Futurotopies: communautés, technologies et féminismes pour un Hack The Earth en ébullition
Publié le 6 mai 2019 par Benjamin Cadon
Hack The Earth 2019 se déroulait du 19 au 22 avril, organisé par la colonie catalane Calafou. Un déploiement d’imaginaires libérateurs qui tissent des futurs désirables.
Calafou (Catalogne, Espagne), correspondance.
Rien de tel donc qu’un titre racoleur pour attirer votre attention. Car Hack The Earth, c’est plutôt des « pratiques et imaginaires spéculatifs, des politiques décroissantes et féministes, des actions joyeuses et de la tendresse radicale ». Soit des ateliers, des conférences, des performances, des tables rondes, des concerts et des connexions à distance pour explorer pendant 4 jours des méthodologies spéculatives, la science-fiction féministe, le monitoring DIY environnemental, les plastiques précieux, un musée du patriarcat, d’autres réalités virtuelles, les serveurs féministes, et plus généralement des processus de toutes sortes pour libérer la matière et l’esprit.
Tout ça dans cette ancienne colonie industrielle qui reprend progressivement forme après des décennies d’assoupissement, comme un vieux monstre industriel qui muterait à chaque renaissance. Un projet qui, comme beaucoup d’autres, implémente à son échelle d’autres façons de collectivement carder des futurs. « Des communautés pour tout changer », un récit chronologique de Hack The Earth selon des temporalités enchevêtrées.
Futurotopies ! = Utopies <> Dystopies
Retour à Calafou donc, que nous vous présentions il y a 2 ans et pour une nouvelle édition de Hack The Earth tournée vers le futur ou vers des futurs à concevoir collectivement pour esquiver les perspectives dystopiques du tout technologique-transhumaniste californien et plutôt envisager d’autres technologies, d’autres rapports avec la nature et l’économie, projeter d’autres paysages imaginaires comme autant de prophéties auto-réalisatrices. L’utopie de l’un est peut-être certes la dystopie de l’autre, mais c’est tout l’intérêt d’un événement comme Hack The Earth que de confronter, croiser, tricoter, assembler les points de vue. Car selon les propos d’une organisatrice : « Faire des futurotopies ensemble est une autre façon de contrecarrer l’ère de l’extractivisme extrême (terre, sol, nature, espèces, corps, données et rêves) dans laquelle nous vivons et qui met également en danger notre capacité à rêver et à désirer d’autres mondes. Faire des futurotopies ensemble est une question de guérison et d’affection. »
L’événement était divisé en 3 axes : imaginaires, techniques et luttes. Nous développerons ic quelques-unes des propositions qui ont garni ce Hack The Earth décidément foisonnant.
L’axe des imaginaires dissidents
Plusieurs ateliers invitent à la prospective poétique, politique et écologique avec la création de futurotopies féministes, technologies inventées volontairement détachées des contingences physiques et biologiques actuelles, avec la production d’écofictions qui voguent de l’imaginaire cinématographique aux récits spéculatifs, avec l’écriture d’histoires réparatrices, onguents pour l’intérieur du corps, ou encore l’exploration des rêves pour satisfaire des désirs ou encore libérer son alien de possibles corps, sans oublier la visite du MAMI, le Musée Archéologique du Machisme Immémoriel proposé par l’artiste Lucía Egaña.
L’axe des techniques futurotopiques
Dans cette partie, où il y a également fort à faire, on commence par sécuriser son smartphone par des actions simples, on se préoccupe également de la qualité de l’eau de la rivière en contrebas à l’aide de microscopes et d’analyses low-tech, on fabrique un métiers à tisser géant et des protections périodiques via l’atelier de couture Banc Expropiat (« Banque expropriée »).
Dans un autre registre, on parle du développement des serveurs féministes et du projet Anarchaserver, on pratique le Livecoding en réseau, on n’échappe pas à la blockchain comme monnaie sociale complémentaire, on se glisse dans la peau de l’autre en échangeant son corps par l’entremise de casques de réalité altérée avec le très chouette projet de Beanotherlab.org basé à Barcelone. En Catalogne également, le plastique est précieux, un collectif s’est formé à l’occasion des rencontres Kunlabora pour constituer une petite filière de recyclage de plastiques et arrive au bout de la 2ème machine.
L’axe des luttes pour défendre l’avenir
A l’image de la « Lettre des zapatistes aux femmes qui se battent dans le monde« , les horizons futurologiques ne sont guère réjouissants, l’activisme déployé par des collectifs d’Amérique du Sud n’en est que plus valeureux et nécessaire, comme en ont témoigné en visioconférence plusieurs cyberféministes et défenseuses des terres au Guatemala, au Chili et au Mexique. Retour d’expériences également de Women Help Women qui milite pour la souveraineté de nos corps, le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit en Argentine, ainsi que pour le projet Barcelonais Metzineres de réduction des risques pour les usagères de drogue victime de violences qui imagine un monde « narco-féministe » libéré de la guerre contre les drogues, où technologies, techno-sciences et infrastructures apporteraient une protection holistique.
Dans cet espace-temps-sensible, un première mondiale, la présentation du livre Leia, Rihanna i Trump, de com el feminisme ha transformat la cultura pop i de com el masclisme reacciona amb terror (Leia, Rihanna et Trump, comment le féminisme a transformé la culture populaire et comment le machisme réagit avec terreur) tout fraîchement écrit par Proyecto Una aux éditions Descontrol.
#LeiaRihannaTrump#SantJordi@DescontrolEd
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— Proyecto UNA (@ProyectoUna) April 23, 2019
Coté rural, le projet Sol Nascente développe des communautés forestières dont une première à la pointe nord du Portugal, des participants au Forum Social Mondial des Economies Transformatrices évoquent avec humour la suite de leurs actions et on débat sur le thème de l’antifascisme à travers l’histoire, sur la situation au Brésil et sur les dynamiques locales à la veille d’une élection nationale où le parti espagnol d’extrême droite Vox risque de faire une percée au parlement.
Vidéo de promotion du Forum Social Mondial des Economies Transformatrices prévu à Barcelone en mai 2020 :
Pour paraphraser Emma Goldman, « If I can’t make noise, it’s not my revolution », donc des Femmes puissantes projetées par Morgan Bodart, une performance audiovisuelle qui est venu éclairer le centre social de Calafou le vendredi soir avec un mashup d’une centaine de films où pour une fois, les femmes ont l’avantage.
Extrait de Femmes puissantes :
L’atelier livecoding crépite de glitchs, Janaelle Monae exhibe le « Dirty Computer », le trio toulousain Na/Da, Mag et Dj Urine fomente une attaque à base de rétroprojection de peintures, larsen vidéo analogique, disques vinyle collectors martyrisés à la dremel sur platines hackées, à défaut d’avoir réussi à endiguer les pulsions des danseuses.
Live à Calafou Nada, DJ Urine, Mag
Pour conclure, qui dit Hack la Terre dit fête heureuse, créative et radicale qui démarre par un cabaret et la performance de Nani Miras qui démontre comment jouer du violon avec les poils de con, alors que Dimanche susurre des données pures ondulantes, Anne décrit son rêve obscur sur des algorithmes musicaux, le Cetus Drone marie l’accordéon à la noise, on regarde et on écoute les bactéries et les données prélevées dans la rivière, la soirée s’emballe en spirales dans le tour de chant d’un dandy cyborg et la cabaret se clôt inopinément avec le groupe Cerrado por resaca (« Fermé pour gueule de bois ») qui traverse le flamenco pour sauter sur le punk. Le Dj automatique électro-minimal génératif conçu par Daax prend le relais, incarné par un clignotant parallélépipède en plastique de la taille d’une boite d’allumettes, alors que les danseuses et danseurs bouillonnent d’impatience de faire des révolutions sur la terre.
Bonus, une vidéo compte-rendu de Nani
En savoir plus sur Hack the Earth 2019 (programme et documentation).