire pour leur rapprochement ; pour Gilles Bessard du Parc la proximité de ces deux structures est une opportunité pour les étudiants « de venir un réaliser leurs patrons et prototypes, avec un partenariat privilégié ».
Des laboratoires pour relocaliser la production et innover
Paris est l’une des villes de la mode. Pourtant l’essentiel de la production a été délocalisée, au Portugal, dans les Pays de l’Est, en Chine. « Depuis 1996 on a perdu 53% de notre industrie. Moi j’ai envie que l’on recréé une filière textile locale. Nous avons encore un savoir-faire et une mémoire. Il faut juste trouver le moyen de la réactiver. C’est pour cela que je bosse avec des ateliers d’insertion. De plus en plus de gens ont envie de travailler avec leurs mains et ne pas rester derrière un ordinateur. Ces lieux sont en ce sens des sortes d’incubateurs », explique Gaëlle Constantini. Cécile Pelissier est cheffe de cabinet de Jean-Louis Missika, adjoint de la Ville de Paris notamment en charge du développement économique et de l’attractivité. Dans le cadre de l’enjeu de relocalisation de la production elle estime que « Les fablabs peuvent jouer un rôle d’expérimentation, parce qu’ils permettent clairement à des gens de se former sur certaines machines et de s’aventurer sur des terrains auxquels ils n’avaient pas pensé. Ils permettent des allers-retours entre des techniques traditionnelles et des techniques modernes. C’est très important qu’il y ait des structures comme Homemakers, Villette Makerz, pour expérimenter de nouvelles façons de fabriquer en ville. »
Si les nouvelles machines apportent des avantages incontestables, leur appropriation par la nouvelle génération ne tombe pas encore sous le sens. « J’ai l’impression que les choses sont en train de changer mais il y a quelques années, chez les étudiants de design textile, il y avait une tendance à vouloir tout réaliser à la main. Il reste à faire un vrai travail de pédagogie, sur le fait que la machine n’est pas le diable dans l’artisanat. S’il n’y a pas d’éducation au travail technique, cela peut produire des choses arides c’est vrai. Mais on peut programmer une machine, naviguer entre la main et la machine et produire des choses sensibles et intéressantes techniquement. Nous allons dans cette direction il me semble », explique Isabelle Chappet de l’ENSAAMA. Pour le cofondateur de Homemakers les fablabs sont en effet des lieux dédiés à l’expérimentation notamment technologique. Gilles Bessard Du Parc ajoute : « Il y a tout le textile connecté qui est à développer. Dans les écoles d’art le futur peut se dessiner. Les textiles peuvent réagir à la lumière, des fils conducteurs sont reliés à des circuits électroniques pour que le textile s’allume. Il y a aussi la teinture. Nous sommes en lien avec des fablabs d’Amsterdam qui sont allés jusqu’à cultiver des bactéries pour faire de la teinture. »
L’industrie du textile est par ailleurs la deuxième plus polluante au monde. Gaëlle Constantini s’est ainsi spécialisée dans l’Upcycling. « Je fais dans le recyclage de textiles usagers fabriqués en France et je fais réaliser ma production par des ateliers d’insertion. Je fais du prêt à porter français plutôt ligne épurée minimaliste », explique-t-elle. Pour Isabelle Chappet l’écologie est un apprentissage. « Les étudiants sont captivés par le principe d’Upcycling, mais ils ne voient pas toujours comment cela se fait et réalisent encore des productions impossibles à recycler. Notre travail est de leur faire creuser les choses car la démarche écologique est d’une grande complexité et ne se réduit pas à éviter d’utiliser certaines matières », raconte-t-elle.
La pérennité des fablabs dédiés au textile
La pérennité de ces structures reste un sujet critique. Pour Gilles Bessard du Parc : « Une enveloppe budgétaire de 300.000 € serait nécessaire pour ouvrir un local où les fab-labers, entrepreneurs et co-workers useront ensuite de leur créativité. Il y a beaucoup de gens qui sont encouragés à créer des structures, mais ensuite, ils sont livrés à eux-mêmes. » La Ville de Paris a mis en place une politique très pro-active sur le sujet. Elle rend accessible des locaux via les bailleurs sociaux, investit dans le matériel et si elle n’apporte pas d’aide en fonctionnement en effet se positionne en apporteur d’affaires potentiel. Elle soutient de nombreux projets, a mis en place un fonds dédié à la création innovante (PIA) et prend à la bras le corps la question des conditions de travail dans les ateliers parisiens.
Gaëlle Constantini estime par ailleurs que les consommateurs posent de plus en plus de questions à l’industrie. Elle propose une solution radicale : « Je crois que l’on devrait aller dans le minimalisme en usant nos vêtements jusqu’à la moelle. La solution numéro un serait de faire un inventaire de ce que l’on a au niveau mondial et faire une pause dans la production. Pendant ce temps on développerait nos capacités intellectuelles à penser autrement ». Utopique évidemment, mais certains se souviennent du temps où chacun avait peu de vêtements, qu’ils étaient faits sur mesure et duraient très longtemps. Cela pourrait être l’un des paris fous de ces laboratoires que d’aider producteurs et consommateurs du futur, à remettre à la mode la culture du bon sens et d’un artisanat à la portée de tous.
Le site Internet de Homemakers.