Durant «Garden the Sky Water», un événement organisé à Paris du 12 au 15 juin par la Chaire arts et sciences, différentes disciplines ont discuté du sujet brûlant des sources d’eau alternatives.
« L’incertitude est nécessaire pour produire quelque chose de profitable », résumait Karolina Sobecka, artiste, designer et chercheuse basée entre New York et Bâle, lors de la présentation de ses « Closure Assumptions » en plénière d’introduction sur les nouveaux récits à favoriser dans l’ère actuel du techno-optimisme où le contrôle de l’atmosphère joue un rôle crucial sinon fatal. Le symposium, organisé notamment dans le contexte d’ Exoplanète Terre, une « constellation d’événements » proposés par de multiples partenaires franciliens sur 2019-2020, a examiné les perspectives d’avenir en matière de sources d’eau de substitution et leurs conséquences pour la biosphère.
Ciel, brouillard, rosée
Le thème du symposium, l’exploration de sources alternatives d’eau, plus particulièrement à trouver dans le ciel, le brouillard et la rosée, était décliné sous forme de débats, ateliers et conférences par les chercheurs et artistes. Les différentes journées étaient pensées dans prolongement des recherches autour des deux curateurs, Ana Rewakowicz, artiste et chercheuse à l’Ecole Polytechnique et Jean-Marc Chomaz, artiste, physicien et codirecteur de la Chaire arts et sciences pour l’Ecole Polytechnique, et coordonnées par l’équipe de la Chaire arts & sciences, avec le soutien de la Chaire Développement durable -EDF de l’Ecole polytechnique. La Chaire arts & sciences est un programme de rencontre entre artistes et scientifiques via des actions de recherche-création, de formation et de médiation autour de notre interdépendance à l’environnement. Il est porté par l’École polytechnique, l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs-PSL et la Fondation Daniel et Nina Carasso.
Une journée des rencontres se tenait au laboratoire de télédétection atmosphérique SIRTA de Polytechnique, deux autres en anglais à la Cité internationale des arts, suivi d’une soirée autour du film Jodorowsky’s Dune au studio des Ursulines et une journée en langue française le samedi à la Maison des métallos dans le 11ème arrondissement.
Considérer les eaux atmosphériques comme source possible d’eau est une notion qui regagne du terrain ces derniers temps. Trouver des sources d’eau alternatives est plus que jamais une réalité sous les tropiques, où l’eau évaporée y devient cruciale, et cela pas seulement pour des raisons économiques. L’histoire marocaine présentée par Jamila Bargach de l’ONG Dar Si Hmad sous le titre « Une ode célébrant le brouillard » en est un bon exemple : le brouillard dans les hautes terres du Maroc n’est pas simplement considéré comme un ennemi qui provoque la rouille sur les outils agricoles, il apporte également de l’eau aux villageois. Avec des collecteurs de brouillard installés au sommet des montagnes, l’eau récupérée apporte la prospérité mais, rappelle-t-elle, crée également une menace potentielle pour l’ordre patriarcal existant : les femmes, auparavant plus engagées dans le transport et la distribution d’eau, ont plus de temps libre pour étudier. Selon Bargach, « la société civile agit comme instigatrice d’échange, comme lien avec la communauté et comme intermédiaire ».
Il n’y a pas que la pluie qui soit utilisée pour l’eau potable, il y a aussi la rosée. Daniel Beysens, président de l’ONG Opur (organisation pour l’utilisation de la rosée) et directeur honoraire de l’École supérieure de physique et chimie industrielle de Paris, présentait le cas de la collecte de la rosée du matin. S’appuyant sur une série d’études de cas réalisées en Croatie, en Inde et en Polynésie française, il affirmait avec assurance que des collecteurs mécaniques de rosée avaient pu fournir de l’eau dont la composition en éléments biologiques et chimiques était sans danger pour la consommation humaine.
Le rôle de l’art
Les phénomènes naturels sont une source d’inspiration sans fin, pas seulement pour les scientifiques. On a même pu entendre que la relation peu conflictuelle entre l’art et la science est l’un des meilleurs mariages de deux domaines qu’il ait été donné de voir. Serait-ce à cause de la visibilité et la portée des arts, alors que la science reste souvent herméneutique ? Les projets présentés lors du symposium ont permis de donner une perspective sur le sujet. L’eau, le ciel et les nuages ont été abordés sous différentes formes : multimédia, visuelle, écrite, musicale ou performative.
Parmi les nombreuses présentations où la collecte d’eau du ciel était mentionnée implicitement ou explicitement, les travaux présentés par Raphaële Bidault-Waddington, fondatrice du futur laboratoire LIID Future Lab, traitaient principalement du ciel en tant que tel. Occupy the Sky, le nom de l’exposé, qui présentait quatre situations fictives et spéculatives d’exploitation possible de l’eau du ciel, dans un contexte de triple transition environnementale (anthropocène), digitale (planète augmentée) et démographique.
Maxime Berthou, étudiant-chercheur à l’Ensad Lab, présentait son projet artistique Fiction P qui visait à déclencher artificiellement la pluie à la frontière canado-américaine. Pour réaliser le projet l’artiste a conçu des ballons spécifiques pour provoquer la pluie, mettant ainsi les dernières ressources en eau potable sans statut légal réel à la disposition de l’art. Cet effort insensé de l’artiste permettait aussi à l’audience de dépasser les limites du cadre juridique actuel de la biosphère, qui pourrait bientôt devenir obsolète lorsque la rareté de l’eau « atteindra littéralement le ciel ».
La perspective du méta-jardinage
L’incertitude planétaire actuelle est alimentée par l’entretien d’une peur constante et rien ne pourrait être plus opposé à cela que la métaphore du jardinage qui encourage une logique différente : on devient un observateur actif du monde qui nous entoure plutôt que de le fuir. Gilles Clément, ingénieur horticole, jardinier et écrivain célébré, offrait avec sa présentation donnée à la Maison des Métallos le dernier jour un aperçu de première main sur une forme de « méta-jardinage » de la planète.
Selon cette perspective, jardiner ne signifie pas dominer mais signifie s’engager dans une activité partagée et participative, où l’observation est la clé. Le « jardinage planétaire » est une manière figurative de voir un jardin où le paysage est libéré de son asservissement aux besoins de l’homme. « Là où il y a un jardin, il y a un jardinier », affirme Clément qui préfère parler de jardinage planétaire que de jardinage paysager.
« Les musiciens et les architectes sont parmi les premiers à avoir adopté les idées fondées sur les changements de paradigmes dans la nature », explique Nicolas Reeves, artiste et chercheur à Montréal. Il présentait sa Harpe à Nuages, un instrument qui crée de la musique à partir de la forme du nuage interprétée par l’intermédiaire d’un Lidar (détection par laser). Cette présentation captivante et riche en information nous emmenait en voyage dans l’histoire de la harpe et de l’observation de nuages, d’Anaximandre à la géométrie des nuages expliquée par Mitchell Feigenbaum.
« Les dragons incarnent le pouvoir générateur de l’eau », expliquait Veronica Strang, anthropologue à l’Université de Durham et auteure du livre Gardening the World: Agency, Identity and Ownership of Water (Jardiner le monde : agentivité, identité et propriété de l’eau). Une perspective humaniste sur la symbolique des dragons et le jardinage avait inspiré le lancement du symposium de trois jours avec un atelier sur les données atmosphériques, incluant une visite au SIRTA, un site de recherche instrumentale en télédétection atmosphérique (IPSL/Ecole Polytechnique/LMD).
« Tous les humains n’ont pas affecté la planète de la même manière », expliquait Ana Rewakowicz, co-curatrice du symposium. Des Inuits et d’autres peuples autochtones d’Amérique du Nord et du Sud ont essayé de vivre avec la nature plutôt que de la combattre. La tentative du symposium de présenter différentes voies pour trouver des sources d’eau alternatives plus durables aura ainsi rassemblé une variété d’experts, de praticiens, d’artistes, de chercheurs, ainsi que des représentants des générations futures – la Maison des Métallos accueillait des ateliers pour enfants. Il est possible que l’événement et l’organisation aient (consciemment) suivi le modèle durable de l’écologie culturelle, un encouragement à le prendre comme exemple de bonne pratique.
Les sites internet de Garden the Sky Water , de la Chaire arts & sciences et d’Exoplanète Terre.