La Réserve des arts, de l’écoconception au renouveau créatif en Ile-de-France
Publié le 21 mai 2019 par Frank Beau
La Réserve des arts est un modèle pour la Fab City en Ile-de-France dans le domaine de l’écoconception à travers le réemploi des matières et déchets issus du secteur culturel. Makery leur a rendu visite.
La Réserve des arts est une association qui « récupère des rebuts et chutes de matériaux dans les entreprises, les valorise et les revend aux professionnel(le)s de la création ». Au-delà de cette mission écologique, elle contribue depuis une dizaine d’années au renouvellement même des pratiques artistiques et constitue un exemple intéressant de convergence entre les enjeux écologiques et culturels en Ile-de-France.
La Réserve des arts a été créée en 2008 par la photographe Sylvie Bétard et Jeanne Granger, diplômée d’une école d’art au Royaume-Uni. Pour Sandrine Andreini sa directrice « Le contexte de naissance c’est vraiment une rencontre entre ces deux personnes qui ont voulu allier art et écologie. Elles voulaient soutenir les créatifs tout en les rendant vecteur de sensibilisation à l’écologie. Elles se sont rencontrées autour du sculpteur Frans Krajcberg dans le cadre du Projet K, qui, dit avec mes mots à moi, considère la nature comme une œuvre d’art. Elles ont découvert l’institution Material for the Arts de New York créée en 1977 et ont essayé d’importer le modèle en France. MFTA est financée par le département culture, environnement et éducatif de New-York. La Réserve des arts est une déclinaison de ce projet, adapté au droit français : nous sommes une association autofinancée en 2018. »
Un processus complet du réemploi dans le secteur culturel
Le projet s’appuie actuellement sur une boutique de 130m2 à la Porte de Vanves et un entrepôt de 1500m2 à Pantin dédié notamment aux grands volumes. Il vit grâce à ses 6500 adhérents créateurs, la vente de matières à des prix solidaires à ces derniers, la location d’ateliers et la formation, et les prestations de services (dont la collecte/sensibilisation auprès des structures partenaires). La Réserve des arts propose ainsi à des écoles d’art et de design partenaires, des artistes et professionnels de tous secteurs (designers, stylistes, maroquiniers, scénographes, chefs décorateurs, funambules…), un accès à une douzaine de typologies de matériaux distincts, tels que : textile, bois, cuir, métal, plastique, verre, minéral/peinture, papier/carton, composite, végétal. Les stocks se renouvellent toutes les semaines et sont alimentés grâce à des collectes auprès de 200 structures partenaires.
Les collectes sont réalisées par une trentaine de « valoristes externes », professionnels du secteur culturel missionnés à la journée pour la prestation. Ils y travaillent souvent pour compléter leurs salaires mais aussi enrichir leurs pratiques. Ce métier consiste à se rendre dans les entreprises du secteur du luxe, de la mode, des institutions culturelles tels que les musées. Ils réalisent un audit du matériel et négocient les conditions de récupération. L’entreprise prend en charge les frais de collecte. « Certaines peuvent l’inscrire dans leur politique RSE mais beaucoup jouent le jeu car elles ne souhaitent plus jeter des matériaux précieux, comme le cuir, la mercerie, du bois et des meubles » nous raconte Léone de La Réserve des arts. Le matériel livré passe systématiquement par le « valoriste interne », dont le rôle est de trier la matière, la nettoyer, la rendre présentable avant de la répartir sur les rayons. Sarah, chargée des relations avec les PME et les écoles résume en une phrase la philosophie de ce métier : « Tout ce que l’on peut garder, on le garde. Car nous donnons une chance à la matière. »
La Réserve des arts emploie actuellement 12 salariés parmi lesquels nombre de créateurs, ayant des compétences dans tous les domaines (plasticienne, maroquinier, designer et designer d’espace, etc.). La Réserve des arts propose des missions de bénévolat temporaires en partenariat avec Bénénova pour participer au tri et à la mise en rayon des matériaux. Lors de notre passage Anne-Laure et Camille y effectuent leur première journée. « Je travaille en agence de pub, j’avais envie de passer à des activités concrètes et physiques. On a plus trop envie de travailler dans des bureaux. On a envie de découvrir autre chose » raconte Anne-Laure. Camille partage ces mêmes questions, le souci de se rendre utile et se dit en effet « intéressée par l’univers de l’artisanat, pour le découvrir mais pas nécessairement pour devenir artisan ».
Un rouage essentiel de l’éco-conception culturelle en Ile-de-France
Au final, La Réserve des arts c’est 180 tonnes récupérées en 2018, dont 160 sont réemployées. Elle constitue un rouage stratégique du secteur du réemploi et de l’écoconception culturelle en Ile-de-France mais ne couvre à ce jour qu’une partie infime du tonnage des déchets de ce secteur. Pour Léone, « Le secteur du cinéma par exemple c’est une énorme production de déchets. A ce jour nous ne collectons que très peu dans ce secteur. » Il faut se souvenir que l’industrie du retraitement des déchets fondée sur l’incinération a fait perdre des décennies de pratiques de recyclage et de réemploi. Si ces derniers ont été conservés par des artisans, n’ayant souvent pas le choix que de récupérer leurs matériaux et chutes, tout un chemin est à refaire dans nombre de domaines. Amener les entreprises et les artistes à prendre conscience des enjeux du réemploi des déchets suppose un changement de culture, auquel La Réserve des arts participe. Si à ce jour, il est plus facile et moins coûteux de jeter que de réemployer, il est important au-delà des aspects environnementaux évidents, de comprendre les vertus du réemploi dans les pratiques artistiques.
Chloé, designeuse de vêtements de tango argentin est en train de chiner. Elle nous explique que pour elle il est désormais hors de question d’avoir recours à du neuf. « J’ai une conscience écologique. L’industrie du prêt-à-porter est la seconde industrie la plus pollueuse du monde » souligne t-elle. Elle vient de trouver un morceau de tissu noir moucheté de toutes petites paillettes, qui l’inspire. Ce morceau de tissu semble résumer à lui seul tout l’enjeu du réemploi dans l’économie culturelle. Chloé explique que travailler avec des matériaux récupérés, c’est en effet plus de travail et de contraintes. Il faut chercher la matière, s’adapter à elle et on ne peut pas tout faire. Ce sont souvent de petites quantités qui ne permettent pas de faire des séries. Cependant cette contrainte est précisément la source d’une autre manière de travailler. Chloé explique que ce morceau de tissu serait introuvable par ailleurs. Il lui donne l’occasion d’imaginer une jupe et une robe de tango qui n’existent pas et peut s’ajuster à la liberté des danseurs.
Chloé explique que les intermédiaires comme La Réserve des arts, mais encore Emmaüs, font le travail que les créateurs n’ont pas le temps de faire, en ramenant des matières qui n’existent pas dans le commerce, que l’on a oublié, dont les propriétés sont uniques et tout simplement inspirantes. Au final elle estime que les avantages l’emportent en réalité sur les contraintes. « Cette contrainte me permet d’adapter le vêtement de tango argentin à tout le monde. Actuellement la mode façonne la danse et je trouve que dans les marques de vêtements habituelles souvent il n’y a pas d’âme. En Argentine je ne me permettrai pas de lancer cette marque mais en Europe on sent qu’il y a une volonté de dépasser cela », explique Chloé. Pour Sandrine Andreini « On appelle cela une contrainte positive. Elle permet de décupler la créativité. C’est en réalité un défi de travailler avec des matières déjà été travaillées et insolites ». Le réemploi des matériaux dans le secteur culturel permet de se souvenir que la création consiste à se laisser inspirer par ce qui existe et non pas uniquement à chercher la matière exacte de ses idées. Il y aurait ici un renversement majeur, ou bien un retour aux sources, à la fois écologique et culturel.
L’avenir de la Réserve des arts
Avec ses 6500 adhérents et un modèle économique qui tient la route, La Réserve des arts montre qu’une nouvelle culture et de nouvelles pratiques s’installent. Mais le chemin reste long afin de modifier un siècle de culture de production. C’est pourquoi elle propose des formations à la diffusion des techniques de création autour de matériaux récupérés. Des artistes réalisent des œuvres monumentales avec les déchets des entreprises partenaires et sur site. Pour Sandrine Andreini, la prochaine étape pourrait être de soutenir les échanges entre les membres de La Réserve des arts et développer la culture commune du réemploi à la conception. « On a créé un tableau, où il est indiqué « Je cherche, je propose ». Il est complètement rempli. Il y a un vrai besoin de partage de compétences entre les membres. Nous avons ainsi le projet de trouver les moyens de faire se rencontrer les gens de manière efficace professionnellement. J’estime pour ma part que l’efficacité sera dans le rebond à l’emploi. Cela passe par le fait d’aller plus loin dans notre outil de formation et d’aider les structures de formations initiales à mettre davantage d’éco-conception dans leurs programmes. Cela passe enfin par le fait de comprendre les stratégies RSE et RH des entreprises pour mieux travailler avec elles ».
La Réserve des arts prévoit ainsi de s’agrandir en transférant son entrepôt à Pantin dans un espace de 3000m2. « Avec le soutien de la Région Ile-de-France, nous avons prouvé que le réemploi des déchets de scénographie, de l’événementiel, de l’audiovisuel est possible à l’échelle de 1500m2. Nous pouvons désormais nous professionnaliser pour mieux répondre aux besoins de nos membres » conclut-elle. Dans cet exemple de la Fab City, l’enjeu est d’augmenter la part de réemploi et d’éco-conception mais encore la créativité des secteurs artistiques et culturels en Ile-de-France. C’est l’idée d’une « nouvelle culture » en tous sens plus vivante.
En savoir plus sur le site Internet de La Réserve des arts.
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Cet article fait partie d’une série d’enquêtes sur des exemples concrets illustrant l’esprit Fab City en Ile-de-France.